
On fait que plulieurs provinces du royaume,
dont la plus grande partie du fol n’eft propre qu'à
la culture des vignes , font forcées, par la qualité
de leurs vins , à les convertir en eaux-de-vie.
C e genre de culture & d’induftta a , comme
on l’a vu , été de tout tems très-intéreffant pour
les revenus du r o i, auquel il procure de bons pro-'
duits. La qualité des eaux-de vie de France les fai-
foit jouir de la préférence fur toutes celles de
l ’Europe , de façon que cette branche de commerce
étoit regardée comme exclufîve.
Dans cette confiance , & d’après I’inaétion &
l’indolence des Efpagnols qui fabriquent aufli des.
e aux-d e-v ieon n’a pas craint de charger les eaux-
de-vie de droits très-confidérables, tant à l’exportation
que dans la confommation nationale. L’ef-
pece de dédain qrt’on faifoit des eaux-de-vie étrangères
, dont on redouroit peu l’importation jj les
a préfervé de droits , ou , du moins , elles n ont
été foumifes qu’ à des droits modiques.
Mais depuis environ huit à neuf ans, l’Efpagne
s’eft éclairée fur les interets. La fabrication des
eaux-de-vie de Catalogne s’eft perfeétionnée ; on
a trouvé moyen de les- dépouiller d une grande
partie de leur âpreté qui les rendoit défa-
gréables , & elles font entrées en concurrence
avec les nôtres. Le gouvernement efpagnol dans
le même tems , pour encourager ce commerce , a
fupprimé tous les droits fur les eaux-de-vie exportées.
Tous les marchés de l'Europe s’en fourni f-
fent 3 quoiqu'elles foient encore d'une qualité inférieure
aux eaux-de-vie de France. Nos provinces
feptentrionales meme, la Picardie 8c la N o r mandie
, en reçoivent des approvifionnemens con-
Adérables , qui arrivent jufqu'à Paris ^ c8c cette
préférence vient de ce que la qualité inférieure de
ces eaux-de-vie eft rachetée par la médiocrité de
leur prix.'
De-là s’enfuit la perte, dans le royaume. d’une
grande partie des débouchés qu’y trouvoient nos
propres eaux-de-vie. Les fermiers du fifc , au lieu
d’éclairer l’adminiftration fur les inconvéniens de
cet état des chofes , 8c de propofer le moyen de
les faire ceffer , en doublant ou triplant les droits
d’entrée fur les eaux-de-vie étrangères ., fe font
contentés de percevoir les droits exiftans , 8c
même ont fouvent écarté par leurs raifonnemens ,
les demandes faites par le Languedoc d’iine diminution
de droits , tant fur l’exportation des
eaux-de-vie de cette province, que fur leur intro-
du&ion dans ’celles de Picardie, de Flandre 8c de
Normandie.
- Les Efpagnols ont profité de cette faute pour
ctendre leur commerce jufques à Paris^: il feroit
inutile d’ajouter des réflexions a ces faits. Si J on
cenfulte les regiftres des douanes, on v o it , d’une
p a r t q u e les droits de fortie fur les eaux-de-yîé
dans l’étendue du tarif de 1664 aj ont diminué
confîdérablement dans le cours du bail de David,
par comparaifon à celui d’Alaterre. Que cette diminution
a été plus fenfible encore fur les droits
de la traite de Charente , perçus également fur
les eaux-de-vie de Saintonge . dont la deftination
eft, ou pour la confommation nationale ou pour le
commerce étranger. C ’eft une preuve incontefta-
ble que les eaux-de-vie de Catalogne ont trouvé
des débouchés conAdérables chez l’étranger, 8c
même en France , dont le commerce en ce genre
a reçu une atteinte fenfible.
D ’une autre part, ces mêmes regiftres juftifient
que les droits d’entrée fur les eaux-de-vie étrangères
importées dans le royaume, fe fontconfidé-
rablement accrus. Dans le bail d’Alaterre , ils ne
formoient, année commune, qu’un objet de quatorze
à quinze mille livres en principal. Pour le
bail de David , ils donnent un produit .annuel
d’ environ foixante-dix mille livres.
