
Je crois inutile de vous prévenir, que ce changement
d'état à l'égard des droits de traite, n'en
apportera aucun à votre gabelle , ni aux autres
privilèges dont vous jouiflez.
Je vous prie, M . , de conférer avec votre compagnie
fur l’objet de cette lettre ,. & de me faire
part des obfervations qui vous auront été faites.
L e roi defire , pour l'intérêt de la province même,
que ce prpjet ait fon exécution , & je ferai
très-emprefle de faire valoir auprès de fa majefte ,
les foins que vous vous donnerez pour y parvenir.
«
J'ai l'honneur d'être, & c .
Laconnoiflance de cette lettre excita diverfes
fenfations en Lorraine. Les propriétaires de fonds,
les entrepreneurs de forges, d’ ufines, & les fabri-
cans , ne voyoient que de l’avantage dans la reunion
propofée ; mais les négocians avoient une
autre manière de voir , & le même intérêt qu’en
1761.
On rapporte qu’ils confultèrent leur ancien
confrère , l’auteur des Lettres d’un Citoyen , qui ,
alors, étoit parvenu à une place honnête dans les
affaires , & à qui le miniftre , occupé de la prof-
périté de la Lorraine , en accorda bientôt une autre
plus diftinguée encore , dans l’adminiftration
des finances.
C e fut cet écrivain , qui , fuivant le bruit général
, remit au jour, dans le mémoire qu’il fit
pour les négocians , tous les argumens fpécieux ,
toutes les objections infidieufes , même les contradictions
évidentes qu’on a vues ci-devant relevées,
quoique depuis 1761, il eût cependant eu
le tems de s’éclair fur les véritables effets de la
réunion propofée, & quoiqu'il fut à portée, plus
que perfonne , d’être convaincu de la rectitude
des intentions du miniftre qui la propofoit.
A u relie , ce' mémoire contenoit fix chefs ,
qu’on ne préfentera pas en détail , parce qu'ils
rentrent dans les objections déjà réfutées, il fuf-
fira de donner un précis de la réponfe qui y Fut
Faîte, & dans laquelle on confîdère l'intérêt particulier
de la province , & l’intérêt général du
royaume.
C e qui eft firigulier, c’eft que tandis qu'un petit
nombre d’habitans de la Lorraine combattoit
par des motifs perfonnels, le plan propofé par le
miniftère. ; le plus grand nombre des véritables
citoyens , des propriétaires & entrepreneurs de
fabriques , lui adrefloît déjà des remercîmens
pour les vues qu’il maniFeftoit.
« On n’apperçoit pas les motiFs de la diftinCtion
établie dans le mémoire des négocians , entre les
confommateurs & les propriétaires , entre.les Fa-
bricans & le commerce. Une nation femble ne
pouvoir être compofée que de deux clafles d'hommes
; celle des propriétaires , & celle des gens
vivans de leur induftrie. Si ^’incorporation de la
Lorraine aux cinq groffes Fermes, eft avantageufe à
la première claffe ; fi , comme on en convient, il
en réfulte une augmentation de valeur dans les
propriétés , x'eft l’avantage réel de la province :
car la véritable richefle d’ un pays eft dans le fol.
L’agriculture n'eft floriflante qu'avec l’induftrie ,
& l'induftrie, à fon tour , anime l’agriculture ,
parce qu’elle emploie toutes fes productions. Les
forces & la population font enfuite les effets né-
ceflaires de l’aifance , répandue généralement par
les progrès des cultivateurs, & par les fuccès des
hommes induftrieux.
Suppofer que l ’agriculture eft portée, en Lor-
raine , à fa perfeCtion , & qu’elle n’a pas befoin
des arts, c’eft avancer un fait contredit par la vérité
, puifque peu de lignes après , on dit que la
caufe la plus vraifemblable de la langueur aCtuelle
des fabriques , vient de la concurrence ouverte
aux marchandifes étrangères j n’eft-ce pas convenir
que la population n’eft ni auffi nombreufe,
ni aufli aifée qu’elle pourroit l’être , & que con-
féquemment l’agriculture n’a pas toute l’étendue
dont elle eft fufceptible ?
Ajouter qu’en interdifant cette concurrence,
on fera profpérer , à la vérité , les fabriques,
mais qu'on préparera en même tems la ruine de
celles qui confomment des bois , & qu’on opérera
la difette générale de cette denrée , c’eft
adopter une chimère déjà prêfentée en 1 7 6 1 , &.
détruite par les raifonnemens de M. l’abbé M orellet.
Peut-on fuppofer que le nombre des ufinesj
des forges , faïanceries & verreries , fe multipliera
, lorfqu’one plus grande confommation de
bois en caufera la cherté , & lorfque la main-
d’oeuvre fera renchérie ? N ’eft-il pas naturel de
croire, qu’il s’ établira un niveau entre le nombre
de ces fabriques & la mafle des fournitures qu’elles
auront à faire, & que l’intérêt de leur confer-
vation réglera les befoins de leur confommation 2
Tout ce qui eft dit fur les manufactures d’étofc
fes , paroît aufii difficile à concilier. On les repréfente
comme hors d’état de fuffire à ce qui
leur eft commandé , & néanmoins on fouhaite
que , pour les faire fleurir , le gouvernement les
charge de fabriquer les habillemens des troupes.
On rapporte que les fabriquans fe plaignent
d’un préjugé populaire, qui leur ôte les moyens
de faire filer & préparer les matières premières $
& cependant on aflure qu'elles font toutes façonnées
& ouvrées dans la province , &-que les
progrès de*s manufactures font affez fatisfaifans
pour qu’elles n'aient pas befoin d’être garanties
des manufactures étrangères.
