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1 ufage des,riche(Tes , fur tout dans les pays où une
partie immenfe des fortunes eft devenue mobiliaire
par i accroiffement de la dette publique ; circonf-
tance qui permet à un plus grand nombre de par-
ticuliers de fe transporter ailleurs, & de s'éloigner
des lieux ou les loix fîfcales feroient trop féyères.
Audi c eft uniquement par des moyens doux, fa-
ges j 8c furtout praticables , que je propofe aux
gouvernemens de tempérer les effets du luxe.
Sans doute on peut aller plus loin dans les républiques
; & 1 on a raifon de le faire dans ces
petites communautés politiques , où tout grande
fupenorite b ie lle , où la Implicite des moeurs,
affermit 1 ordre focial , où les. magiftrats , rapproches
communément des autres citoyens , auraient
peine a conferver la confîdcration qui leur eft dùe,
près du luxe éclatant de leurs égaux.
En général, les États dont la forcé-& l’étendue
font etroitement circonfcrites 1 doivent être
bien plus occupes des moyens propres à entretenir
la tranquillité , la confiance 8c la fubordina-
tion , que d aucune de ces idées politiques , dont
la Un principale eft l'accroîlfement des richeffes.
Mais les reformes , les cenfures , les règlemens
lomptuaires , ne font pas applicables aux grandes
monarchies : ces auftérités fo ci aies ne pourroient
y etre maintenues fans des inquifuions infiniment
plus dangereufes que, les abus auxquels on
voudroit s oppofer.
Un pays , fur-toijt comme la France , où le
crédit eft fi néceflaire , l'efprit de théfaurifatibn
il nuilible ; un pays q u i, pour fa force extérieure,
a befoin d entretenir 8c d'augmenter fes richeffes ;
un pays enfin qui tire , par fon commerce , de
Jt grands avantages du luxe général de l'Europe ;
un tel pays ne pourrait, avec politique, adop-'
ter des loix fomptuaires. Il faut néceffairement,
dans, les grands Etats , abandonner un peu les
.hommes au cours naturel des chofes ; la perfection
eft malheureufement une idée chimérique,
& ceux qui gouvernent, comme ceux qui font
gouvernes , ne fauroient y atteindre : d'ailleurs,
. eft raifonnable de ne voir dans le luxe, que les
jnconvemens dont il eft véritablement la caufe ;
ix-Jes administrateurs ne doivent pas régler leur
opinion d après les déclamations exagérées auxquelles
on le livre quelquefois fur cette matière ;
on y pre,lente le luxe comme la fôurce de la pau-
l i l ë ^ iT Ü ^ S .'îlj: " ‘eft pas J u l ie ; la pauvreté
f,. . ,\r “ e inégalé diftribution des biens 8c de
linUiffiiance des.reffources , auxquelles les hommes,
fans propriété peuvent afpirer ; mais le luxe
eft pareillement la conférence de ces difparités
de fortune : amfi le % é -& r j a pauvreté fe trouvent
loLivent enfemble , non comme l'effet l'un
de 1 autre mais comme le réfultat commun de
J inégalité des partages.
; En étendant trop loin je .rigorifme politique ,
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on s’ inquiéteroit inutilement d'une quantité dô
rçlultats infeparables du mouvement de la fa-
ciétéj 8c Ton arriveroit peut-être jufqu’à regretter
l'invention de la charrue q u i, en accélérant
les travaux des campagnes , a rendu la part des
propriétaires plus coniîdérable. Mais les arts, les
fciences & les lettres, ces compagnes de la fortune
3 ont confolé la terre de l'atteinte qui a été
portée à la fimplicité des moeurs, par l'accroif-
fement des richeffes : ces différens efforts de l’ef-
prit ont fait connoîcre à l'homme fes forces, ont
agrandi l'opinion qu'il en avoir conçu lui-même ?
& lorfque l'amour de la guerre , & le defpotifme
qui marche à fa fuite , tendent infenfiblement à
le rendre efclave , c'eft par les lumières qu'il fe
défend , au moins , de l’afferviffement de fa
penfée*
Enfin , & ceci eft une réflexion que je commit
nique aux âmes trop fenfîbles, ce contraire,entre
le luxe des uns 8c la modique fortune des autres ,
ne repréfeute point les proportions du bonheur.
