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Vers le déclin die la fécondé race de nos rois,
les filles furent admifes à la pofleflion des fiefs,
en dérogeant à la loi falique, qui les en excluoit,
comme incapables du fervice militaire j en forte
que les fiefs devinrent héréditaires en France ,
mais non pas de commerce. On pouvoit y fuccé-
der , fans néanmoins pouvoir les vendre, que de
l'agrément du feigneur.
Cette faculté n'a été accordée par les premiers
rois de la race régnante , qu'à la charge de la foi
& hommage , 8c fous la condition que ce devoir
feroit réitéré par tous ceux qui fuccéderoient au
fief à quelque titre que ce fût. Qu'à chacune des
différentes mutations quiarriveroient dansla fuite,
il feroit payé des droits plus ou moins forts , fui-
vant lé genre des mutations , & ainfî qu'il, a de
plus été réglé par les coutumes pour le pays coutumier
y 8c pour le pays de droit é crit, par les
ufages qui s'y font toujours confervés.
Les premiers inveftis des fiefs, en ontfous-in-
féodé des parties , aux memes conditions qui leur
étoient impofées , 8c les fous-inféodataires en ont
ufé de même. Ils fe font faits, non-feulement des
vaflaux p mais encore des cenfitaires , en aliénant
des domaines par de fiinples baux à cens , à la
charge de les tenir en roture , de payer annuellement
une redevance modique , in recognitionem di-
re£ti domini 3 8c fous la condition , qu'aux mutations
par vente, il feroit payé certains droits au feigneur
direéL
C e s inféodations 8c fous-inféodations ont multiplié
les fiefs au point où ils le font aéhiellement
dans le royaume -, les baux à cens y ont multiplié
les cenfives 5 de manière que le droit commun
n'admet, en pays coutumier , aucune terre qui ne
foit tenue de quelque feigneur, à titre de fief ou de
cenfive.
De la gradation qû'on vient d'expofer , il ré-
Iulte qu’il n’y a point de fie f dans le royaume,
qu’il n’y a pas même de domaines en roture , qui
ne foient émanés originairement de la couronne,
& qui n'en foient tenus médiatement ou immédiatement.
L'hérédité des fiefs n’a point détruit
le domaine direéfc, toujours réfervéau roi, comme
feigneur primitif -, les fous-inféodations n’y ont
pas non plus donné atteinte : c'eft dans le roi feul
que réfîde abfolument le véritable domaine de
tous les fiefs & arrière-fiefs du royaume.
Les rois érigent fouvent des rotures en fiefs,
8c il eft x en conféquence, expédié des lettres particulières
en faveur de l ’impétrant. Il y a eu même
des érections de fief générales -, c'eft-à-dire , qu’en
payant une finance au roi , des biens poflfédés en,
roture étoient érigée en f ie f , & poffédés noblement
, fans néanmoins que le changement-de la
nature des terres, pût en occafionner par rapport
aux tailles.
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I De même les perfonnes roturières , q u i, par
| leur origine, font incapables de polféder des biens
: nobles-ou des fiefs , fans une permiflion du fou-
; verain , rachètent cette incapacité , ou fe procurent
cette permiflion au moyen du paiement d’une
finance > & c’eft dans ce cas que l’on donne le
nom de franc-fief à cette finance.
Le droit de franc-fief eft royal & domanial 5 les
feigneurs n’y ont plus aucune part.
L'origine de ce droit vient, de ce qu'ancien-
nement les nobles étoient les feuls auxquels on
concédoit les fiefs. 11 étoit défendu aux roturiers
d’en acquérir , comme il paroît par deux anciens
arrêts , l'un de 116 5 , l’autre de 1282 j &
comme il eft porté dans les coutumes de Meaux ,
article C X L IV 3 Artois , C X X X V I I . C e qui
s ’obferve aufli en-Bretagne.
