
L e roî a heureufement ce moyen de déterminer f
doucement l’abolition du droit féodal.
L ’opération ferait très-iîmple j le roi permet- ;
troit à tous Tes vaflaux de racheter toutes rentes , i
devoirs & fervitudes féodales. Celles qui font '
dues en argent, ou en denrées, ou en fervices, qui
ont une valeur , telles que les corvées , feroient
rachetées moyennant le capital au denier trente.
ou quarante j l’obligation de la foi-hommage fe-
xoit rachetée moyennant un prix proportionné à
la dignité du fief. On fe perfuade que le roi ac-
corderoit une compofition plus douce que les autres
feigneurs , tant pour accélérer l ’opération ,
<Jue pour empêcher fes vaflaux de porter leur
mouvance à d’autres feigneurs.
Au moyen de ce rachat, tous les héritages, re-
levans du domaine , feroient & demeureroient
à jamais francs & libres comme les perfonnes
mêmes des François , & feroient pofledés optimo
jure.
Les propriétaires demeureroient néanmoins libres
de racheter ou non leurs fervitudes j mais
leurs héritiers ou acquéreurs feroient obligés de
les racheter avant d’ entrer en poffeflion. Après la
révolution dés ventes & des fucceflions , le domaine
n’auroit plus que des vaflaux entièrement
libres 5 cette liberté des perfonnes & des fonds
conftitueroit fon cara&ère.
Le roi recueilleroit des avantages confîdérables
de cette opération j tous les vaflaux ufurpés , &
pafles fous d’autres feigneuries, viendroient d’eux-
mêmes apporter les titres de leur dépendance ,
offrir le prix de leur liberté , & fe ranger fous le
domaine qui recouvrerait, fans frais , tous les
vaflaux , & le prix de fes mouvances ufurpées.
Sa majefté retireroit ainfi des fommes confidéra-
b le s , qui pourroient être employées à l’acquittement
des dettes les plus onéreufes de l’Etat.
Les vaflaux feroient délivrés de toutes les peines
, pertes de tems , vexations , procès que leur
attirent des droits douteux autant que minutieux.
Plus de voyages aux recettes , plus d’amendes ni
de faifies féodales , plus de terriers , plus de recherches
des anciens cens & charges , plus de ces
formalités coûteufes de foi , fi inutiles envers un
roi qui auroit tout rendu libre : la liberté adore-
xoit fon auteur, & l’indépendance feroit l’hommage
perpétuel , & le premier titre de vaflalité.
Les lods & le relief, les dîmes & les champarts
ne prendraient plus une partie du prix & des
produits des tonds , & ne feroient plus an obstacle
aux améliorations.
Les vaflaux du domaine ne feroient plus fujets
i l’enfaifinement \ formalité couteufe, dûe à chaque
mutation de toute nature , & qui s’exige par
voie de contrainte.
Les propriétaires iraient habiter les campagn
e s , où ils pourroient fe glorifier de l’indépendance
la plus flatteufe j leur préfence embellirait,
améliorèrent Sc ennobliroit la culture, qui femble
attendre ce nouyeau fecours, pour arriver à fa per-
fe&ion.
Bientôt les vaflTaux des autres feigneurs fe pro-
cureroient les mêmes avantages que fa majefte auroit
accordés aux vaflaux de fes domaines. Juf-
qu’ à préfent les feigneurs ont été dupes de l’habitude
j il eft même difficile de concevoir comme
ils ont négligé de convertir leurs directes en propriétés
foncières.
Il n’y a pas de vaflaux qui ne rachetaflent, au
denier cinquante oufoixante, & même' plus chèrement,
tous les cens, furcens , corvées, & c .
les droits de lods, de relief, de champart, fe re-*
trancheroient aufli avantageufement, les bannali-
tés plus chèrement encore : ainfi un feigneur .retireroit
de la vente de ces droits plus qu’ il ne
vendroit toute fa terre , en y comprenant les domaines
& les édifices > il remplaceroit ces droits
par l’acquifition de fonds à fa convenance * il feroit
le maître de choifir , parce qu’il ne confom-
meroit le traité d’affranchinement des fonds d’un
ou plufieurs vaflaux, ou de la généralité » qu’à
condition qu’on lui donnerait tels ou tels héritages,
pour prix de l’affranchifTement.
C e t affranchiflement fe feroit fur le pied du
droit brut c’eft-à-dire , tel que le vaflal le pay’e ^
tandis que le feigneur ne peut le compter dans fes
recettes , qu’après les déductions & frais queçes
droits eflîiient dans les fermes & cueillettes : ainfi.
ces rentes &rdevoirs étant rachetés au denier foi-
xante , triplerait & au-delà les revenus du feigneur
*, qui placerait le capital d» rachat au denier
vingt. On fuppofe quelques parties & cens
mouvant à douze livres , le feigneur n’en tire",-
dans fa regie , ou dans fon bail , que neuf livres
au plus. Si le feigneur reçoit le rachat de ces
rentes au denier foixante , il en aura fept cens
vingt livres , qui , au denier v in g t , lui produiraient
trente-dix livres , qui font quatre fois le net
de la rente féodale. La fomme de fept cens vingt
livres placée en fonds , produirait le triple dit
cens ..
