
que Ia fcience de Fadminiftration ne fauroit arrêter
, il a aiiffi des excès que les loix , la fa-
geffe du gouvernement, les moeurs & l’opinion
publique , peuvent au moins tempérer.
En effet, quelle que foit la fomme des biens
divers qui s’accumulent dans la fociété , ou par la
perfection de l’efprit d’induftrie, ou par toutes
les inventions qui facilitent les travaux de la
main-d’oeuvre 5 fi la difproportion entre les propriétés
étoit moins considérable , le nombre des
particuliers qui peuvent atteindre à de fimples
commodités 3 s’accroîtroit ; & le nombre de ceux
qui fe trouvent en état d’employer une grande
partie de leurs revenus , dans des fuperfluités écla-
tante.s , diminueroit en proportion. Sans doute la
plupart de ces inégalités ne peuvent être ni changées
ni prévenues : l’ordre commun des héritages >
la fortune du commerce , les relations d’intérêt
que tous les hommes ont entr’eux 3 le mouvement
continuel d’une grande fociété , les fautes dès uns,
l ’intelligence des autres, toutes ces circonftan-
ces introduifent inévitablement de grandes difpa-
rités dans le partage des biens : & plus un pays
eft riche par fa nature 3 plus ces difparités peuvent
s'étendre & frapper les regards.
Le gouvernement ne fauroit intervenir .habi-'
tuellement , au milieu de cette immenfe circulation
3 fans rifquer de produire de plus grands
maux que ceux auxquels il voudroit remédier j
mais, au moins , il doit s’abftenir d’augmenter
lui-même ces disproportions 3 par une adminiftration
inconfidérée : or , rien n’eft plus contraire
à l’égalité des parts, qu’un prélèvement d’argent
fait fur la généralité d’un Royaume , au
profit d’ un petit nombre de perfonnes déjà favo-
xifées par leur fituation. Cependant , c’eft précisément
ce qu’exécute un mauvais gouvernement 3
lorfqu’une partie des impôts eft confumée, ou
par des dons exceffifs, ou par des émolumens
confidérables attachés à des places inutiles , ou
par la trop grande fortune qu’on laiffe faire aux
gens de finance. On peut encore obferver 3 a cette
occafion , que ç’ eft du luxe s introduit par les lar-
geffes ou par la nonchalance de l’adminiftration 3
que le public eft fur-tout bleffé > il fupporte avec
patience, les avantages & la fupériorité que les
droits de la propriété diftribuent 5 mais ces fortunes
compofées des tributs de chaque citoyen-, deviennent
une fource continuelle de réclamation &
d’envie.
Le défaut d’ordre dans l’adminiftration des finances
3 & la défiance qui en réfulte 3 font encore
une caufe indireCte de l’accroiffement des
difproportions, dans la diftribution des biens :
car dans tous les befoins extraordinaires 3 le dif-
crédit oblige de recourir à des emprunts à un très-
haut intérêt 5 & de cette manière, les revenus du
louverain, qui font compofés des contributions
de tous les habitans du Royaume , fe répartiffent
au profit de la claffe cjrconfcrite des capitaliftes
rentiers, qui font prefque tous réunis dans les
grandes villes.
.Aînfi , l’accroiffement de l ’inégalité des fortunes
& les progrès du luxe 3 font un reproche de plus
a faire à l’adminiftration publique 3 toutes les fois
qu’elle s’écarte des principes d’ordre & de jufticc
qui doivent fervir de règle à fa conduite.
Que f i , au contraire 3 & par un fyftême fou-
tenu d’économie , les chers du gouvernement
viennent à bout de diminuer les impôts 3 en ré-
duifant le prix de l’intérêt 3 & en reftreignant l’étendue
des grâces & des prodigalités 3 ils refti-
tuent alors à la maffe générale 3 tout ce qu’ils
fouftraient à l’envahiffement des particuliers ; &
en diminuant de cette manière l’inégalité des fortunés
, ils s’opoofent félon leurs forces 3 & par
des moyens juftes , à l’accélération des progrès
du luxe'.
