
ment oppofées à ce que nous devions en attendre
à la première apparence.
On regarde comme une maxime fondamentale
du gouvernement Turc , que le grand-feigneur,
quoique maître abfolu des vies & des fortunes de
chaque paiticulier, n'a aucune autorité pour imposer
une nouvelle taxe ; chaque prince Ottoman
qui a ofé le tenter , ou a été obligé de fe rétracter,
ou a éprouvé les effets funeftes de fa perfévéran-
ce. On s'imagineroit que ce préjugé ou cette opinion
établie , feroit la plus forte barrière du
monde contre l'oppreffion ; cependant il eft très-
certain qu'elle opère tout le contraire. L'empereur
n'ayant point de méthode régulière d'augmenter
fon revenu 3 eft obligé de permettre aux
bachas & gouverneurs d’opprimer 8c de dépouiller
les fujets , 8c lui-même enfuite , il leur fait
rendre gorge après leur retour de leur gouvernement.
Au lieu que s'il pouvoir établir de nouveaux
impôts comme les princes Européens, fon intérêt
fe trouveroit tellement uni à celui de fon peuple,
qu'il préviendroit les défordres qu^entraînent les
les levées irrégulières ; 8c qu'il fentiroit qu'une
livre fterling exigée par une impofition générale 3
^uroir des effets moins pernicieux 3 qu'un fchelling
extorqué d'une manière fi inégale 8c il arbitraire.
Plufîeurs écrivains qui ont écrit fur l'économie
politique , 8c qui ont tenté de démontrer que l'ordre
focial, comme une branche de l'ordre phyfique,
étoit de même, fimple, évident 8c immuable,
n ont pas manqué de parler des impôts 8c de leur
néceffité. Les grands mots de liberté 3 de propriété
3 de produit n e t, font le cachet des ouvrages
de ces écriyains eftimables, qu'on a qualifiés d’-E-
conomifles 3 qui ont malheureufement beaucoup
écrit fans s'être fait entendre , 8c que l'on a vivement
critiqués faute de les avoir compris ; car
leurs vues 8c leurs intentions n'ont rien que de
louable , quoique leur langage reffemble un peu à
celui de gens illuminés.
Parmi les matières abftraites qu’ils ont traitées
dans un ftyle encore plus abftrait que le fond des
chofes, voici ladéfinition qu’ils donnent de l'impôt3
en établiffant pour maxime, que tout impôt indireft
eft incompatible avec l'ordre effentiel des fociétés.
L impôt ejl une portion prife dans les revenus annuels
d une nation , a F effet d'en former le revenu
particulier du fouverain , pour le mettre en état de
foutenir les charges annuelles de fa fouveraineté.
Ainfi il en réfulte que l'impôt, qui n'eft qu'une
portion d un produit net annuel, ne peut être établi
que fur les produits nets annuels, o u , pour parler
vulgairement, fur fës revenus ; car qui dit revenu
, dit une richeffe difponible , celle qu’on
peutconformner au gré de fes defîrs ,Tans préjudicier
à- la reproduction.
La forme effentielle de Yimpôt confifte , par
conféquent, à prendre directement Yimpôt où il eft ,
I c ’eft-à-dire, furies propriétaires fonciers ; & à ne
pas vouloir le prendre où il n’eft pas , c'eft-à-dire,
indirectement, en letabliffant fur les perfonnesou
fur les chofes commerçables.
L’impôt fur les perfonnes & fur les marchandi-
fe s , eft, dit l’ouvrage que nous analyfons, F Ordre
naturel Ci effentiel des fociétés politiques , néceffai-
rement un impôt arbitraire, deftruCtif du droit de
propriété. Au contraire , Yimpôt direCt, le produit
d’un partage dans le revenu des terres , fe
fait en vertu d’un droit de la propriété qui appartient
au fouverain. C e t impôt eft aufiî certain
que la renaiffance annuelle des revenus de la nation
, puifqu'il eft établi fur l ’ordre phyfique de
la reproduction.. . . Le produit qu'il donne eft le
fruit néceffaire d'un enchaînement de diverfes
caufes , qui feront toujours les mêmes , & qui
produiront toujours les mêmes effets.
