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d’ un peuple, & non de la quantité d'or & d’argent.
Pour qu'il fe trouve dans un Etat_ un grand
nombre de prêteurs, il ne fuffit pas, il n’ eft pas
néceffaire qu’ il y ait une grande abondance de ces
métaux , il faut feulement que la propriété de
cette quantité qui eft dans l’Etat,• grande ou petite
, foit ramante dans desmiains particulières ,
de façon à former des fommes confidérables , ou
à- compofer un grand Intérêt d’argent. C ’eft ce qui
produit le grand nombre de prêteurs, & fait tomber
le prix de 1’ ufure ; l’on peut avancer.que ceci
ne dépend pas de la quantité de l’efpèce , mais
des moeurs & des coutumes particulières , qui font
que l’argent fe ramatTe en des fommes réparées ,
ou en des maffes de valeur confidérable.
Suppofons qu’en une nuit, par un miracle , il
-tombât dans la poche de chaque habitant de l'Angleterre
, cinq livres fterling ; tout l’argent qui eft
à préfent dans le royaume feroit plus que doublé;
cependant, ni le jour fuivant, ni quelque tems
après , il n’y àuroit pas plus de prêteurs , & con-
féquemmènt aucune altération dans Yintérêt.
S’il n’y avoit dans l’Etat, que des feigneurs
de terre 8c des laboureurs, cet argent, quoiqu’a-
bondant , ne pourroit pas s’amaffer en fommes ,
8c ferviroit feulement à augmenter le prix de chaque
chofe , fans aucune autre conféquence. Lefeigneur
de terre le prodigue auflî-tôt qu’il le reçoit ; le
pauvre payfan n’a ni les moyens , ni l’ambition
d’obtenir autre chofe que la fimple fubfiftance. L e
nombre des emprunteurs , au-deflus de celui des
prêteurs -, continuant à être le même, il ne s’én-
fuivra aucune réduéHond’intérêt ; elle dépend d un
autre principe , & ne peut venir que d’une augmentation
d’induftrie , de frugalité , d’arts & de
commercé-
La terre produit toutes les chofes utiles à la vie
de l’homme, mais elle ne les donne pas dans un
état où elles foient d’ un ufage immédiat ; il faut
donc qu’il y a it, outre les propriétaires & les laboureurs
, une autre claffe d’hommes, qui recevant
des derniers ces produirions dans leur état
brut, travaillent à. leur donner la forme convenable
, 8c qu’ils en retiennent une partie pour leur
propre fubiiftancé-
Dans l’enfance d’une fociété, les contrats entre
les agriculteurs & les artifans, entre une efpèce
d’ artifans & une autre .efpèce, fe font d’ordinaire
immédiatement par eux-mêmes, qui étant voifins,
connoiffent aifément les néceffités les uns des
autres, 8c peuvent fe prêter une affiftance mutuelle
pour yfuppléer. Mais lorfque l'induftrie des hommes
augmente, & que leur vues s’agrandiffent,
il fe trouve que les parties de l’Etat les plus éloignées
les unes des autres, peuvent s’afllfter réciproquement
, auffi bien que les plus voifines , ɧ
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que cette communication de bons offices peut et fe
portée à fa plus grande extenfion.
De-Ià vient l’origine des négocians ou marchands:
claffe d’hommes la plus utile à la fociété, qui fervent
comme d'agens entre ces différentes parties
de l’Etat $ qui ne fe connpiffent en aucune manière
qui ignorent les befoins les uns des autres.
De-là vient auffi que, s’il fe trouve dans une ville
cinquante ouvriers en foie ou en laine, il s’y trouve
auffi mille perfonnes qui ont befoin de leur travail.
Ces deux dernières claffes d’hommes fi né-
ceffaires les uns aux autres , n’ auroient pas toujours
une grande facilité à fe rencontrer, fans une troi-
fième claffe qui ouvre une boutique , où fe rendent
d’un côté les, ouvriers , & de l’autre, ceux
qui ont befoin de leur travail.