I On doit penfer que fi l’Efpagne réuflit à perfectionner
encore les eaux-de-vie de Catalogne , 8c
que les nôtres reftent alfujétties aux mêmes droits
qui ont lieu actuellement * il faudra néceffairement
en abandonner le commerce, quelque intéreflant
qu’il puiflfe devenir, parles nouveaux débouchés
que lui offre Je continent de l’Amérique. Alors le
mal feroit infiniment plus difficile à réparer qu’il
ne Peft aujourd’h u i, où la qualité des eaux-de-
vie de France balance encore le bon marché de
celles d’Efpagne, qui leur font inférieures.
Pour mieux fentir la néceflité de faire un nou*
veau réglement fur ce commerce, 8c reconnoîtreles
moyens d’y procéder, il convient de préfenter le
double tableau des droits perçus fur les eaux-de-vie
de France 8c fur celles d’Efpagne, foit pour la confommation
nationale, foit pour la vente à l’étranger,
Les eaux-de-vie de Saintonge apportées en Normandie
8c en Picardie, acquittent d’abord à la
fortie de cette première province , le droit de
traite de Charente , fixé à onze livres par barrique
de jauge ordinaire, ce qui revient, parmuid de Paris
, compris les dix fols pour livre , à vingt livres
douze fols fix deniers , ci . . . . 20 liv, 11 f , 6
A l ’entrée de la Normandie 8c
de la Picardie , les droits du tarif
de 1664 , revenans aufli par.
muidde Paris , avec les dix fols
pour livre , à . . . . . . . . . , z 7 6
H b
Les eaux-de-vie de l’Angoumois étant forcées
d’emprunter le territoire de la Saintonge pour les
mêmes deftinations , acquittent les mêmes droits,
II en eft de même, à peu de chofe près, des droits
que payent aufli les eaux-de-vie de Guiçnnç.
A l’égard des eaux de-vie étrangères importées
eri Normandie 8c en Picardie, elles ne font fujet-
tes qu’aux mêmes droits du tarif de 1664., 8c de
plus ,~à ceux de jauge-courtage 8c de fubvention
par doublement. Ces différens droits réunis reviennent
par muid de Paris, à treize liv. cinq fols,
c ï . . . . ..................... ... . 1 3 5
Ainfî il réfulte de cette compa-
raifon, que les eaux-de-vie nationales
payent à l’entrée, parmuid,
neuf livres quinze fols de plùsque
les eaux-de-vie étrangères. . . . 9 1 ƒ
Celles-ci font d’ailleurs d’un prix fi modique ,
que les eaux-de-vie même du Blaifois 8c de la
Touraine , qui n’ont aucuns droits à payer pour
arriver à Paris , ne peuvent foutenir la concurrence
de celles de Barcelonne.
Dans le commerce d’exportation , le préjudice
pour les eaux-de-vie nationales n’eft pas moindre.
Celles de Saintonge 8c de l’Angoumois payent
les droits de la traite de Charente , revenans à
vingt liv. douze fols par muid. Celles de Guienne
font foumifes à des droits prefque équivalens. Les
eaux-de-vie* de la Catalogne ne doivent aucuns
droits à leur exportation $ c’eft un avantage de
vingt-francs par muid} il fuffit bien pour en com-
penfer la qualité.
C e s obfervationsconduifentà penfer que la politique
8c la juftice s’accordent i c i , pour folliciter
une loi^propre à raffurer le commerce de nos eaux-
de-vie , 8c à leur procurer une préférence aufli
certaine chez l’étranger , que dans la confommation
du royaume.
Il conviendroit dans cette vue , i ° . de fixer à
douze livres par muid , mefure de Paris, le droit
d’entrée fur les. eaux-de-vie étrangères > droit qui
deviendroir général 8c uniforme . fans préjudice
de ceux de jauge 8c courtage. 8c de fubvention
par doublement . dans les circonftances où ils
font dûs.'