I -Mais il ne peut conferver cet avantage précieux *
qu’autant qu’on ne change point fa forme effentiel-
l e , que le fouverain prend directement, la part proportionnelle
que fa co propriété lui donne droit de
prendre, dans les produits nets des terres de fa domination.
Les impôts fur les maifons, fur les rentiers , fur
les perfonnes , font un double emploi, parce qu'ils
doivent être fupportés par les terres , dont la reproduction
eft annuelle comme la levée des impôts
, 8c ce double emploi retombe toujours fur
les propriétaires fonciers. Le revenu de ces propriétaires
eft diminué de deux manières, par l'effet
des impôts indirects / car il anéantit le revenu en
partie , ou il augmente les frais de jouiffances auxquelles
on l'emploie, ce qui revient au même ; car
rickejfe & moyens de jouir ne font quune même chofe.
La conclufion de tout cet expofé eft , comme
on le fent bien, qu'il ne faut qu’un impôt unique,
direCt 8c territorial.
L'établir, dit un autre écrivain de mérite , qui
a effayé de prouver les funeftes effets de Yimpôt
indireCt , par les deux exemples de la gabelle &
du tabac, dans un ouvrage intitulé , de l'ordre focial
, tom. I. page 170. C'eft 3 dans le point le plus
important, rendre un hommage réfléchi aux vérités
capitales qui conjlituent l'ordre focial , fondé fur
l'ordre phyfique ; c'eft reconnaître , par exemple , que
la terre eft la fource unique de toutes les riche fies.
Or de ce feul principe, vu dans toute fon étendue,
dérive toute bonne adminiltration 8ç toute légifla-
tion fage 8c profpère.
En effet , fi la terre eft la fource unique des ri-
cheffes , il n’eft rien qu’on ne doive faire pour
rendre cette fource plus abondante. Toutes les
opérations publiques doivent être dirigées vers ce
b u t, & combinées avec le plus grand intérêt.
II fe trouvera rempli par l’établiffement d'un
impôt direCt, régulier , proportionné au produit
net du territoire , fagement combiné avec les
droits dit propriétaire, par la fimplicîté^ dans fa
perception , par l’économie dans les dépénfes ,
par l ’exaCtitude dans la comptabilité-
Mais cet impôt territorial eft-il donc fi aife a
établir? Son produit fuffiroit-il pour remplacer
toutes les impofitions qui exiftent fur les conforn-
mations & fur ies diverfes denrées dont le roi s elt
réfervé le privilège exclufif? Voilà le point mte-
reffant qu’il faut examiner ; il eft raifonnable de
chercher l'étendue aCtuelle de celte efpece d impôt
, 8c le rapport qui exifte entre fon produit 8c
les autres revenus du roi.
L'homme d’Etat, à qui la nation doit de la re-
connoiffance , pour lui avoir communique les
grandes vues qu'il avoit pour fon bonheur & fa
profpérité , & pour l’amélioration des finances
qu'il a adminiftrées près de cinq ans avec des fuf-
frages univerfels ; cet homme d’Etat , dans fon
Traité de l'\Adminiftration des Finances , a confacre
un chapitre à l’examen de la converfion de toutes les
contributions de la France, dans un feul impôt territorial.
