premiers foins à ia cçnfervation <iu précieux gouvernement
dont vous jonifiêz > & craignez qu on
n’y devienne un jour indifférent , fi , par ces impôts
exceififs que \i guerre accumule , vous expo-
fez aux terribles combats de l’intérêt perfqnnel ,
ce fentiment public & patriotique qui fit fi long-
tems votre force & votre bonheur. Enfin, comme
dans tous les pays , dès que le moment des paf-
iïons particulières eft palfé , l’on jette un regard
fur ce dépôt des droits de l’ homme & du citoyen,
dont vous êtes encore les gardiens ^ fongèz que
vous devez compte à l’humanité entière de cette
liberté dont vous confervez les relies , afin que fi
dans une partie du monde .bientôt les traces en
font effacées , l’on en trouve encore quelque part
le type & le fouvenir.
Et vous , nation naiffante , que de généreux
efforts ont détaché du joug de l’Europe ! rendez
les droits que vous avez acquis plus refpeétables
encore aux yeux de l’univers , en vous occupant
conftamment de la félicite puolique ; ne la facri-
fiez point aux idées vagues de la politique , & aux
calculs trompeurs de l'ambition guerrière ; évitez
, tardez , du moins , de vous me 1er aux paf-
fions de notre hémifphère ; ne prenez de notre
vieilleffe que les lumières, & confervez long-tems
la iîmplicité du premier âge > honorez enfin la
nature humaine , en montrant que , livrée à fon
propre eflfor , elle eft capable encore , & de ces
vertus qui foutiennent l ordre , 3c de cette fàgefie
qui affure la tranquillité.
. C 'e ft dans les idées du bonheur public , &
dans une jufte conception de la véritable puiffan-
ce que j’ai cherché , jufqu’ à préfent, des motifs
pour détourner les fouverains de l’efprit de guerre
& de jaloufie ; mais je n’aurois rempli qu irepar-
foitement la tâche que je me fuisprbpofee; f i , au
nom de leur bonheur perfonnel, je n eflayoïs de
les intéreffer aux vérités dont j’ai pris ici la de-
fenfe ; & c’ eft à m’acquitter de ce devoir , que je
deftinerai les réflexions que je vais préfenter.
Les rois font bientôt fatigués des amufemens &
des vanités ; les. plaifirs fe preffent autour d ’eux ,
avant qu’ils aient eu le tems de les defirer 3 8c ils
en éprouvent la fatiéré long-tems avant les aufres
hommes. Nés au milieu de la pompe des cours ,
& des refpeéts craintffs de tous, ceux qui les environnent
, ils s'habituent dès l’enfance a 1 éclat du
trône & fon brillant appareil ne frappe plus leurs
fens; il leur faut donc un objet d’interet, ondes
diffractions continuelles, pour fe délivrer de l’ennui
qui les pourfuit.
Les uns ont élevé des palais & des pyramides,
comme pour réveiller , au-dedans d’eux-mêmes,
l’idée de leur grandeur ; d’autres ont eu 1 ambition
d’accroître leurs Etats, & n'ont pas craint de familier
le-fang & la fortune de leurs fujets, pour
ajouter quelques lieues de pays â vingt ou trente
mille qu'ils poffédoient déjà fans plaifir } un plué
grand nombre’, indifférens à tou t, ont confommé
leur règne dans la mollefle & dans l’inaétion j les
plus heureux , fans doute , font ceux qui , doués
à la fois d’une ame grande & fenfible , ont connu
les douceurs de la bienfaifance publique. C e n’ eft
que dans ‘ l’exefcice de cette vertu , que les rois
peuvent trouver des fatisfaclions toujours renaif-
fantes 5 les objets en font tellement étendus, tellement
diverfifiés , qu’ un pareil fentiment ne s’é-
puife jamais , 8c il fe lie bientôt à des idées d’ordre
& de devoir , qui lui prêtent une nouvelle
force. Auflî , tandis que la fauffe gloire a befoin
à chaque inftant de l’éloge des Jiommes , & ne
jouit d'elle-même qu’au milieu du bruit 8c des
acclamations , la bienfaifance publique répand
dans le coeur de ceux qui s’en pénètrent , des
confolations de tous les jours 8c de tous les inf-
tans : ce font , pour-ainfi-dire , des biens indé-
pendans, & que, ni le tems , ni les hommes, ni
leur ingratitude, ne fauroient vous jravir.
