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L ’effet de ce nouvel arrêt a été vivement fenti
dans les ports ; tous les négocians des places maritimes
ont jetté les cris d'une alarme générale >
toutes les chambres de commerce ont élevé leurs
voix pour adreffer des repréfentations contre cette
admiflion indéfinie des étrangers dans nos i/les.
Les partifans de la liberté ont écrit aufïi en faveur
de leur opinion 5 8c le miniftèrë , qui ne veut
que le bien, a lai fie imprimer des deux côtés tout
ce qui a pu tendre à l’éclaircifîement d’une quef-
tion fi intéreflante.
Nous livrerons donc auflî notre opinion à la
difcuflion publique.
Il femble que d’après la légiflation établie à
cet égard dans toute l’Europe , d’après les
termes des réglemens de 1698, de 1717 &
& 1 7 2 7 , on ne pouvoit & on ne devoit pas
s’attendre à d’aufli grands changemens. Avant de
rappeller quelques-unes des principales difpofî-
tions de la loi de 172.7, qui profcrit toute relation
des colonies avec les étrangers , pofons ici
un principe univerfellement reconnu , 8c configné
dans l’efprit des loix. Ôn ne foupçonnera fûrement
pas l’illufire auteur de cet ouvrage d’avoir voulu
reftreindreles droits du genre humain, 8c favorifer
la tyrannie , tom, I I , de Cédition in-1 2 , Londres,
17 5 7 ? l?aS- 349*
.« On a établi que la métropole feule pourroit
*5 négocier avec fes colonies, & cela avec grande
» raifon, parce que le but de l’établiflemen.t a
» été l’extenfion du commerce, & non la fou-
» dation d’un nouvel empire.
» Ainfi , c’eft une loi fondamentale en Europe.,
» que tout commerce avec une colonie étrangère ,
«» eft regardé comme un pur monopole punifiable
» par les loix du pays.
» II eft encore reçu que le commerce établi
35 .entre les métropoles, n’entraîne point une per-
». miffion pour les colonies , qui r.eftgnf toujours
» en état de prohibition.
* Le défavantage des colonies qui perdent la
> liberté d.u commerce, eft vifiblement compenfé
» par la protection de la métropole qui la dé-
» fend par fes armes, ou la maintient par fes
» loix.
f'-: » Dve là fuit une t-roifîèmeloi de l’Europe,.qui
» quand le commerce étranger eft défendu avec
x> la colonie, on ne peut naviguer dans fes mers
que dans les pas établis par les traités.
,Ces principes, comme on le v o it , font pris
dans la nature des chofes , dans les rapports né-
cefiaires qui fe trouvent entre les différentes par-
1 s L
ties d’un même état j entre la capitale & les provinces
$ que diroit-on , fi les provinces, fous prétexte
que Ja capitale ne pourroit pourvoira toutes
leurs aifances, étoient autorifées à les tirer des
étrangers , 8c à enrichir des nations, qui de rivales
deviennent ennemies ?
Au refte, revenons aux lettres-patentes de 172.7
que nous avons promis d’analyferj afin de faire
fortir plus fenfiblement les conféquences de l’arrêt
du 3 o août 1784. C es lettres-patentes font divifées
en fix titres.
Après avoir fait des défenfes générales, par
l’article premier, de faire venir dans les colonies
des pays étrangers 8c colonies étrangères, aucuns
nègres, effets , denrées & marchandifes, à l’ exception
des chairs falées d’Irlande, qui y feront
portées, du royaume , l’article 3 du titre premier
porte, que les étrangers ne pourront aborder avec
leurs navires dans les ports, ances & rades des
ifles & colonies, même dans les ifles inhabitées ,
ni naviguer autour d’icelles , à peine de confiscation
de leurs bâtimens , enfemble du chargement
, & de mille livres d’amende qui fera payée
folidairement par le capitaine 8c les gens de l’é.qui-
page.
