
On exige aujourd'hui un droit de vingt à
vingt-cinq pour cent à l'entrée des proyinces de
France , pou-r la plus grande partie des mai>
çhandifes de Lorraine. Ces marchandifes retrouvent
par-là fort augmentées de prix dans les
provinces de France. N ’ eft-il pas évident que ,
fi l’établifiemènt du tarif lève cette barrière ,
notre commerce aétif avec la France, gagnera
infiniment ? Alors nos verres* 3 nos fers , nos
b o is , nos planches, nos papiers, & c . paieront
en France avec bien plus d'abondance qu’aujour-
d ’hui. Lès étolfes de laine, & les tpiles qui
Fortiroient de nos fabriques , pourront pénétrer
dans la Champagne, du côté de Rheims, dans
la Picardie, & même à Paris, où des efîais ont
«te envoyés 8c goûtés Elles pourront fôutenir
la concurrence des manufactures françoifes, affranchies
qu'elles feront des droits d’entrée, qui
en ont jtifqu’à préfent arrêté le tranfport.
II eft vrai que l'auteur des lettres dit , qu'en
donnant des exemptions aux marchandifes patrimoniales
de la Lorraine , à leur entrée en France,
on ne nous accorde gu3une légère faveur, p. 37.
Mais . lui-même , à la page 29 , appelle ces
exemptions, des avantages très-précieux. Nous
les., ayons toujours regardés comme abfolument
iiécefiàires , 8c comme étant de la plus grande
importance pour la province. C 'e lt la fiibitance
des juftes demandes que nous avons faites au
miniftère françois , depuis près de trente ans.
Comment l'auteur des lettres dément il aujourd'hui
fur cela des principes qu'il adopte ailleurs,
& qui font aufli généralement reçus qu'ils font
inconteftables ? '
M a is , dit l’auteur des lettres, quels biens nous
rapportera le tarif, relativement aux exemptions
•des droits, dont nous ne jouiflions déjà ? Nous
achetons, dit-il, dans les villes françoifes toutes
les marchandifes. de leurs fabriques 5 elles nous
«arrivent fans payer des droits. Nous recevons à
meilleur prix qu'aucune province d-e France , les
marchandifes des ifles françoifes : nos bois, nos
grains , nos beftiaux y font affranchis de tout
droit 5 nos verres , nos fers-blancs , 8c beaucoup
de productions de nos manufactures, obtiennent
Journellement des décharges & des rèmifes fur
es droits d'entrée fixés par les tarifs , &c. Nous
avons donc peu de chofe à gagner à la fuppreflion
de la barrière entre la France & nous ; ainfi nous
ne devons pas être afliijettis au tarif.
Nous répondrons, 10. que les exemptions
qu on nous a accordées, ne fuffifent pas pour
ranimer notre commerce avec la France, qui fera
toujours languiffant, tant que les produâions de
uos manufactures auront a fupporter des droits
a l'entrée de ce royaume, & qu'il y aura une
barrière entre la France & nous. L'auteur dit lui-
9nime, en plus d'un endroit, que notre com- 1
mercé avec la France eft ruineux pour nous?
Sans adopter les calculs exagérés qu’il préfente
des .marchandifes de France qui s’importent en
Lorraine*, il eft certain que nous n’y faifons
prefque point de commerce aClif3 8c il eft encore
certain que le grand obftacle à ce que nous
en fa (lions, eft l’impoflibilité où font les productions
de nos manufactures, de fôutenir la
concurrence de celles de France, après avoir
payé des droits à l’entrée du royaume.
