
manquer au fentiment focial que vous devez à ces
derniers. '
Les propriétaires pourroient-ils répondre tranquillement
, fans le plus grand oubli des principes
qui font leur fûreté & leur force : Vous nous
gênez y nous vous nourrirons f i cela nous plaît y nous
nourrirons des étrangers f i nous le préférons. y nous
n aurons , la-deffus , d‘autre guide que notre intéiêt
& notre fantaifie.
Quoi donc 3 leur répondroiton , cette offre delà
fociété ne vous fufft-elle pas ? Pour garantir votre
propriété pendant la paix & la guerre , elle ne vous
demande que la préférence dans l'échange que vous
etes contraints de faire des fruits fuperfius de votre
terre3 contre du travail, & vous le refufez ? Prenez-
y garde, vous entendez mal vos intérêts ; votre titre
de poffeffion n efi pas écrit dans le ciel i vous n'avez
pas apporté votre terre d'une planette voifine , 6*
-Vous ne pouvez l'y remporter. Toute la force que
vous avez , vous la tenez ficiété. Vous ne
jouiffez que par l'effet d'une convention générale J la
convention particulière qui autorifa les propriétaires
à difpofer, a leur gré 3 des denrées de nécejfité qui leur
font inutiles 3 pût exiger d'eux qu'ils préféraient les
acheteurs nationaux. Cet ajfujettijfement n e f i donc
pas une violation de la . loi des propriétés , c'en efi
une condition 3 comme i l en efi tant d'autres , qui
mettent des bornes aux conce fions & aux prérogatives
3 pour le bien commun.
Mais enfin 3 f i vous nous gênez dans nos ventes ,
fait-on encore dire aux propriétaires 3 nous ne cultiverons
plus 3 & les terres demeureront en friche.
Fables , exagération : fi la fociëté fait des loix qui
tiennent la denrée captive , ou qui avilififent fon
prix , elle a grand tort 5 mais fi elle ne permet pas
conftamment l’exportation des grains , fi elle ne
foumet pas Tordre public , aucaprice aveugle de la
liberté, elle agit fagement. Quoi ! les propriétaires
fufpendroient leur culture , parce qu'au lieu
d'envoyer leurs bleds à l ’étranger , ils n'auront
pour marché 3 qu'un royaume de vingt-fept mille
lieues quarrées & quelques colonies 3 & pour
acheteurs 3 vingt-quatre millions d’hommes !
On a ouï dire quelquefois 3 que fi Ton met des
obftacles à fintroduétion des ouvrages étrangers,
on gêne les propriétaires , & qu'en les gênant 3 on
tallentit leur empreffement à cultiver 5 comme fi
l'intérêt qu'ils ont à faire valoir leurs terres ,.étoit
fans celle dominé par leurs caprices & leurs ran-
taifîes , & que l'impuilfance de les fatisfaire fût
une véritable caufe de défefpoir & de mort ! ou
comme f i , ne pouvant pas avoir un habit de drap
Anglois par préférence au drap de Louviers , ils
ne voulurent plus avoir d'habits , & ne le fou-
ciaffent plus de revenus & de rentes !
En considérant tous les avantages que trouvent
les propriétaires dans la France 3 on reconnoît
qu il^ n'eft point cle pays où les obftacles à la H*
berte confiante d’exporter , foient plus in diffère ns
a leur bonheur. C e royaume joint à une population
immenfe , une réunion furprenante de toutes
fortes'd etabliflemens d ’induftrie , une variété féconde
de productions 3 tant par fon fol que par
celui de fes colonies, deux milliards d'argent mon-
noye , des richefles de toute efpèce entaffées par
le tems , que de moyens nombreux ouverts aux
propriétaires pour échanger le fuperflu de leurs
bleds, & pour les confoler, lorfque le bien général
leur prefcrit de ne vendre que dans leur pays
cette précieufe denrée i
Après avoir difcuté les droits des propriétaires
relativement à la liberté de l ’exportation des grainsy
palfons à l ’examen de la liberté & des droits du
commerce fous le même rapport.
Les droits de la liberté , dit-on , fontauflfifa-
crés que ceux de la propriété, & toute gêne les
offenfe 5 pourquoi mettroit-on des bornes à Tin-
duftrie ? Pourquoi m'empêcher de convertir mon
bled en argent , ou d'échanger mon argent contre
du bled ? Cette liberté eft l'ame du commerce ,
& le commerce eft la fource des richefîes.
N e peut on pas répondre viCforieufement à ces
objections , en ramenant la vue fur le premier objet
des fôciétés , & faire ces diftinCtions dans la
liberté ?
Il n'eft point de liberté falutaire , que celle qui
ne contrarie pas le bien général.
Je veux faire tout ce qui me plaît 5 voilà le voeu
de l'homme ifolé.
Je ne veux pas qu'un homme puifie faire ce qui
me blefie 5 voilà le voeu de la fociété.
Les deux premiers hommes qui fe réunirent,
firent, par un pacte fecret, le facrifice d'une portion
de leur liberté pour l'intérêt commun. L'un,
quoique plus fo r t , promit à l’autre de ne pas fe
mettre devant fon foleil 5 de ne pas jetter à la mer
les'fruits de leur pêche ou de leur chafle , quand
il en auroit trop j de ne pas l ’empêcher de mang
e r , lorfqu’ il n’auroit lui-même plus faim , dût-il
être incommodé par l’odeur des viandes. L ’autre,
plus foible, promit de ramafter le gibier, de l’apprêter,
d’arranger la cabane commune.
C e code , d’abord bien fimple , devint plus
compliqué , à mefure que le nombre des hommes
s’accrut ; mais le principe général de leur union
relia toujours le même, & la fcience des loix con-
fifte à fixer les degrés où la liberté individuelle
bleffe Tordre public.