C e ne fut qu’ à l’occafion des croifades , le£
quelles commencèrent l’an 1095 » que les roturiers
commencèrent à polféder des fiefs. Les nobles
qui s’emprefloient prefque tous, à faire paroître
leur zèle dans ces expéditions -, pour en foutenie
la. dépenfe , furent obligés de vendre une partie de
leurs fiefs & feigneuries ; & comme il fe trouvoic
peu de nobles pour les acheter, parce que la plupart
s’engageoit dans les croifades , ils furent con*
traints^de les vendre à des roturiers, auxquels nos
rois permirent de polféder ces fiefs,en leur payant
une certaine fomme , qui fut dans la fuite appel-
_ lée droit de franc-fief.
C e droit fut regardé comme un rachat de la
peine encourue par les roturiers , pour avoir acquis
.des fiefs contre la prohibition des anciennes
ordonnances j & comme il n’appartient qu’au fou-
verain de difpenfer des loix & d’en faire de nouvelles
, le roi eft aufli le feul, qui puifle permettre
aux roturiers, de polféder des fiefs, & exiger d’eux
pour cette permiflion , la taxe appellée droit de
franc-fief.
La peçmiflion accordée aux roturiers de polfé-
der des fiefs, étoit d’autant plus importante , que
la polfeflion de ces fortes de biens avoit le privilège
d’affranchir les roturiers qui demeuroient
dans leurs fiefs , tant qu’ils y étoient levans 8c
couchans. M. de Boulainvilliers , dans fon Hifi-
toire de la pairie , prétend même que le roturier
qui acquéroit un fief , & vouloit bien en faire le
fervice militaire, devenoit noble, & ne payoit le
droit dt franc-fief que comme une indemnité lork
qu’il ne vouloit pas vivre faliquement ou noble"
ment -, c’eft-à-dire, faire le fervice militaire.
Il paroît du moins certain , que les roturiers
polfelfeurs de fiefs , étoient réputés nobles , lo r f
que leurs fiefs étoient tombés en tierce-foi -, c ’eft-
à-dire , lorsqu'ils avoiept été partagés deux fois
entre roturiers 5 à la troilième fois ils les parta-
geoient noblement, & de même que les nobles*
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Nos rois n’approuvoient pourtant pas les ufur- •
pations de noblefle, & pour en interrompre la pof-
feflion, ils faifoient de teins eiuemsjpayer aux roturiers
une taxe pour leurs fiefs. Cependant les roturiers
poiTeffeurs de fiefs, ayant toujours continue
de prendre le titre d’écuyers, l’ordonnance de Blois
ftatua enfin,par l’article C C L V I I I , que les roturiers
& non-nobles, achetant fiefs nobles , ne feroient
pour ce annoblis , de quelques revenus que fuf-
fent les fiefs par eux acquis > 8c tel eft l’ufage que
l ’on fuit présentement.
Anciennement les roturiers ne pouvoient acquérir
un fief-, farts le confentement du feigneur
immédiat dont le fief relevoit. Il étoit permis aux
feigneurs particuliers de recevoir des roturiers
pour vaflaux , pourvu que les droits du roi ne
fuflent point diminués ; c’eft-à-dire , que les roturiers
s’obligeaflent de faire le fervice du fief,
ce qui intérefloit le roi, en remontant jufqu a lui,
de degré en degré.
Mais comme ordinairement les roturiers qui
achetaient des fiefs ne s'engageoient pas^ a faire le ;
fervice militaire, on appeltoit cela, abréger le fie f;
c'eft-à-dire , que le fervice du fief étoit abrégé ou
perdu.
Il arrivoit de-là que le fief étoit dévolu au feigneur
fupérieur & immédiat , au meme état que
le fief étoit avant l’abrégement ; & comme le feigneur
diminuoit lui-même Ipn fief, en approuvant
ce qui avoit été fait par fon vaffal , le fief de ce
feigneur fupérieur immédiat étoit, à fon tour, dévolu
à fon feigneur fupérieur, & ainfî de feigneur
, fupérieur, en feigneur fupérieur, jufqu au roi 5 de
manière que pour défintéreffer tous ces feigneurs,
51 falloit leur payer à chacun une finance ou indemnité.