20. Nous ne pouvons pas raifonnablement
oppofer au projet de ta r if, des avantages dont,
nous ne fommes redevables qu'aux principes
même fur lefquels on fonde la néceflité du tarif.
on nous accorde des exemptions 8c des modérations
des droits établis, c'elt que la Lorraine.
faifant elfentiellement partie de la France, nous
ne devons pas être regardés comme étrangers
par rapport ’à ce royaume $ que nous fommes
compatriotes 8c concitoyens des François j que
contribuant aux charges de l’Etat , il eft julte
que nous en partagions les avantages. Mais toutes
ces confidérations , fi équitables & fi juftes ,
tendent aufli à juftifier la fuppreflion des bureaux
entre 1? France & nous, 8c l’établiflement du
tarif. Si nous, fommes les citoyens d’un même
Etat avec les François, les faveurs doivent être
égales entr'eux 8c nous > mais fi nous *voulons
nous-même être regardés comme étrangers, ne
pouvons-nous pas craindre que le gouvernement
françois ne nous traite comme tels, 8c ne nous
retire, ou ne nous refufe déformais des exemptions
qui nous font fi néceflaires ?
Nous laiffons échapper ces réflexions, quoiqu'elles
paroiflent fournir des armes contre nous-
memes ; i.°. parce Qu’ elles n’ont pas pu échapper
au mimftère françois, & qu'en les faifant, nous
ne difons rien d’inconnu. i ° . Parce que nous
fommes véritablement alarmés des inconvéniens
qui réfulteroient pour nos fabriques , du refus
des faveurs qui nous font néceffaires pour notre
commerce de France, que nous aurions déformais .
a craindre, fi le tarif n'a pas lieu.
L'auteur des lettres, pour nous faire révoquer
en doute les avantages du tarif pour la Lorraine,
relativement à notre commerce avec la France ,
entreprend de prouver que la fuppreflion des
bureaux établis entre la France & nous , fera -
verfer en Lorraine toutes les marchandifes de
France,.tandis que nous n'en avons prefque point
à lui donner en échange, 8c que ce commerce,
devenu abfolument paflif pour Ja province , cau-
fçra bientôt fa ruine entière. Il s'efforce enfuite
de juftifier fes craintes, erLnous repréfentant
toute la Lorraine comme inondée actuellement
des marchandifes de France $ les villes des deux
•duchés comme remplies de marchandifes françoifes
de luxe, 8c les gens de la campagne, comme
habillés des étoffes de France.
Nous ferons d’abord remarquer le défaut de
jaftcjfe de ce raifonnement. Si les marchandifes de
France inondent à préfent la Lorraine , fi , félon
le calcul même de cet auteur, les quatre cinquièmes
des confommations des* deux duchés
font fournis par la France, que refte-t-ii donc à
perdre à la province par l’établiflement du tarif?
Comment peut-il présenter un inconvénient qui
exifte actuellement, cotnme devant être la fuite
d’un établifîement qui n'exifte pas encore ?
L ’auteur fournit aufli des armes contre .lui-
même, par ce calcul exagéré dé« ce que la Francè
fournit a la Lorraine ; car on pourra lui dire que,
fi la France verfe chez nous tant de marchandifes
, c’eft parce que le tarif qui eft établi dans
les provinces de France qui avoifinent la Lorraine
, en empêchant l’entrée des productions de
l'indu (trié des Lorrains, a favorifé l’établiflement
des manufactures “dans ces provinces françoifes 5
ce qui juftifieroit le tarif.
Mais les aflertions de l’auteur des lettres fur
çet article , font manifestement faujfes, & démenties
par lui-même en d‘ autres endroits de fon
ouvrage.
Ces aflertions font fauffes; car tout le monde
fait que la Lorraine tire de l’ étranger la plus
grande partie des marchandifes qui s’y confom-
mentJ: dés draps du N o rd , des droguets & des
camelots d’Angleterre , des étoffes brochées &
unies en foie, des fiamoifes 8c des moi: (felines
de Suifîe j une quantité immenfe de toiles peintes
du même pays, & beaucoup d’étoffes de différentes
efpèces , fabriquées dans les villes d’AJle-
.magne. Il n’eft pas poflible ,de conteûer ce fait,
qui eft fous les yeux de tout le mondé 3 fans fe
rendre coupable de mauyaife foi.