Une province élève beaucoup de bétail , fait
du beurre 8c du fromage ; mais on y manque de
bled 8c de pain ; ces denrées abondent dans la
province voifine , beaucoup au delà de la con-
fommation néceffaire à fes habitans. Un homme
fait cette découverte , il apporte du bled d’une
province , & retourne avec du bétail ; 8c pourvoyant
ainfi au befoin des deux , il devient » en
cela , leur bienfaiteur commun.
A mefure que îè peuple augmente en nombre
& en induftrie , la difficulté de leur correfpon-
dance mutuelle devient plus grande.’ L’emploi de
l’argent ou de la marchandife devient plus embar-
raffé , & fe divife , fe fubdi vile , s’arrange 8c fe
mêle dans une plus grande Variété. Dans toutes
ces tranfa&ions, il eft néceffaire &: raifonnable
qu’une partie confidérable des commodités 8c du
travail appartiennent au marchand , à la vigilance
duquel on eft redevable de la facilité de fe les
procurer.
Quelquefois il gardera ces commodités en nature
; o u , plus communément, il les convertira
en argent , qui eft leur repréfentation commune.
l’or & l ’argent ont augmenté dans l’Etat avec
l’induftrie, il faudra une grande quantité de ces
métaux pour repréfenter une grande quantité
de commodités 8c de travail. Si l’induftrie feule a
augmenté , les prix de chaque chofe doivent tomber,
8c une très-petite quantité d’efpèces fervira
de repréfentation. •
11 n’y a rien que l’efprit humain demande plus
conftamment, & d’ une manière plus infatiable ,
que de l’exercice 8c de l’emploi ; & ce defir pa-
roît être le fondement de toutes nos pallions & de
toutes nos recherches. Privez un homme de toute
affaire & de toute occupation férieufe , il court
fans relâche d’un amufement à un autre ; le poids
de fa pareffe l’accable tellement , qu’il oublie ,1a
ruine où l’entraîne fa dépenfe immodérée. Donnez
lui la manière plus innocente d’occuper lbn
efprit ou fon. corps , il eft fatisfait ^ 8c cçffc
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d’éprouver cette foif du plaifir que rien ne peut
fatisfaire.
Mais fi l’emploi qu’il obtient lui devient utile,
fi fpécialement quelque profit eft attaché à l’exercice
particulier de fon induftrie, il a fi fouvent le
gain devant les yeux , que'par degrés il en fait
l ’objet de fa paffion , 8c ne connoît pas de plus
grand plaifir que celui de voir augmenter tous les
jours fa fortune. C ’eft ce qui fait que le commerce
augmente la frugalité- , & que-, pafmi les
marchands, les avares l’emportent fur les prodigues
, dans la même proportion qui fe trouve entre
les prodigues 8c les avares, parmi les poffef-
feurs de terres.
Le commerce augmente l’induftrie, en la faifant
paffèr aifément d’ un membre de l’Etat à l ’autre,
8c ne permettant pas qu’aucun périffe , ou devienne
inutile. La conféquence infaillible de toute
profeffion d’induftrie, eftd’infpirerlafrugalité,& de
faire prévaloir l’amourdu gain,fur l’amour du plaifir.
Parmi les avocats 8c les médecins occupés, il
y en a beaucoup plus qui dépenfent moins que
leur revenu, qu’il n’y en a qui l’excèdent. Mais
les avocats & les médecins n’engendrent aucune
induftrie ; c’eft même aux dépens des autres qu’ils
acquièrent leurs. richefles , de façon qu’ils font
fûrs de diminuer les poffeffions de quelques-uns
de leurs concitoyens auffi-tôt qu’ils augmentent
les leursi
Les marchands , au contraire, produifent l’in-
dûftrie, en fervant comme de canaux pour la faire
pafler dans chaque partie de l’Etat ; & en même
tems par leur frugalité , ils acquièrent un grand
pouvoir fur cette induftrie , 8c amaffent un fonds
confidérable de travail & de commodités qu’ils
ont en effet produit , comme en étant les principaux
inftrumens.