Les articles IV , V , V I ,.V I I , V I I I , IX 8c X , du
titre I I , autorifent les commandans 8c officiers
de la marine royale, même ceux de tous bâtimens
françois, de courre fur les navires étrangers
qui fe trouveront dans les parages des co lonies
, 8c règlent la diftribution du produit de
ces prifes.
Les trois autres titres de ce réglement prefcri-
y.enr, dans le plus grand détail , les précautions à
prendre pour empêcher que des-bâtimens étrangers
, forcés par quelques accidens, de relâcher
dans les colonies pour y chercher des fecours, n’y
trafiquent des marchandifes étrangères.
Enfin , le fixième titre va jufqu’ à défendre aux
étrangers établis dans les colonies*, même à ceux
qui font naturalifés , d’y être courtiers 8c agens
d’affaires, de commerce , en quelque forte 8c manière
que ce fo i t , à. peine de trois mille livres
d’amende applicable au dénonciateur, & d’être
bannis à perpétuité des colonies 3 il leur eft feulement
permis d’y faire valoir des terres 8c des
habitations , 8c d’y faire comme/ce des denrées
qui proviendront de leurs terres.
Il eft également fait défenfes à tous marchands
& négocians établis dans les colonies, d’avoir
aucun commis , faéteurs, teneurs de livres , ou
autres perfonnes qui fe mêlent de leur commerce
qui foient étrangers , encore qu’ils foient naturalisés
5 il leur eft ordonné de s ’en défaire au plus
tard dans trois mois, du jour de l ’enregiftre-
ment de la-loi, à peine , contre lefdits marchands
& négocians ? de trois mille livres d’amende applicable
1 s L
plfcable au dénonciateur , & contre les commis,
faéteurs, teneurs de livres & autres perfonnes qui j
fe mêlent de leurs affaires, d’être bannis à perpétuité
defdites colonies.
C ’eft d'après ces mefures qu’on a vu profpêrer
les colonies, & leurs productions importées dans
la métropole, lui procurer, fur leur exportation,
un bénéfice de quarante à cinquante millions ; 8c
fi l’on remarque que dans l’intervalle de 172.7 à
l 7^i y époque des premières atteintes portées à
cette légiflation prohibitive , quinze années: de
guerres ruineufes pour les colonies, ont interrompu
leurs relations avec la mère patrie , on fe per-
fuadera facilement, que c’eft moins la conféq.uence
de ce régime, juftifiépar l’expérience & l’exemple
de toutes les nations, que l’intérêt particulier qui
a diélé fa profcription, & les dérogations fuc-
ceflives qu’on y a.faites.
Les premières eurent lieu en 1762 j la guerre
duroit encore, 8c la navigation françoife àvoit
fait des pertes fi confidérables , qu’elle étoit pref-
que anéantie. La culture des colonies .fouffroit
par la difette de ces malheureux Afriqüains qu’on
y emploie comme des bêtes de fomme. On accorda
des palTeports aux étrangers pour en porter
dans nos ijles ; 8c l’année fuivante, une déclaration
du roi du 18 avril 1763, permit à ces mêmes
étrangers, de porter dans toutes les colonies, des
beftiaux, des légumes de toute efpèce, des fruits
verds , des bois de toute forte, des roues 8c des
voitures, 8c d'en extraire des fyrops 8c des taffias.