On en rendra toujours l’effet extérieur un peu
moins fenfible , toutes les fois qu’on s’ efforcera de
rapprocher d’un état plus aifé, cette claffe nom-
breufe d’hommes que les loix fociales , & l’empire
de la propiété, réduifent à des jôuiffances
fi circonfcrites. Le voeu du bon roi Henri eft
malheureufement impoffible à fatisfaire 5 mais ,
àinfi que j’ai déjà eu occafion de le dire ^ la nature
des impôts 3 les principes de répartition
les formes de recouvrement, l ’établiffement des
travaux publics qui foutiennent Je prix dès journées
, la diftribution des fecours dans les faifons
malheureufes, la furveillance fur l’abus de la li-,
berté dans le commerce des grains, la deftru&ion
fucceflive des corvées, les foins 3 en général,
qu’on pourroit attendre de l ’établiffement d’une
adminiftration paternelle dans chaque province ,
& tant d’autres difpofitions qui émanent de la
puiffance du fouverain , font des moyens offerts
au gouvernement, pour diminuer un peu l’im-
menfe intervalle qui exifte entre le fort d’une
des claffes de la fociété, & celui de toutes les
autres.
Enfin , il eft encore une manière de tempérer
les effets du luxe ; c’eft d’animer dans une nation
, l’efprit de bienfaifance j car toutes les dé-
penfes qui tiennent^ à ce précieux fentiment, ont
le double avantage, & d’adoucir le fort du pauvre
, & de prendre fur la part que les riches peuvent
appliquer à des objets de magnificence.
Ainfi les citoyens, généreux avec difcerne-
ment, réparent dans la proportion de leurs fa-,
cultés y les fautes des gouvernemens inconfidé-
rés 5 ceux - c i , par la trop grande étendue des
impôts , enlèvent au peuple une petite part de
fon néceffaire, pour ajouter à l’aifance de ceux
qui font déjà favorifés par la fortune : le .riche.
bien fai faut, au contraire , diminue l’inégalité des
premières répartitions, en deftinant une partie de
fon fuperflu au foulagement de la claffe la plus
indigente de la fociété. Mais , demandera-t-on
peut-être, quelle influence un fouverain peut-il
avoir fur cet efprit de bienfaifance ? Celle qui
naîtra conftamment de fon approbation, de fes
encouragemens & de l’afcendant d’un grand
exemple.
•Un feigncur riche & vertueux fait le bonheur
de fes vaffaux, il emploie une partie de fa fortune
à encourager des travaux utiles, & il fe
fait un devoir de paffer quelque tems dans fes terres
, pour y connoître l’infortune & pour la fou-
lager : que cet homme eflimable , lorfqu’ il vient
à la cou r , y .foit diftingué de ceux dont.la conduite
eft fi différente jv, que dans une claffe plus
éloignée des regards du trône, les miniftres, au
nom du prince, donnent des marques de considération'
aux citoyens qui acquièrent des droits à
l’eftime publique j qu’enfin , les Etats , les admi-
niftrations provinciales,, excités par le gouverne-
-ment-, fécondent ce mouvement Salutaire, & l’ef-
prit public changera.
Que cherche-t-on dans les dépenfes éclatantes,
fi ce n’eft cette confidération attachée à l’idée de
la richeffe ? mais un mot , mais un regard du
prince -3 dans une monarchie , exaltent plus l ’imagination
que toutes les autres vanités. Enfin,
près de tant de chimères, qu’on pourfuit avec ardeur
, les qualités morales auffi , peuvent devenir
un objet d’émulation, & la révolution feroit facile
, fi ces qualités pouvoient fervir jufques
dans la carrière de l’ambition.
J’ ai vu, manifeftement, pendant le cours de mon
adminiftration , que les diverfes difpofitions bien-
fai fantes dont fa majefté étoit occupée, aVoient
entraîné beaucoup d’aCtions généreufes de la parc
des particuliers : il n’éft aucune nation plus ,fuf_
ceptible de ce mouvement d’imitation, que la na_
tion Ftançoife , & cette confidération rend d’au_
tant plus précieufes les vertus de fon fouverain.