I * v. De réduire les droits de fortie des eaux-de-
vie exportées par mer à l’étranger de quelque province
que ce fo it, à deux ou trois livres par muid
même mefurejd’exempter ce droit des dix fols pour
livre. 8c d’affranchir les eaux de-vie de tous droits
de circulation.
30. De modérer de moitié les droits de la traite
de Charente , de convoi , 8c autres droits de
traite perçus fur les eaux de-vie exportées de
Saintonge , de Guienne, Languedoc 8c Provence,
lorfqu’elles font deftinées pour la confommation
nationale , fans toucher encore aux droits d’aides
8c autres droits étrangers à la partie des traites. >
4 0. De régler la perception de ces droits , non
comme celle des, droits d’aides , par les lettres?
patentes du 13 février 1782 , parce que le commerce
ne cefle de faire des repréfentationS contre
cet arrangement ; mais d’ordonner cette perception
Ample fur les eaux-de-vie Amples jufqu’au
vingt-deuxieme degré de l’aréometre 5 d’y ajouter
moitié fur les eaux-de-vie qui feront du vingt trois
au vingt-huitieme degré j de la faire double fur
celles qui feront du vingt-huit au trente quatrième,
8c triple fur toutes celles qui excéderont le trente-
quatrieme degré.
Tandis qu’on imprîmoit cet article , une partie
dès voeux que nous faiAons pour des changemens
favorables dans les réglemens qui concernent le
commerce des eaux-de-vie, vient d’être exaucée ;
mais 3 A on ofe le dire . le bien n’eft fait qu’à
moitié.
Un arrêt du confeil du 21 juillet 1784 , .a établi
une nouvelle légiflation à cet égard, 8c il ne
manque peut-être à fa perfeélion , que d’avoir im *
pofé un droit général 8c uniforme fur toutes les
eaux-de vie étrangères importées dans le royaume.
On doit néanmoins efpérer que l’affranchiffement
de droits accorde aux eaux-de-vie nationales à.
1 exportation , avec la facilité d’en fabriquer avec
des matières jufqu’ici prohibées dans les pays
d’aides , fuffira pour étendre beaucoup le commerce
extérieur de cette liqueur, A toutefois des
eaux-de-vie de qualité médiocre ou mal fabriquées
peuvent être exportées avec avantage , 8c obtenir
la préférence fur les eaux-de-vie d'Efpagne.
Laiflbns parler ici la nouvelle loi. .
Le roi étant informé que les droits qui fe perçoivent
fur les eaux-de vie à la fortie du royaume ,
nuifent a leur exportation , 8c en rendent le commerce
Ianguiflant dans les provinces dont il eft la
principale richeffe , a cru devoir facriAer à l’inté-
îet de fes peuples , une perception deftrüélïve de
1 objet, meme fur lequel elle eft affife. Sa majefté a
conAderé en même tems . que les anciennes dé-
fenfes de diftiller les lies 8c les baiffières de vin ,
ainfi que les marcs de raifin avoient eu pour
principe , 1 opinion ou on etoit que l’ufage. des
eaux-de-vie qui en proviendroient feroit préjudiciable
au corps humain ; mais que leur fabrication
avoit depuis été permife , fans aucun inconvénient
, dans plufienrs provinces 5 qu'il avoit même
été conftaté par les expériences des gens de l’ar t,
qu’elles ne font pas plus nuifibles à la fanté que
les autres eaux-de-vie de vin , & quelles font
d ailleurs très-convenables à la fabrication des
vernis. En conféquence , fa majefté a reconnu
qu il feroit aufli jufte qu utile , de rendre aux proprietaires,
la liberté de mettre à profit toutes les
produisions de leurs vignes. Elle a de plus envi-
fagé que les droits auxquels ce nouveau genre de
diftillatjon donneroit lieu , comDenferôient en partie
la diminution réfutante de la fuppteflion de
tous droits de traites & de fortie fur Ici eaux-de-
vie deftinees a 1 etranger. Par la réunion de ces