La même année, cette déclaration fut révoquée
le iy août fuivant. Il fe pafia trois années à
examiner 8c à difeuter fi le régime prohitif devoit
être maintenu dans fon intégrité , ou s’il étoit
utile de faire des exceptions en faveur de quelques
pofleffions particulières. Enfuite parut le 29
juillet 1767 un arrêt du confeil qui établit, ou
plutôt confirme l’entrepôt déjà exiftant au port
du carénage dans Yifle de Sainte-Lucie, 8c eu
forme un au môle Saint - N icolas dans Yijle de
Saint-Domingue,pour y recevoir les étrangers. C e
qui eft fingulier, c’eft que le préambule de ce
même arrêc porte , que les ifles 6* colonies ne font
véritablement utiles que par la prohibition de leur
commerce & £interdiction de leurs ports aux étrangers
,• que cette prohibition n a jamais pu fouffrir
d'exceptions que par le malheur des circonftances y
que ces exceptions elles-mêmes , avoient d‘autant plus
fa it fentir la nécejflté cLe revenir promptement à cette
loi première & confiitutive des établijf mens françois
en Amêrique ; qu ainfi il était de la jujiiee de fa
majeflé & de Jon attention a ce qui intérejfe la prof
périté de fon Etat , de faire exécuter ponctuellement
cette loi dans L'étendue des ifles & colo ùes franpoifes ;
que néanmoins il éioit devenu intiijpenfabic de procurer,
a ces colonies , (.ts moyens d'avoir quelques
marchandifes de première nécejjité , que le commette
Finances. Tome II,
I S t
de France ne leur fournit pas, & de déboucher plu.*
fleurs denrées inutiles a ce meme commerce.
En conféquënce, il eft permis aux navires etrangers
de cent tonneaux Sc au-deflus, uniquement
chargés de bois de toute efpèce, même de bois
de teinture , d’animaux 8c beftiaux vivansde toute
nature , de cuirs verds , en poil ou tannés, de
pelleteries , de raifines 8c de goudron , d’aborder
au port du carénage de Sainte - Lucie , 8c dans
.celui du môle Saint-Nicolas à Saint-Domingue 9
en payant un pour cent de la valeur de ces marchandifes,
8c le même droit, à la fortie des fyrops,
taffias , 8c marchandifes venues de l’Europe qu’il
leur eft permis d’exporter de ccs ijles.
L ’année fuivante, des lettres-patentes du premier
mai firent des exceptions encore plus étendues
en faveur de la Guyanne 8c de Yijle de
Cayenne ,< puisqu'elles permirent à cette colonie
une liberté entière 8c abfolue de commercer avec
toutes les nations pendant douze années. On a vu
l ’effet de ces lettres - patentes prolongé jufqu'au
premier juillet 17 9 1 , par l ’arrêt du confeil du i f
mai 1784.
Les principes qui avoient didé la déclaration de
1763 , s’étant fucceffivement fortifiés , par les
exceptions faites aux loix conftitutives du commerce
des colonies, on a jugé qu’en multipliant
les dérogations, c’étoit en même tems faire le
bien de ces colonies. C ’eft'dans ces vues que l’arrêt
du confeil, du 28 juin 1783, a ouvert Ies i/les
du vent au trafic des nègres. II permet aux bâtimens
étrangers , arrivant directement des côtes
d’Afrique, avec des cargaifons de cent-quatre-
vingt noirs au moins, d’aborder dans le pott principal
de chacune des ijles de la Martinique, la
Guadaloupe, Sainte-Lucie 8c Tabago , jufqu’ att
premier août 1786, 8c d’y vendre lefdits noirs,
en payant, pour chaque tête de noirs, négrefîcs ,
négrillons ou négrites, un droit de cent livres argent
de France. Il eft ordonné que-le produit de
ce droit fera mis en réferve, pour être uniquement
appliqué au paiement d’une prime égale de cent
livres, accordée aux capitaines des bâtimens fran-
cois, par chaque tête de noirs, négrefles , négrillons
8e négrites, qu’ils débarqueront dans les mêmes
ijles du vent.
Il fuit de cette nouvelle légiflation, que foutes
les ijles 8c colonies font ouvertes aux étrangers
qui, à la vérité , ne peuvent y importer 8c en exporter
que certaines marchandifes 8c denrées défi-
gnées ; 8c qu’elle a pour but de procurer à ces éta-
bliflémens , différëns objets dont la métropole ne
peut les approvifîonner, ou qu’elle ne fourniroit
jamais à aiiflî bas prix que les étrangers Ces dif-
pofitions ont pour objet d’enrichir les colonies
8c il eft d’un grand intérêt, fans doute, pour U
métropole ? qu’elles fpieut opulentes.
O o o o