bien ou mal fondée fur les moyens d'atteindre a fa
fubfiftance , s'empare de lui , comme cette inquiétude
frappe le feul fentiment auquel il eft accoutumé
, toute fon énergie fe réveille 3 8c ce peuple
enfant 3 qu'on conduit avec des lifîèïes au milieu
de l'inégalité des propriétés , & à travers mille objets
de privation & d'envie , devient un lion qui
ju g i t , quand il craint pour fon néceffaire.
En vain diroit-on que les principes de la juftice
font inaltérables , qu’on ne doit jamais les foumet-
tre aux paffions des hommes , & que fi le peuple
n’entend pas raifon , il faut l ’y amener par la
force.
Mais quand la force veut heurter un fentiment
généralj ne fe change-t-elle pas en tyrannie? Toute
erreur qui tient d'ailleurs à la nature humaine , ne
doit-elle pas être traitée comme une raifon?
Ainfi, pourra- t-on dire, les préjugés du peuple
feront la loi j fans doute ils la feront, 8c doivent la
faire , toutes les fois que ces préjugés feront inhé-
xens à fa nature. Mais qu’on ne s'effraye point de
cette vérité ; le peuple n'aura jamais qu'un feul
fentiment énergique & puiflant 3 c'eft celui qui
tient à fa fubfiftance.
II s'accoutume à la haufle infenfible du prix des
hleds 3 parce que celui de fon travail s’y proportionne
; mais un renchérififement fubit 8c considérable
Tirritera toujours. Il faut donc que le gouvernement
prévienne ces fortes de mouvemens
dans les prix , autant que les loix peuvent y .parvenir.
Les loix s'accorderont , fans doute , avec
le plus grand avantage de la fociété 5 mais elles fe-
roient encore fages 3 lors même qu’elles paroî-
troient contraires aux principes qu'on auroit adoptés
3 comme les plus conformes à la profpérité du
royaume ; car cette profpérité ne peut être fondée
que fur la félicité publique 3 & cette félicité ne
jpeut jamais dépendre uniquement d'un fyftême ,
parce que la condition efientielle du bonheur ,
c ’eft le fentiment qu’on en a. A inîî3 toutes les fois
que pour mener à ce qu'on eftime le bien de l’Etat,
il faut entretenir dans l'inquiétude le plus grand
nombre des citoyens, ce bien alors n'eft plus un
bien. ' . : • ; • . ^ .r:
Quand on voudra donc foumettre la pafîion dominante
du peuple à un fyftême général , on fe
méprendra j c’eft , au contraire, le fyftême qu'il
faut combiner avec cette paflion 5 elle eft comme
la donnée en adminiftration j c'eft la force des vagues
de la mer qu'il faut calculer , en élevant une
digue fur le rivage.
En continuant d'examiner la liberté de l'exportation
des grains y on pourroit affurer que les loix
relatives aux fubfiftances font prefque les feules
par lefquelles on peut adoucir le fort du peuple ,
& qu'elles font même plus efficaces que la diminution,
que l'exemption même des impôts..
Indiquons donc d'abord la fource de la mifèrfi
du peuple, & ce qu'il faut entendre par peuple.
On difpute fouvent fur les caufes de l'infortune
du peuple 3 les pauvres en gémiffent fans l'étudier,
& les riches qui ont le tems de réfléchir & de
s’inftruire , ne manquent jamais d’ attribuer uniquement
cette infortune à l'excès des impôts. Ils
croyent fuffifamment exercer leur compaffion , en
accufant le gouvernement d'ignorance 8c d’inconduite
, & en difant de tems en tems au coin de
leur feu : Ce pauvre peuple ! comme il eft mené! tandis
que fa mifère eft leur ouvrage , l’effet inévitable
de leurs droits, & de l’ ufage qu'ils en font.