En voyant le commerce des marchandifes f!ra»T
gères anéanti, par la réunion projettée, on donne
à craindre que les négocians qui le font ne s’expatrient
} comme fi la perte de quelques habitans,
dont la fortune opère la misère de leurs compatriotes
, & fe fonde fur la ruine de la patrie,
pouvoit être à regretter, & fe comparer a des
milliers de citoyens qui deviendront^ plus heureux
, par la certitude de n’être jamais oififs !
Une autre objection déduite encore de l’a - .
néantiflement du commerce des marchandifes
étrangères i c’eft qu’on prétend que l’exportation
des productions du fol, fur-tout celle des vinjs,
pourra fouffrir lorfqu’elle fera encore reftreinte
par des droits. Il fe préfente une réponfe bien
fimple à cet article.
Les étrangers qui enlèvent ces productions naturelles,
viennent-ils les chercher pour obliger
les Lorrains, ou parce qu’ elles font néceflaires à
leurs propres befoins, ou même au commerce
qu’ils font avec des pays plus reculés? Dans ce
dernier cas que confirme l’expérience, la Lorraine
fe trouvera au pair des autres provinces du
Royaume , dont les vins feront enlevés malgré les
droits qu’ils acquittent. Ces droits ne font que de
dix livres par tonneau, fai faut trois muids, ce qui
revient, compris les huit fols pour livre, à quatre
livres treize fols huit deniers par muid, ou
près de quatre deniers par bouteille.
D ’ailleurs, fi l’agriculture eft plus floriflante ,
fi les fabriques profpèrent, comme perfonne n’ en
doute , les confommations intérieures augmenteront
avec la population. De-là, moins de denrées
du fol à exporter à l ’étranger j ou celles qu’on lui
fournira, feront fucceffivement remplacées par les
mêmes efpèces, tirées de la Champagne, fans
gêne & fans droits..
Si ce commerce étranger, au lieu de fe fi^re
uniquement avec les productions du fo l , porte en
partie fur les produits des arts ; c’ eft alors le plus
grand bonheur de la province, puis qu’indépen-
damment des débouchés étrangers , liés à fa pofi-
tion, elle en auraencore , en grand nombre, & affranchis
de tous droits, dans l’intérieur des cinq
groffes fermes , qui font , quoiqu’on en d ife ,
plus de la moitié du royaume, & dont la libre
communication ne peut rien laiffer à regretter à la
Lorraine de tout autre côté. Les propriétaires
& entrepreneurs des manufactures, fabriques &
ufines de la Lorraine & des trois évêchés , fentent
déjà fi vivement les avantages de cette réunion ,
qu’ils viennent d’avance,d’en adreffer leurs remerci-
mens au r o i, par une requête j & ces fabriques,
en effet, défendues parle tarif de 1664, de la
concurrence étrangère , vivifieroient là province ,
en répandant dans toutes les clafîes une activité &
une aifance qui accroîtroient la population & les
forces de la province.
En ajoutant à ce tableau que l’intérêt général
de l ’Etat réfide dans la profpérité de toutes les
parties qui le compofent, & que cet objet n’eft
rempli qu’autant que chaque province eft aufli riche
& aufli peuplée qu’elle peut l’être, on aura
répondu à tomes les obfervations qui méritoient
quelque attention. On pafle fous filence celle qui
a rapport à la néceflité de féparer le royaume du
pays étranger, & qui tend à perfuader qu’ il eft
indifférent, que la barrière foit en Lorraine ou en
Champagne. Un argument aufli captieux n’ a befoin
que d’être remarqué pour ceffer d’être dangereux.
Autant vaudroit dire, à quoi fervent les
barrières qui ferment le royaume, elles font fou-
vent franchies par la fraude & la contrebande ;
leur inutilité eft prouvée par ce fait j il faut
les abattre. De pareils raifonnemens ne peuvent
empêcher de conclure, que l’incorporation
de la Lorraine aux cinq greffes fermes , eft également
dans l’intérêt particulier de cette province,
& dans l’intérêt général de l ’Etat.»
La Lorraine à l’égard des droits de domaine,
eft fujette à tous ceux qui font du refîort de cette
partie , & fe lèvent dans les autres provinces ;
iauf qu’il n’y a point de droits réfervés fur les
fentences & arrêts , & qu*on y donne le nom de
droit de fe e l, aux droits d’infinuation & de centième
denier.
Le produit des droits de contrôle & autres
domaniaux , ne s’élève qu’ à environ cinq cens
mille livres.
Mais les domaines réels, confiftans en fonds,
feigneuries, cens & rentes, & les bois donnent une
recette de plus de deux millions.
, On a vu au mot Généralité que tout ce
qui eft compris dans celle de N an c y , n’eft pas fu-
jet à la capitation, ni aux droits d’aides, ni à
ceux de la marque d’or & d’argent, & des octrois
municipaux.
D ’après les anciennes ordonnances des ducs de
Lorraine, notamment celles de 1696, 1703 , 1709
& 17 10 , tout étranger catholique & de bonnes
moeurs , pouvoit s’établir librement dans cet
E tat, & y exercer toute profeflîon lic ite , fans
être obligé de prendre des lettres d’apprentiffage
ou de maïtrife.
Mais les chofes ont changé en 1779 j 1a. réforme
qui a été faite dans les corporations, ou
communautés d’arts & métiers ; la nouvelle conf-
titution qui leur a été donnée , ne permet plus
cette liberté.
Comme l’arrangement qui a été fait à cet
égard dans cette province, préfente des refîour-
ces au fife par la création & réunion de différentes
maîtrifes d’ arts & métiers , dans lefquelles
on ne peut être admis qu’en payant des droits au
tréfor des parties cafuelles 5 il n’eft pas inutile de
rapporter un précis de la lo i , qui a établi ce nouvel
ordre de chofes.'
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