Hélas ! qui le croiroit ? ce font ceux que les loix
de la propriété réduifent, en tout tems, au Ample
néceffaire, qui fupportent avec plus de tranquillité
le fpe&acle, du fafte Sc de la richeffe :
cette pompe eft à une fi grande diftance de leurs
idées d'habitude, qu'ils s'accoutument à la contempler
comme l'attribut de quelques êtres d’une
nature différente de la leur : Sc tandis qu'ils regagnent
lentement leurs chaumières , chargés
d’un fardeau qu'ils fupportent avec peine , ils
| voient paffer près d'eux ces courfiers pleins d’ardeur,
qui traînent rapidement J e char magnifique
du riche ou du grand feigneur, comme ils
voient errer au-deffus de leurs têtes Jes aftres
étincelans dont ils peuvent diftinguer les mou-
vemens.
j C'eft plutôt lorfqu’on eft inftruit par nne forte
d aifance , c'eft lorsqu'on jouit déjà des commodités
de la v ie , qu'on devient jaloux du luxe des
autres; c'eft qu'alors la vanité s'éveille , 8c que
cette paflion eft une fource d'envie ; il faut, pour
s'en défendre , éviter avec foin de s'écarter de l’état
où la fortune vous a placé ; il faut fe tenir
éloigné d'un fpeétacle qu'on a la foibleffe de ne
pouvoir fupporter. Ah ! qu’ils font peu raifonna-
bles ceux qui fe laiffent aller à ces fortes d’an-
goiffes ! Qu'ils apprennent donc, que cet éejat qui
les bleffe , eft bien loin d'être le bonheur ; qu'ils
s'en fient à l'imagination inquiète de ceux qui étalent
tant de richeffes ; habitués bientôt à ces vaines
jouiffances, ils en voudroient d'autres pour
s’en dégoûter encore ; & tandis qu’ils excitent
l’envie, ils font en'proie à l'ennui qui accompagne
la molleffe 8c l'oifîveté.
Il faut fans doute , à tous les hommes un peu
d'ambition, parce qu’il leur faut à tous'un peu
d'efpérànce ; mais—cette co'nvoitife continuelle-,
mais ces idées chimériques fur la douceur des v$-
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fcîtés auxquelles on ne peut atteindre, font la plus
malheureufe des folies. Je ne fais fi c'eft par l'effet
d'une méditation éclairée , je ne fais fi c'eft parce
que tout ramène , dans l’univers , à l'idée d'une
grande unité de plan ; mais je fuis difpofé à croire
, & fur tout j'aime à me le perfuader , qu'il y
a , dans le fort des humains, moins d’inégalités
qu'on ne penfe , 8c l'on ne doit point décourager
les fouverains en leur préfenrant une tâche au-deffus
de leur puiffance : ce n eft ni l’ordre de la nature
, ni celui des fociétés qu'ils ont à boulever-
fer ; il leur fuffit de modifier les inftitutions contraires
au bien public, de tempérer les excès,
d'arrêter les abus ; il leur fuffit d'avancer la prof-
périté générale , félon l'étendue de leurs forces,
8c cf ajouter au bonheur de ceux qu'ils gouvernent,
comma chaque homme en particulier peut ajouter
au fîen propre ; ainfi ils ne doivent être ni indiffé-
rens fur le luxe 8c fur fes excès, ni ambitieux de
l'anéantir entièrement ; & peut - être que dans
toutes les branches de l'adminiftration, le bien
qu'on peut faire , celui qu'on doit fe propofer ,
dépendent conftamment, 8c d’une jufte mefure
dans fes deffeins , 8c d'une connoiffance exaéte
des limites de toutes les vérités.
D e s fo r tu n e s d e fin a n c e .
C e fujet fe préfente naturellement à la fuite
des confidérations fur le luxe ; 8c quoique dans
le cours de cet ouvrage , j'aie indiqué déjà un
petit nombre d'idées premières fur !a queftion
que je vais traiter, je crois devoir les raffembler
i c i , en y joignant quelques reflexions nouvelles.