L ’ambition la plus éclatante & la plus célébrée 4
celle des victoires 8c des conquêtes : que d’inquiétudes
, que de remords fecrets l’accompagnent!
Sans doute j du milieu des combats 8c des
deftruélions , du milieu de ces monceaux de cendres
où la flamme a réduit des vides floriftantes ,
. du fond de cette terre où des armées entières font
enfevelies , un nom s’élève 8c paroît dans l’hif-
toire 5 & c’eft celui du fouverain , q u i, pour af-
fouvir fes idées dé gloire a commandé ces rava*
ges & voulu ces defolations.^ Semblable aujourd’hui
, pour nous , à ces volcans éteints qui vomi
flfoient le fe u , le foufre & le bitume , le fouve-
nir qui nous en refte excite quelquefois notre
étonnement j. mais ces traces. effrayantes , qu’ un
prince guerrier & conquérant latffe long - tems
après lu i , ne nous atteftent point le bonheur dont
il a joui.
Je me- le repréfente , ce prince , dans les plus
beaux jours de fa gloire & de fon triomphe.} je
me le repréfente au moment o ù , après avoir écouté
les difeours de fes çourtifans , & s’être comme
abreuvé de leurs louanges , il rentre feul dans fon
cabinet, tenant dans fa main les détails des horreurs
d’un combat } il lit attentivement ce récit,
non comme un fîmple curieux , q u i, n’ ayant point
de reproches à fe faire , ne vit que d’évènemens 5
mais comme l’auteur de tant de maux , & dont il
n’eft aucun , peut-être , qui ne retentiffe au fond
de fa confçiençe.
A lo rs , prêt à commander de nouvelles effu fions
de fan g , prêt à augmenter le poids des ti-ibuts,
prêt à aggraver le fort de fon peuple , 8c à appe-
fantir fur ;ous fes fu-iets fa maip triomphante , que
de triftes réflexions fe préfentent à lui , que de
(ombres penfées viennent l’alTaillir J 11 voudroit,
ans cet inftant , rappeller la foule qui l'entiron-
noit: Revenez , s’ écrieroit-il volontiers , revenez
me dire tout ce qui m’enivroit tout-à-1 heure >
vous vous êtes éloigné, & je me fuis troiive comme
dans un défère effrayant 5 je ne reconnois plus,
dans la folitude , les traces de mes premiers fenti-
mens ; la lueur qui m’éblouiflbit s’eft éteinte, ma
joie s’échappe, ‘6c ma gloire s’évanouit. Te l e ft,
à-peu-près, le cours des penfées qui commencent
à préoccuper le monarque rendu à lui-même. C e pendant
la nuit s’avance ; l’ombre & le fil en ce
couvrent la terre j la paix femble régner par-tout
excepté dans fon coeur > les cris plaintifs des
moürans, les pleurs des familles défolées, les divers
maux dont il eft la caufe, fe préfentent à fon
fouvenir, & troublent fonj’imagination : tout l’in-
quiette, tout tient fon ame en fufpens j un Congé,
le bruit des vents , l’écîat du tonnerre, fuffifent
quelquefois pour l’agiter, & pour le rappeller à fa
petiteffe. Qui fuis-je , fe dit-il alors malgré lu i ,
qui fuis-je , pour commander tant de ravages &
pour faire verfer tant de larmes ! N é pour être un
des bienfaiteurs du genre-humain, j’en fuis devenu
Je fléau ! Eft-ce-là l’ ufage que je dois faire, & des
tréfors dont je difpofe , &~du pouvoir qui m’eft
remis ! Ou tout exifte dans l’univers fans ordre ,
fans but 80 fans motif, 8c la morale eft une chimère
, ou j’ai quelque compte à rendre ; 8c ce
compte,, quel fera-t-il ! C ’eft en vain alors, que ,
pour s’enorgueillir ou pour fe difculper à fes propres
yeux , le monarque inquiet veut rapporter à
l’Être fuprême fes fuccès & fes triomphes : il
croit fentir une main învifible qui le repouffe , &
qui femble rejetter fa reconnoiffance. Enfin, troublé
par ces idées , il fait des efforts pour enfevelir
dans le fommeil des momens qui l’ importunent,
impatient que le jour du matin , l’appareil de fa
cour 8c la foule de fes ferviteurs , viennent difîi-
per fes angoiffes, & le ramener à fes illufions.