Le commerce eft donc la feule profeffion qui
puiffe augmenter l’indurtrie, & multiplier les prêteurs
d’ argent j ce qui en fait baiffer Y intérêt.
Il ne refte plus qu’à confidérer à préfent , jusqu’où
l’augmentation du commerce diminue les
profits de cette profeffion , & comment elle amène
la troifième circonftance requife , pour caufer
une diminution dans Y intérêt. -
, 1 1 faut obferver d’abord , que la modicité d’/Vz-
8t la modicité du prix des marchandifes,
s’entraînent mutuellement l’une l’autre , 8c dérivent
toutes deux originairement de ce commetce
etèndu, qui produit les négocians opulens, 8c qui
rend Yintérêt de l’argent confidérable. Où les
marchands poffèdent de grands fonds repréfentés
par peu ou beaucoup de pièces de métal , il doit
arriver fouvent, que , foit lorfqu’ ils fe laffent du
commerce, foit lorfqu’ils ont des héritiers qui n’y
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font pas propres, ou qui ne veulent pas s’ y adonner
, il eft naturel qu’ ils cherchent à s’ affiirer un
revenu annuel 8c certain , proportionné à cette
grande quantité de richefles. L’abondance diminue
le prix , & fait que les prêteurs fe contentent
d’un intérêt plus bas. Cette confédération en oblige
plufieurs à conferver leurs fonds dans le commerce,
& à fe contenter plutôt d’un petit profit,
que de difpoferde leur argent à un intérêt modique.
D ’un autre côté , lorfque le commerce eft devenu
très étendu , 8c emploie de grands fonds ƒ il
doit naître parmi les marchands des rivalités, qui
diminuent les profits du commerce en même tems
qu’elles augmentent le commerce même.
Les profits modiques de la marchandife indui-
fent les marchands à accepter plus volontiers un
modique intérêt, lorfqu’ils quittent le commerce ,
& veulent fe repofer. Ainfi il eft inutile de chercher
laquelle de ces circonftances , Yintérêt modique
ou un profit modique , eft la caufe , 8c laquelle
eft l’effet :■ elles naiffent toutes deux d’un
commerce .étendu, & s’entraînent mutuellement.
Aucun homme n’acceptera de petits profits 3
lorfqu il peut avoir un gros intérêt y ni ne confen-
tira a un petit intérêt, s’il peut avoir de gros profits.
Un commerce étendu , en, produifant de
grands fonds, diminue 8c Yintérêt 8c. le profit,
& la diminution de l’un eft toujours proportionnée
à celle de l’autre.
Ainfi , en regardant l’entière connexion des
caufes 8c des effets, Yintérêt eft le,vrai baromètre
de 1 Etat. Lorfqu'il eft bas , c’eft un figne certain
que le peuplé eft aifé;c’eft une preuve de.l’ augmen-
tation de 1 induftrie, & de fa prompte circulation.
^ Ceux qui ont afluré que l’abondance d’argent
et oit la caufe de là modicité de■ !’intérêt, paroif-
fent avoir pris un effet collatéral pour une caufe ,
puifque la même induftrie qui fait tomber Yintérêt,
acquiert d’ordinaire une grande abondance d’argent.
Une variété de belles manufa&ures , avec des
marchands vigilans 8c entreprenans. , l’attireront
bientôt dans un Etat , s’il y en a quelque part
dans le monde. La même caufe , en multipliant
les aifances de la vie , & en augmentant l’induftrie
, amafle de grandes richefles dans, les mains
de perfonnes qui ne poffèdent pas de terres, 8c
par ce moyen fait tomber Yintérêt.
. Mais quoique l’abondance d’argent 8c la modicité
de Yintérêt proviennent naturellement du
commerce & de 1 induftrie , ils ne laiflent pas
d’être abfolument indépendans l ’un de l’autre.
Suppofons une nation fans aucun commerce
etranger , fans connoiffancé de la navigation ,
pofledant conftamment le même fonds de mon-
noie , & qu’elle augmente toujours par fon induf-
tne & fon commerce intérieur 5 il eft évident