Dans la ville de N an c y , des deux cens vingt-
trois marchands qui y font établis, un feul entre
Jes magafiniers tire toutes fes marchandifes de
France, trois ou quatre en tiennent à peine un
cinquième j 8c dans le refte des deux duchés ,
nous avançons qu’ à peine trouvera-t-on douze
marchands qui faflent un commerce direét avec
la France ; tous, ou prefque tous , tirent des
magafîns de Nancy le peu de marchandifes fran-
çoifés quifs vendent.
L'auteur des lettres dément lui-même ailleurs
fes propres aflertions fur cela, en portant à des
«fommes confidérables le commerce paflif de là
Lorraine avec l’étranger ; ce qui fuppôfe que là
plus grande partie des confommations de la
province, eft fournie par les étrangers, 8c non
par la France j 8c cet écrivain peut d'autant
moins^ fe reftifer à cette conféquence , qu’il va
à a (ligner la raifon de la préférence dés
étoffés étrangères , fur les étoffes de France ,
Æaüs, leuç meilleur marché* Il n’eft donc pas
vrai, félon lui-même, que les étoffes de France
inondent la province ; mais on a déjà dû remarquer
gué les contradictions ne lui coûtent
rien.
Nous voyons donc dans la fuppreflion des
bureaux entre la France 8c nous, 8c par confisquent
dans l’établiflement du tarif, un vafte
champ ouvert aux produétions de notre induftrie,
une circulation libre de nos marchandifes 8c de
nos denrées dans tout l ’intérieur d'un grand
royaume, un avenir heureux pour nos manufactures
j 8c, par une conféquence néceflaire, l'encouragement
de l'agriculture, 8c l ’augmentation
de l’aifancé 8c de la population. .
Tout cé que nous venons d'avancer eft fondé,
-comme on lé v o it , fur cet unique principe , que
pour rendre en Lorraine les manufactures florif-
fantes, 8c y relever le commerce abattu, il faut
fermer l’entrée de notre province aux productions
des fabriques étrangères , 8c ouvrir la France aux
productions des nôtres. C 'eft précîfément ce
qu’on a dit il y a vingt-cinq ans au moment
dé la ceflion de la Lorraine à la France, dan»
un mémoire avoué par toute la province , gu oÿi
attribue au père même de Fauteur des Lettres , 8c
dans une circonftance où l’on s’exprimoit avec
liberté 8c vérité. Voici ce qu’on lit dans ce wé?_
moire :
<* La difpofîtion préfente des affaires publiques j
» prépare un moyen qui pourra tout-à-la-fois
»animer, 8c le manufacturier, 8c le marchand
-» de laine. C e moyen fera un plus grand d éb it,
» qui mettant ce premier plus au large du côté
» du profit, pourra en même tems le mettre
» en état d’exciter mieux par l’intérêt, la cu-
» riofité du marchand fur la préparation de fes
» laines.
» Ç e plus grand débit pourra dériver de deux
» caufes : la première, fera la ceflation du ver-
» fement. des draperies de^ Vervier , & autres
» manufactures du Nord , qui fe répandent fi
» abondamment dans la Lorraine par la voie de
» Francfort, 8c le commerce de Hollande. Alors
» le régnicole n’ayant plus fous les yeux ces
»draperies étrangères, fera contraint à fé borner
» à celles de fon pays , dont le débit deviendra
» plus abondant, fans que l’argent fprte de la
» province.
» La fécondé voie confiftera à lever les bornes
» impofées jufqu'à' préfent au commerce de
»y Lorraine, limité en ce qui regarde la France*
» à une liberté réciproque de communication de
» vivres , denrées 8c marçhandifes entre ce duché
» 8c les trois évêchés. Ces bornes pourront être
» levées j 8c là Lorraine , devenue une partie de
; » la France, participera à une liberté générale de
* * commerce dans tout le royaume. ^
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