Philippe I I I , dit le Hardi , abolit cet ancien
droit par fon ordonnance de 1275. Elle ordonne
que les perfonnes non-nobles qui auroient acquis
des fiefs , 8c les tiendroient par'hommage à fervice
compétent , ne pourroient être inquiétéspar les
juges royaux , lefquels les laifferoie-nt jouir paifi-
blement de ces biens ; qu’au cas où ces perfonnes
non-nobles auroient fait de telles acquintions des
fiefs ou arrière-fiefs, hors les terres des barons , fi
entre le roi 8c celui qui avoit fait l’aliénation, il
ne fe trouvoit pas trois feigneurs , & s’ils pofle*
doient les fiefs acquis avec abrégement de fervice ,
ils feroient contraints de les mettre hors de leurs
mains , ou de payer le fruit de deux années -, 8c
que fi un fief étoit commué en roture , les çho*
fes feroient remifes en leur premier état, à moins
que le poflefleur ne payât au r o i , l’eftimation des
fruits de quatre années.
Cependant depuis , en quelques lieux, l’ ancien
droit fut fuivi par rapport, à l’abrégement de fief,
comme il fe voit dans l'ancienne coutume de
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Bourges , qüi porte , ” Q*e lh oh aucune perfonne
non-noble acquiert de noble , telle perfonne acquérant
ne peut tenir L'acquêt, f i elle ne fa it finance au feigneur
défi e f 3 & aujft de feigneur en, feigneur jufqu au
roi.
Philippe-le-Bel , par fon ordonnance de 1691 >
dérogea en quelque chofe à celle de Phiiippe-le-
Hardi , ayant ordonné que , quant aux perfonnes
non-nobles qui acquéreroient des terres en fiers
ou arrière-fiefs du roi, hors les terres des barons,
fans fon confentement, s'il n’y avoit pas entre le
roi & celui qui avoit fait l’aliénation , trois feigneurs
intermédiaires , foit que les acquereurs
tinflent, à la charge de deflervir les fiefs ou non ,
ils payeroient au roi la valeur des fruits de trois
années -, 8c que s’ il y avoit abrégement du fief, ils
en paieroient le dédommagement au dire de prud -
hommes.
Le droit de franc-fief fut aufli levé par Philippe
V 5 dit le Long , lequel , par fon ordonnance du
mois de mars 1520, renouvella celle de Philippe-
le-Bel } excepté qu’au lieu du {hre des prud’hommes
, fuivant lequel les roturiers doivent payer en
cas d’ abrégement de fervice, il ordonna qu’ ils paie
roient l’eftimation des fruits de quatre années.
Charles-le-Bel fit deux ordonnances touchant
les franc-fiefs.
L ’une en 1322 , portant que les perfonnes non*
nobles qui avoient acquis depuis trente^ans , fans
la permiflion du roi , des fiefs 8c arriéré fiefs 8c
des aïeux , feroient obligés de mettre ces acquili-
tions hors de leurs mains , fous peine de confifca-
üün . avec défenfe de faire dans la fuite de pareil-
L ’autre ordonnance du même prince , du 18
juillet 1326, eft conforme à celles de Philippe-le-
Bel 8c de Philippe-le-Long, 8c porte que, dans le
cas expliqué par ces précédentes ordonnances ,
les roturiers paieroient feulement la valeur des
fruits de deux années, & qu’ils en paieroient quatre
, pour la converfîon d un fief en roture.
On trouve aufli une déclaration de la meme année
, portant que les roturiers ne paieroient point
de finance, pour les biens qu'ils auroient acquis à
titre d’emphytéofe , moyennant un certain cens
ou penfion , pourvu que ce fût fans jurifdiétion »
& que la valeur du fief ne fût pas diminuée.
Il eft aufli ordonné , que les roturiers defcen-
dans d'un père non-noble 8c d une mere noble ,
ne paieront aucune finance, pour les biens qui leur
viendraient par fucceflion de leur mere , ou de ids
collatéraux nobles. N
Du tems de Philippe de V a lo is , on fit une re*
cherche du droit de franc-fief. C e prince rendit,
le 17 juin 1328', une ordonnance latine ace fujet,