O r , de toutes les libertés , la plus dangereufe ,
& celle dont le fruit, pour l’individu, eft hors de
toute proportion avec le dommage général, c'eft
la liberté de vendre des grains aux étrangers, quand
la fociété peut courir le rifque d’en manquer.
Que l’agent de quelques négocfàns étrangers
fafte forti r en peu de tems pour plufieurs millions I
de grains y il gagne un modique droit de commif-
fion j mais l'agitation dans les prix , le trouble, &
l ’inquiétude dans la fociété , voilà quelles en feront
les fuites j & le refpeCf pour la volonté d'un
feul, fera le malheur de tous !
En l'honneur de la liberté , on pourrait auffi
permettre à l’homme robufte d’améliorer fon fort
aux dépens du foible. Cette comparaifon n'a rien
que de jufte j car l’homme fort dans la fociété,
c’eft le propriétaire j le foible, c’eft l’homme fans
propriété.
Si T on y fait attention , on verra que la plupart
des loix prohibitives qu’on pourfuit au nom de la
liberté , font prefque toujours la fauve-garde du
pauvre contre le riche.
Plus un homme eft riche"en facultés d’une ou
d’autre efpèce, plus il defire de les exercer fans obf-
tacle j mais plus un homme en eft privé, plus il lui
convient que le pouvoir des hommes foit tempéré
par des loix équitables. Telles font celles qui s'op-
pofent à la liberté confiante d’exporter les grains y
elles peuvent mettre quelques bornes aux volontés
de l'homme riche, & aux prérogatives de fa propriété
5 mais elles protègent le pauvre & l’homme
qui vit de fon'travail, en prévenant la rareté de la
denrée néceflaire à leur vie j en empêchant , autant
qu’il eft poflïble, les variations dans les prix,
& leur hauflement, dont ils font toujours la v ic time.
Si la liberté confiante d’exporter les grains eft
fufceptible des plus grands dangers pour toute fociété
, & particulièrement pour la France , comme
on Ta démontré , il eft également aifé de faire
v o ir , que la défenfe abfolue & confiante d’exporter,
a , de même, des inconvéniens.
Les grains ne peuvent fe conferver fans de grands
foins & de grandes dépenfes j ils fe gâtent même
aftez promptement. Ainfi , mettre obfiacle à leur
fortie lorfqu il y a un fuperflu évident, & lorf-
qu’on a une provifion de prudence pour Tannee
fuivante , c’eft empêcher de convertir un bien
périlfable dans un bien durable, qui eft l’argent.
D ’ailleurs, une grande abondance feroit baifler
le prix fenfiblement j & fi les propriétaires ne pou-
voient-pas fe dédommager de cette baiflè , par la
vente de leur-fuperflu , iis fouffriroient un grand
dommage.
L ’amas d’un fuperflu entre les mains des propriétaires
, diminue la force de leurs prétentions,
comme le retranchement de ce même fuperflu
1 augmente j mais c’eft dans une proportion différente
, parce que la crainte de manquer du nécef- I
faire agît bien plus fur les confommateurs , que
l’embarras d’un fuperflu fur les propriétaires.
Après avoir ainfi difcuté dans la queftion des
grains, la liberté & la gêne abfolue, l’écrivain que
nous analyfons , propofe, entre ces deux extrêmes,
des modifications qui paroiftent très - rai fonnables,
mais il examine d’abord les effets de la circulation
intérieure des grains , & il conclut, que fi elle a
de grands avantages , elle n’eft pas exempte d’inconvéniens.
-
Il eft aifé de fentir combien il eft: conforme aux
principes de la juftice & de la fociété, de permettre
que des provinces qui n’ont qu’un même fou-
verain, qui font peuplées de frères, de parens &
d’amis , s’entr’aiaent mutuellement, les unes en
recevant un fecours qui leur eft néceftaire , les
autres , en échangeant un fuperflu qui leur feroit
inutile. Mais les agens naturels de ces échanges ,
qui font les marchands, doivent être regardés comme
des propriétaires d'argent ou de créd it, q u i,
cherchant à faire valoir l’un & l’autre , occafion-
nent des renchériffemens par leurs entreprifes &
des achats confidérable-s.
C ’eft une expérience fréquente, que fi les marchands
fe préfentent en foule , s’ils vont arrher
des grains en différens lieux pour les tranfporter
en un feul , cette opération agite d’abord les ef-
prits , répand enfuite l’inquiétude , & influe fur
les prix , par la raifon qu’on ne peut pas calculer
les rapports des befoins aux quantités de grains
exiftantes, & que la crainte de manquer du nécef-
faire agit vivement fur l’imagination.
D ’ailleurs, fans l’intervention des marchands,
les confommateurs auraient à traiter directement:
avec les propriétaires des grains , & ceux-ci font
en plus grand nombre que les marchands, dont un
feul repréfente fouvent , vingt, trente, des premiers.
Il eft donc évident q ue , dans le commerce
des bleds , l’intervention des marchands qui eft
favorable aux propriétaires vendeurs, diminueleur
concurrence, & renchérit néceflairement, pour le
confommateur , le prix des grains^ puifqu'il faut
bien qu’ils bénéficient pour leurs capitaux , pour
leurs peines , & pour les agens fubordonnés qu’ils
emploient.
Les modifications que notre auteur juge propres
à tempérer les dangers d’ une exportation libre &
d’une prohibition abfolue, confiftent,
A ne laiffer fortir que les farines j
A ne permettre l’exportation du bled que Jorf-
qu'il feroit tombé à vingt livres le feptier ou au-
defious, pendant deux marchés confécutifs , dans
les lieux de fortie $
A n’établir cette loi que pendant dix ans j
A ordonner qu'il y eût une provifion modique