Outre cette augmentation des revenus , les fei-
gneurs feroient foulages dans la mèmè proportion 9
des dépenfes de leur régie & adminiftration 5 ils
i favent tous, que les droits réfultans des fiefs, font
ceux fur lefquels s’élèvent les plus grandes, les
; plus nombreufes , les plus couteufes & les plus
i interminables difficultés 5 que ce font ces difficul-
• tés qui les mettent dans la néeeffité - d’avoir -un
i confeil auprès d’eux > des intendans , un confeil
i dans les capitales des provinces où les terres font
: fituées , des régiffeurs des commiffaires à tes-
! riers, des archives immenfes*
T e l grand feigneur qui a pour quarante mille
francs de ces dépenfes, les verroit réduites presque
à rien j un fermier ou receveur lui fuffiroit 5 il
auroit plus que doublé fon revenu , rendu la paix
a fes vaflaux, répandu le bonheur dans fes terres ,
& en jouiroit lui-même : d’ailleurs, les feigneurs
ne perdroient rien de l’autorité & des droits honorifiques
attachés à la.juftiçe & au patronage.
L ’utilité commune des feigneurs & des vaflaux
peut donc les rapprocher , & déterminer 1 affran-
chiflement dont il s’agit.
Les feigneurs d’un nom ilïuftre , que leur n'aif-
fa pce & leurs vertus appellent aux honneurs &
aux dignités , & qui jouifîent de la première de
toutes , la confédération & les refpe&s de leurs
concitoyens j ces maifons , dont la gloire eft: regardée
comme le bien de la patrie, & leurs grands
noms , comme des monumens qui rappellent fans
ceffe les avions & les événemens dont tout bon
François fait s’enorgueillir , feraient-ils retenus
par la crainte de perdre la qualité de feigneur
de telle directe ? S’il pouvoit exifter quelque propriétaire
de directe , qui craignît de perdre cette
prétendue décoration,c’efl: que ce feroit là tout fon
relief. C e n’eft point de celui-ci que nous devons
attendre l’exemple ? il appartient à des feigneurs
magnanimes de le donner, &^de fe difputer cette
gloire : la valeur de leurs ancêtres a déterminé de
brillans événemens ; la générofîté de ceux-ci en
déterminera d’heureux j leurs noms feront placés
à côté de ceux des rois , qüi , les premiers , affranchirent
les perfonnes > & la nouvelle époque de
raffranchiflement des fonds, feroit également con-
facrée dans notre hiftoire, avec leurs noms & les
éloges dûs aux aétions qui aflurent le bonheur des
peuples, qui repoufîent loin d’eux les caufes & les
©ccafîons de toutes leurs difgraces, & qui établirent
une nouvelle bafe de Force & de profpé-
lité pour la nation.
De combien d’avantages feroient fuivis ces af-
franchiflemens ! Les particuliers aifés , q u i, pour
fe foufiraire aux bannalités , corvées & autres fervitudes
féodales, fe retirent dans- les villes qu’ils
furchargent , & où ils fe corrompent, revien-
droient par millions habiter les campagnes j leur
induftrie & leurs dépenfes tourneroient au profit
de l’agriculture.
La fanté & les moeurs y gagneraient également 5
l’efpèce humaine fe régénérerait. La multiplication
des droits ,& aflujettiflemens altère la bonne-
foi par autant de moyens , que le redevable eft
obligé d’employer de rufes pour s’y fouftraire &
les diminuer : de-là les cara&ères cauteleux , la
duplicité , la faufleté. Si les efforts font inutiles,
le fujet tombe dans l ’abrutiflement. T e l eft l-’état
de l’efclave Rufle & Polonois, & tel étoit à-peu-
près celui du main* mortable. .
Ainfi tomberait la miriade des loix féodales,
labyrinthe multiplié comme les coutumes &
leurs droits , & finiraient les millions de procès
de la féodalité., qui plaide fans, terme & fans
mefure, pour un cens d’une obole.
Quelqu’afiurés que nous foyons, qu’on ne verra
aucune exagération dans tout ce qu’on dit fur la
complication & les embarras du droit féà'dal, on
croit devoir rappeller ici , qu’il y a plus de trois
cens efpèces de redevances féodales, qui fe fubdi-
vifent à l’infini.
Par exemple, les rentes font foncières , arrière-
foncières , héréditaires, inféodées, requerables ,
feigneuriales, féches, volages.
Un feigneur eft cenfier, direél, dominant, féodal,
foncier, fur-foncier ,haut-jufticier, nouveau,
féager, fuzerain, utile.
Un fie f eft fief d’honneur , de profit, de danger,
de dignité, fimple, lige, corporel, incorporel
, de plejnre, rendable, de paille, ouvert, couvert
, dominant, fervant, abonné , abrégé , ample,
amété, chevel, de corps , éclipfé , empiré , ferme,
franc, dehautbert, mort, v i f , noble, rural, roturier,
en nueffe, en pairier , en parage , enpa-
riage, de reprife, & c .
Le cens eft fimple, abonné, féager, cher-cens ,
double-cens, rogo , fur-cens, fuzerain, & c .
On prendrait pour une plaifanterie une plus
longue énumérapon , & les dénominations p a ît raient
pour pure invention , quelqu’exaéfes &
vraies qu elles fulfent : on finit donc ici un article
qui pourrait faire un volume.
De cette foule de droits, tous contentieux par
leur nature & par l’intérêt , font nés une multitude
de procès & une milice innombrable^ de praticiens
, qui femént la difeorde & la chicane qui
les font vivre.
Ainfi , le tems , l’induftrie & l’aiftivité d’une
partie de la nation , fe confume à difputer & fe
débattre, fur la libertçoula fervitude, fur l’étendue
ou le genre de fervitude des fonds, que mille
droits & coutumes afîèrvilTent.
' Ces vieilles loix , ces comptes , ces terriers,
ces cens, feront une conquête pour l’agriculture
& les arts.
Les loix civiles fe réduiraient aux feuls objets
des conventions des partages, des limites & des
fucceflions.
L’ affiette des impôts deviendrait très-facile, n'y
ayant plus qu’une efpèce de propriété.
L’ état, le clergé, les feigneurs, les communauté
s , pourroient payer leurs dettes avec le prix de
P ij