On entend par peuple , la partie de la nation
qui eft née fans propriétés , de parens à-peu-près
dans le même état , & qui n'ayant pu recevoir
d’eux , aucune éducation , font réduits à leurs facultés
naturelles , 8c n’ont d'autre pofleffion que
leur force, ou quelque art groffier & facile. C ’eft
f a clafle la plus nombreufe de la fociété, & la plus
miférable , puifque fa fubfiftance dépend uniquement
de fon travail journalier.
Le peuple ainfi défini, d'où vient fa mifère dans
tous les tems., dans tous les pays , & quelle en
fera la fource éternelle ?
C ’eft le pouvoir qu'ont tes propriétaires , de ne
donner en échange d’un travail qui leur eft agréable,
que le plus petit falaire poflible j c'eft-à-dire,
celui qui repréfente le plus étroit néceffaire.
O r , ce pouvoir entre les mains des propriétaires
eft fondé fur leur très-petit nombre , en corii-
paraifon de celui des hommes fans propriétés> fur
la grande concurrence de ces derniers , & principalement
fur la prodigieufe inégalité qui fe trouve
entre les hommes qui vendent leur travail pour
vivre aujourd’hui , 8c ceux qui l’achetent pour
augmenter fimplement leur luxe ou leurs commodités
j les uns font prefles par i'inftant, les autres
ne le font point 5 les uns donneront toujours la
lo i , les autres/feront toujours contraints de la recevoir.
C ’eft à cès différens rapports qu'il faut attribuer
l'empire du propriétaire fur l'homme fans propriété
: cet empire ne changera jamais : il augmente
, au contraire , par l'effet de deux circonf-
tances;
L’une, c’eft que les propriétés tendent plutôt à
fe raffembler qu’à fe divifer. La pauvreté ne peut
pas tirer parti des terres qui exigent des avances ;
elle ne fait pas fe défendre contre les impôts arbitraires
; elle ne jouit pas communément des prérogatives
attachées à la noblefle j les petites pof-
feffions fe réunifient donc infenfiblement dans les
mains des riches, le nombre des propriétaires diminue
, & ils peuvent alors diéter une loi plus
impérieufe aux homjnes dont ils achètent le tra-
Vâil î car dans tout échange , la force dès vendeurs
& des acheteurs dépend en partie du nombre
refpe&if des uns & des autres.
Enfin, la fécondé circonftance qui tend à affoi-
blir la réfiftance des hommes induftrieux , lutrant
pour leurs falaires, contre les hommes proprietaires
, c’eft qu'à mefure que la fociete vieillie, il
s'amafle une très-grande quantité d’ouvrages d in-
duftrie , propres au luxe ou à la commodité , vu
que la durée d’un grand nombre de ces ouvrages
furpaffe la vie des hommes ; tels font tous les bijoux
, les glaces, les édifices , les diamans , la
vaiffelle, & beaucoup d’autres objets encore. C et
amas de richefles qui s’accroît journellement, établit
une concurrence fourde & permanente contre
le travail nouveau des ouvriers , & rend leurs
prétentions plus impuiflantes.
Les propriétaires ont donc toute la force ne-
ceffaire pour réduire au plus basprix poflible, la re-
compenfede la plupart des travaux qu'on leur con-
facre , & cette puifiance eft trop conforme à leur
intérêt, pour qu’ils renoncent jamais à en profiter.
Suppofons donc que vingt fols foient le prix auquel
ils peuvent réduire la journée d'un homme
©bligé de fe nourrir avec fa famille 5 fuppofons, en
même tems, que ce journalie/pàyeün fol par jour
au tréfor public.
Si cet homme eft déchargé de cet impôt , fa
journée ne tardera pas à être réduite à dix-neuf
fols , parce que les propriétaires tendent toujours
à ufer de leur puiftance , & que celle des journaliers
ne peut y réfifter.