On donne le nom de financiers , en France,
aux différentes perfonnes qui font chargées du recouvrement
des revenus publics , foit comme
receveurs , foit comme fermiers , foit comme ré-
giffeurs ; 8c l'on comprend encore fous la même
dénomination , les tréforiers qui payent les dépends
de l’É ta t, les banquiers de la cour qui rem-
pliffent le fervice des affaires étrangères , 8c les
diverfes perfonnes qui , moyennant un droit de
conmiffion , font des avances fur la rentrée plus
ou moins éloignée dés impofitions.
L ’on a vu dans le cours de mon miniftère ,
que j'à'vois mis -une grande fuite à reftreindre,
8c le' nombre 8c les profits de ces divers agents;
8c malgré toutes les réclamations que j’ ai effuyées,
je dois avouer qu’ il n’a pas' tenu à moi d’être
bien plus coupable encore ; mais il étoit impof-
lible , au milieu de la guerre , d’atteindre à la
plus parfaite fimplicité dans toutes les parties ;
parce que les befoins extraordinaires , confumant
les reflources du crédit , on ne pouvoit fe fervir
de ces mêmes reffources pour rembourfer la plus
grande partie des fonds dûs aux compagnies de
finance ; & cependant, c ’eft la feule manière d’ ê-
'tre abfolument libre dans le choix des difpofitions
les plus favorables à l ’intérêt public. Sans cloute,
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il eft peu de difficultés de ce genre, que l’autorité
ne.puiffe franchir ; mais on ne doit jamais
faire ufage de cette autorité pour des injuftices ;
8c l’on fe formeroit une fauffe idée du bien de
l’É ta t , fi l’on imaginoit qu’en fe propofant un
but falutaire, tous les moyens d’y parvenir de-
vinffent excufables. Le premier bien foc ia l, c’eft
que les droits de propriété foient refpeéfés. Les
abus , les gains inutiles , font une invafîon fans
doute, qu’il faut repouffer; mais on doit le faire
d’ une manière légitime ; 8c il vaut mieux aller plus
lentement à la perfection , que d ’ébranler les principes
de fidélité , qui font la fauve-garde de tous
les citoyens.
Il fuffifoit, au refte , que tout fût préparé
pour achever , à la paix , ce qui pouvoit manquer
encore à l'ouvrage que j'avois fort avancé. Je
n'ai donc pu voir qu'avec une véritable peine ,
l’ancien fvftême financier commencer à fe relever ;
8c je veux dépofer encore i c i , à quel point je
crois ce fyftême impolitique 8c pernicieux.
Tantôt , c'eft fous le prétexte de rendre la
comptabilité plus facile, qu'on augmente le nombre
des âge nsdeftinés à recevoir les revenus, ou
à payer les dépenfes ; 8c tantôt, c'eft uniquement
dans la vue d'obtenir, par leur médiation, de
nouveaux moyens de crédit.
Le premier de ces motifs eft abfolument frivole :
la comptabilité eft auffi diftinéle par la féparation
des objets , que par la multiplication des perfonnes.
Le fécond prétexte eft mis en avant avec plus
d'affu rance; 8c tous ceux qui veulent multiplier
8c enrichir les financiers, ne manquent pas de les
préfenter comme les intermédiaires indifpenfables
du crédit public : comme fi ce crédit n'avoit pas
une force qui lui fût propre, 8c comme s'il avoir
befoin de l'appui d'une diverfité d'agens, qui n'onc
part eux-mêmes à la confiance publique, qu'en
raifon de leur place 8c des connexions qu'on leur
connoît avec le gouvernement. J'ai trouvé toutes
ces idées établies, en entrant dans l'adminiftration
; 8c je crois avoir montré , par une conduite
abfolument oppofée , combien une pareille doctrine
étoit illufoire. J'ai multiplié les réformes
dans la finance ; 8c cependant le crédit, de quelque
manière qu'on y ait eu' recours , s’eft accru
fucceffivement ; preuve certaine que ce crédit
peut être uniquement fondé fur fa bafe naturelle,
qui eft l’état des affaires , la connoiffance qu’on
en donne , 8c la conduite foutenue d'une admi-
niftration circonfpecfe. Il eft heureux d'avoir un
exemple à préfenter au foutien des bons principes
; car c’ eft en les dénonçant comme abftraits
8c fpéculatifis , Sc en y oppofant, avec dédain ,
des préceptes tirés d'une fimple routine , que les
ennemis des vérités utiles ont eu fouvent de grands
avantages.