Le réfumé de ce qu’il dit à ce fu je t, eft que le
produit des trois vingtièmes, avec les quatre fols
pour livre en fus du premier, 8c en en retranchant
la.partie qui porte fur le revenu des offièes, 8c
même fur l’induftrie, s'élève à . . . 74,000,000 L
Que la partie de la taille, qu’on
peut confidérer comme territorial
e , s'élève à quatre-vingt-un millions
, c i . ....... ................................. 81,000,000
Les impofitions locales dans les
pays d’EleCtion, qui portent également
fur les terres ...................... 11,800,000
Ls partie de la capitation qui
eft impofée au marc la livre de la
t a i l le ,............................. . ; ............. 22,000,000
Les décimes payées par le clergé
, comme impofées fur Je revenu
des terres, foit foncier, foit
feigneurial....................................... 10,600,000
Plufieurs autres objets impofés
fur les maifons , * .■ *......... .. 600,000
Ainfi, le total de Yimpôt aCtuel,
qui peut être confidéré comme
territorial , eft de cent
quatre-vingt-dix millions, ci 190,000,000
Il faut maintenant rechercher quelle quantité
de nouveaux vingtièmes feroit néceffaire pour
remplacer toutes les autres contributions des peuples
, fi l’on vouloit qu’il n’y eût qu’ un impôt unique
8c territorial.
On a vu au mot G én é r a l it é , que l'univerfa-
lité des contributions des peuples s'élève à cinq
cens cînquante-fept millions cinq cens mille livres,
en n*y comprenant, ni l'article des frais de contrainte
8c de faifie , ni le montant de la contribution
pour les chemins.
Si donc on peut évaluer à cent quatre-vingt-dix
millions la Fomme des impôts qui porte aujourd’hui
fur le revenu des biens-fonds , celle qui
cômpofe l ’autre claffe , doit être de trois cens
foixante & fept1 fniliions cinq cens mille livres,
c i ........................................................ 367,^00,000/.
C e n’eft pourtant pas de cette dernière fomme-,
obferve notre écrivain homme d'Etat , dont il
faudroit accroître la contribution des revenus territoriaux
, pour réalifer le fyftême de Yimpôt unique
; car une pareille nature de tribut exigeant
moins de dépenfe pour le recouvrement, cette
économie difpenferoit de remplacer en entier le
produit des droits fupprimés.
Suppofant donc que les frais généraux de recette
ne montaffent en tout qu'à vingt-cinq millions au
lieu de cinquante-huit qu’ils coûtent aujourd'hui,
il y auroit trente-trois millions de moins à remplacer,
lefquels déduits de trois cens foixante &
fept millions cinq cens mille livres énoncés ci-def-
fus , on n'auroit befoin d'impofer fur le revenu
des biens-fonds , qu'une fomme nouvelle de trois
cens trente-quatre millions cinq cens mille livres.
Cependant pour compofer cette fomme , il faudroit
quinze nouveaux vingtièmes , & trois cinquièmes
d’un vingtième, en fuppofant que chacun
de ces vingtièmes rendît autant que le troifième
impofé nouvellement.
O r , comme il y a déjà trois vingtièmes , 8c les
quatre fols pour livre en fus du premier, c'eft-à-
dire, trois vingtièmes & un cinquième , il v auroit
alors , en tout, près de dix-neuf vingtièmes
indépendamment des cent quatre-vingt-dix millions
d’impofitions territoriales déjà fubfiftantes, & de
la contribution pour la confection des routes.
On dira peut-être, & avec raifon , que les
vingtièmes ne font pas perçus affez exactement;
mais le feroient-ils davantage s'il y en avoir quinze
ou feize de plus ?
On obfervera, avec plus de fondement, que
n'y ayant plus d’autre impôt, le revenu des terres
augmenteroit ; mais dans combien de tems ? mais
dans quelle proportion? les effets d'une pareille
convulfion feroienr difficiles à calculer : d'ailleurs,
fût-ce dix-neuf, fût-ce dix-huit ou dix-fept vingtièmes
dont on auroit befoin , en vérité, le firnple
apperçu d'un pareil réfultat difpenfe d'une fuppu-
tation plus exaCte. Peut-être même que dans les
affaires où les confîdérations morales doivent principalement
déterminer,on égare le jugement en donnant
à des calculs hypothétiques une attention feru-
puleufe, & un trop grand degré d’importance.