Ainfi , quelle que foit la dîftributîon des impôts
» le peuple eft condamné, par l'effet des loix
de propriété, à ^'obtenir jamais que le néceffaire
en échange de fon travail. A moins donc de détruire
ces loix , & de troubler fans celle l’ordre
public par le partage des terres , l'autorité fouve-
raine & légiflative ne peut exercer fa bienfaifance
envers le peuple, qu’en lui affurant du moins , ce
néceffaire-auquel il eft réduit 5 qu’en le préfervant
d'inquiétude à* cet égard ; qu’en prévenant les
commotions dans les prix qui dérangent les rapports
établis entre le travail & fa fubfiftance. Tous
ces foins , toutes ces précautions, dépendent uniquement
de la fagefle des loix fur les grains.
Sous ce point de vue , c’ eft aufouverain à s'occuper
de la fubfiftance de fes fujets , & à les défendre
contre l'infortune.
Il ne peut le faire , s'écrie-t-on , qu'en gênant
les droits de la propriété , ceux de la liberté du
commerce, 8c ces droits font inviolables par leur
nature 5 y porter la moindre atteinte , c'eft ébranler
les fondemens de la juftice , c'eft bouleyerfer
l ’ordre public.
Mon bled eft à moi , dit un propriétaire } jà
puis le vendre où & quand il me plaît.
Le négociant, de fon côté, s'écrie : Ferfonne
n'a le droit de me gêner dans mes échanges, d'arrêter
mon induftrie.
C'eft avec ces noms refpe&ables de liberté 8c
de propriété , avec ces grands mots d'un feus
étendu à l ’infini, qu’on induit à erreur, 8c qu’on
entraîne les fuffrages en faveur de l'exportation
des grains ; qu’on a l'air de défendre la caufe publique
, tandis qu'on l’offenfe de la manière la plu«
fennble.
La propriété héréditaire eft une loi des' hommes
j elle fut établie pour leur bonheur , & c'eft
à cette condition qu’elle eft maintenue. Mais fi la.
fubfiftance des hommes n'étoit pas fixée par la nature
, & qu'il fût poflible aux propriétaires de
trouver leur plaifîr à confumer la nourriture de
plufieurs milliers d’hommes , les privilèges de la
propriété ne pourraient fe foutenir , 8c les loix
qui les garantirent ne tarderoient pas à être en-
fraintes.
Qu’eft-ce donc qui affiire la fiabilité de ces privilèges
? c'eft de ne pas entraîner la diminution de
l'efpèce humaine 5 c’eft que la qualité de grand
propriétaire ne peut pas faire trouver du plaifîr à
manger mille quantités de pain, au lieu d’une >
c’eft que dans la permiffion donnée aux riches d’échanger
tout leur bled fuperflu,contre le travail des
hommes, & de vivre ainfi dans l’ oifiveté , l’aug*
' mentation de bonheur qui réfulte pour eux de cet
avantage , eft trop obfcure & trop incertaine ,
- pour que la fociété art un intérêt fuffifant à y mettre
obftacle, 8c à renverfer , pour y parvenir, les
loix qui affurent les héritages , & qui foumettent
à un principe général la difpofition de tous les
biens de la terre 5 loix qui excitent l’induftrie , SC
fafis lefquelles la fociété feroit livrée à toutes les
paffions, & à un bouleverfementcontinuel.
Les privilèges de- la propriété a y an t, comme
on le v o it, un rapport effentiel avec le bien général
, l’intérêt de ce bien général a pu y appofer
des exceptions. La fociété a pii dire , & eft cenfée
avoir dit aux propriétaires avec la plus parfaite
juftice : Chacun de vous tiendra dans fes mains la
fubfiftance d'un grand nombre d'hommes nous vous
permettons d'exiger d'eux , en les nourrijfant , tel
travail qui vous fera le plus convenable j forcer-les s
(i vous voule%3 a s'appliquer a divers talens pour vous
plaire ou vous fervir; jouijfef de leurs peines au fein de
l'oifiveté ; .mais nallez pas jufqu'a nourrir des étrangers
par préférence, cette difpofition feroit un attentai
au contrat focial que vous forme\ avec nous , 6’ nous
avec vous. S i ces étrangers ont des biens que vous
defire^j ojfre^-leur en échange les fruits de l'induftrie
de vos compatriotes ; vous fere\ fatisfaits 3 fans