Ah ! que la vie d’un roi bienfaifant préfente un
autre tableau i On croit paffer de ces nuits d’orage
& de tempête à ces jours purs 8c fereins , où le
calmé de la nature anime, dans tous les êtres , le
charme de l’exiftence & le fentiment du bonheur.
Un roi bienfaifant trouve dans la difpofition de
Ton ame j une fource continuelle de fenfations douces
, 8c dans les occupations de fon efprit , des
objets conftans d’intérêt. Rien, dans la nature ,
rien dans l’ordre de la fociété, ne lui eft indifférent,
• puifque tout s’y rapporte , de quelque maniéré,
au fort des hommes, 8c au degré de félicité dont
ils font fufeeptibies. En fe rapprochant d’eux par
fon amour 8c par fa penfée , il n’a pas cet orgueil
fuperbe qui naît de l’intervalle immenfe que les
princes mettent communément entr’eux & leurs
fujets , 8c qui les rend comme feuls fur la terre j
mais il a ce fentiment plus v if 8c plus fublime ,
qui tient à la connoiffance de tout ce qu’il peut
$our leur bonheur. Enfin, en apprenant de bonne
Fiua/Lces. Tome IL
heure à (e diftraire de lui-même 8c à vivre dans
les autres , le roi bienfaifant prolonge fes plaifirs,
& l’âge, l’habitude 8c l’ennui qui éteignent toutes
les paffions des hommes , fémblent refpeéier la
fienne!
Celui qui fait fervir toute fa puiffance â fon ambition
, éprouve bientôt la réfiftance que lui oppo-
fent les évènemens , les intérêts divers , & les
bornes deTes moyens j c’eft un pilote qui conduit
fon navire à travers les rochers , & qui entend, à
chaque inftant , le cri des bois qtii,fe rompent ou
qui fe détachent. Le prince qui s’occupe effen-
tiellement de la profperité de fon royaume & de
la félicité publique , apperçoit auflî, fans doute ,
des difficultés } mais ces obftacles ne l’aigrifTent *
ni ne l’irritent. Il y a dans un but honnete , un
repos de confcience, & comme une forte d’harmonie
entre nos fentimens & nos devoirs , q u i , afl
milieu des contrariétés , entretient encore dans 1«
coeur d’un monarque , le calme & la tranquillité.
Auffi , loin de fuir fes penfées, 8c d’abréger ainfi
les momens de fa vie , il fe plaît dans le recueillement
& la méditation , 8c dans toutes ces aârions
de Taine où l’homme fe rapproche de lui-même i
les ombres de la nuit , en raffemblant autour de
lui des fouvenirs confolans , femblent animer fa
folitude 5 les mouvemens de la nature agitée , loin
de troubler jamais fon imagination , réveillent en
lui des idées qui s’unifient avec douceur à tous fe».
fentimens : cet amour des hommes dont il eft
épris, cette bienfaifance publique dont il eft animé
, cet ordre qu’il fe plaît à entretenir , le ramènent
aux plus grandes penfées 5 8c en déployant
fes moyens & fes forces pour le bonheur de fes
fujets , il s’élève à la conception de cet Etre infini
, qui femble avoir formé le monde d’un trait
d’amour & de puifiance.
C*eft dans ce cours , toujours pur de fentimens
8c d’adtions qui s’allient enfemble , que le roi
bienfaifant voit fes jours s’écouler 5 & lorfqu’averti
par la fùccefilon des années, que le tems approche
où fes forces devront s’évanouir il envifage
avec tranquillité ce terme inévitable : & quand il
n’eft plus tems d’agir ni de projetter , il jette un
regard fur fon règne ; 8c fatisfait du fage emploi
qu’il en a fa it, il s’abandonne aux efpérances, que
les âmes vertueufes' 8c fenfibles font feules capables
de faifîr.
Que cettè fin de la vie eft différente pour le
monarque qui n’ a connu que l’ambition 8c l’amour
de la guerre! Que fouvent ce dernier inftant lui.
paroît terrible , & qu’il tire peu de fecours alors
de fes adtions les plus éclatantes ! Affaiffé par l'âge
& la maladie , quand les dangers de la mort l’environnent
, 8c qu’il voudroit fe délivrer des fom-
bres réflexions qui l’obfèdent, ordonne t-il qu’on
l’entretienne de fes combats & de fes victoires ?
demande-t-il qu’on lui rappelle les ruifleaux ùg
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