Enfin , le monarque en France peut encore ref-
treindre le luxe , en obligeant à la réfidence , tous
ceux qui exercent en province de grandes fonctions
civiles, eccléfîaftiques ou militaires. C ’eft
dans les lieux où l’on eft contenu par les devoirs
d’un Etat 5 c’eft dans les villes d’une médiocre
étendue, que là fageffe de la conduite eft plus ob-
fervie : les grands théâtres excitent les talens 5
mais les petits font plus favorables aux vertus
morales.
C e n’eft guères que dans la capitale, où l’on
voit ce genre de luxe qui naît du relâchement abfolu
des principes 5 l’éducation abrégée qu’on y reçoit ;
l’indépendance que les grands feigneurs y acquièrent
de trop bonne heure , en fe mariant avant
1 âge de rai fon > le peu de te me qu’ils donnent à
la connoiffanc.e de leurs affaires 5 enfin, l’efpoir
de réparer fa fortune, les uns par les grâces du
fouverain , les autres par des intérêts dans les a f faires
: toutes ces caufes diinfouciance & de dé-
fordre ; groffiffent fouvent les dépenfes des particuliers
, en proportion des fommes qu’ils trouvent
à emprunter j & le dérèglement des moeurs
& de la conduite, introduit ainli une forte de
luxe qu’on peut confidérer comme étrangère à la
difparité naturelle des richeffes.
On fuppoferoit un obftacle à l ’accroiffement
journalier de cet abus, en accélérant les effets de
l’aétion civile envers les débiteurs qui manquent à
leurs engagemens : la conceffion trop facile des
lettres de furféance , eft fur-tout contraire au but
moral qu’on doit fe propofer ; puifque c ’eft un
moyen de diminuer les dangérs attachés au défor-
dre : mais en fe refufant généralement à cette faveur
, il faudroit aufli s’occuper de la diminution
des frais auxquels toutes les grandes liquidations
judiciaires font affujettics.
Les loix qui , dans quelques pays , & dans certaines
coutumes de France , affurent tous les biens
d’un père aux aînés, & celles qui étendent trop
loin les fubftitutions , font favorables au luxe ,
puifque ces loix entretiennent l’inégalité des richeffes.
La répartition d’une grande partie des impôts
fur les objets de fafte & de fuperfluité, eft une
difpofition très-fage , puifque c’eft un moyen propre
à diminuer l’effet de la fupériorité des fortunes.
Quelques écrivains ont eu tort d’avancer
qu’on n’avoit pas cette politique en France. Je ne
déciderai „point fi les impôts fur le luxe doivent
leur origine à de grandes vues d’adminiftration ;
mais on ne peut contefter que cette forte de ref-
fource ne foit depuis long-tems employée : les valets
font taxés par la capitation j les chevaux d’équipage
, par des droits établis fur les denrées
deftinées à leur nourriture ; la table des riches ,
par des impôts fur toutes les confommations recherchées
i les ouvrages d’or & d’argent, par des
droits de contrôle ; diverfes fuperfluités, telles
que les cartes, le tabac, l’amidon , la poudre de
chaffe, & beaucoup d'autres objets femblables *
fupportent des impôts confidérables j & le fucre
8c le café font renchéris par les mêmes mpyens.
Enfin, en n’oubliant rien pour étendre les revenus
publics, la dépenfe des riches n’a point
échappé à l’intelligence fifcale j mais les impôts
fur le luxe ont un terme que les fermiers eux-mêmes
confeillent pour leur propre intérêt, afin que
Ta&ivité de la contre-bande 'puiffe être dans une
forte de balance avec les précautions qu’on-peut
prendre contr’elle. Cependant , lors même que
ces confidérattons n’exifteroient point, il y au-
roit encore une mefure à obferver dans l’étendue
des impôts fur les objets de luxe : on manqueroit de
politique fi l’on portoitune atteinte trop fenfible à
F f f f f ij