
7*8 L O R
2°* Nous détruirons les objections que l’auteur
des lettres forme contre ce projet.
Nous éviterons la diffufîon à laquelle il s’eft
liv r é , pour faire un volume de quatre cens pages
fur la aueftion dont il s3agit ; l ’emphafe qu’ il a
employée pour en impofer à des leCteurs peu inf-
truits , fes exagérations , (es fophifmes fes contradictions
continuelles 3 Si les déclamations dont
il a rempli fon ouvrage. Nous ferons courts , Amples.,
vrais, Si plus citoyens que lui.
Il feroit fuperflu , Monfeigneur, que nous nous
arrêtaflîons à prouver , contre fauteur des lettres ,
la néceflité & l'utilité des tarifs en général. C ’eft
un principe d’adminiftration reçu aujourd’hui chez
toutes les nations commerçantes , & établi dans
tous les ouvrages écrits fur cette matière , que les
impôts fur les marchandifes étrangères font né-
ceffaires pour favorifer le commerce national. Un
peuple commerçant ne peut fe défendre contre
une prohibition ou une impofition fur les productions
de fon fol ou de fon induftrie, établies
chez le peuple voifin , qu’en interdifant ou en im-
pofant aufli les denrées & les marchandifes que
ce peuple, Ton rival, verferoit chez lui.
Si lorfque les Anglois défendent chez eux 1’ufa-
ge des productions des fabriques françoifes , nous
nous habillons des étoffes angloifes ., la France
devient tributaire de l’Angleterre ; les produits de
nos t e r r e s & même ceux de notre induftrie dans
d'autres genres, feront continuellement tranfpor-
tés , ou en nature 3 ou en valeur , en Angleterre ,
pour augmenter chez ces rivaux dangereux 3 la
population & l’aifance 3 tandis que l’une & l’autre
diminueront chez nous. De-là la néceflité & l’utilité
des prohibitions ou des droits , c’eft-à-dire ,
des tarifs en général.
Les avantages que procure à une nation le travail
des matières premières mifes en oeuvre, &
portées par l’induftrie à une plus grande valeur ,
font trop connus , pour qu’il foit néceflaire de les
développer ici. Par les travaux des manufactures ,
les productions du fol 3 les laines 3 les chanvres,
les foies 3 deviennent Si plus utiles & plus agréables.
Les ouvrages d’ un peuple induftrieux 3 fran-
chiflent les bornes de l'Etat ; ils vont jufques
chez les étrangers 3 obtenir la préférence fut
ceux qu’ils fabriquent eux-mêmes , & ils en
attirent des denrées que la nature avoit refufées à
celui-là 3 ou ne lui avoit pas données en affez
grande abondance, ou de l’argent, avec lequel il
peut fatisfaire à fes befoins & à fes plaifirs.
L ’agriculture , qui fournit les matières que les
manufactures emploient , eft payée , avec ufure ,
des fonds quelle a fournis à l’induftrie ; l’aifance
des cultivateurs augmente en même raifon que les
fuccès des hommes induftrieux, & la population 3
& les forces dç l’Etat , viennent à la flûte 4e l’ai-
L O R
fance des uns Sc des autres j car les progrès de
l’agriculture Si des arts induftrieux 3 marchent
d’un pas égal. Encouragez l’agriculture , les travaux
des arts s’animeront > encouragez l’induftrie,
l’agri cul cure fera floriffante.
Si donc l’établiflement dn tarif en Lorraine 3
tend à animer les travaux de l’induftrie dans la
province 3 fon utilité ne peut être révoquée eu
doute j or c’eft l’effet qu’on en doit attendre.
L ’état de langueur de nos manufactures eft l’effet
de deux eau fes 5 d’un cô té , le verfement des productions
des manufactures étrangères dans la province
} de l’antre , le débouché des provinces de
France fermé à nos marebandifes 3 par les droits
exigés à l’entrée de ce royaume. Le tranfport des
bureaux fur la frontière de la Lorraine 3 entre l’étranger
Si nous , changera cet état des chofes à
notre avantage.
La principale caufe de la langueur Si de la décadence
de plufieurs fabriques dans la province ,
eft le verfement des productions des manufactures
étrangères > c’eft ce qu’il nous, eft très-facile de
démontrer en partie 3 d’après les aveux de l’auteur
des lettres 3 Si en partie 3 d’après l’évidence des
faits.
L’auteur des lettres fait mention de quatre manufactures
d’étoffes de laine établies à Nancy ;
d’un nombre confidérable de métiers à bas dans la
même ville ; d’ un corps de drapiers ,*diftingué Si
protégé à St-Nicolasj de deux manufactures de toiles
élevées à Neuf-château 3 qui faifoient pafîer
des quintins & des linons jufqu’en Italie ; d’une fabrique
de chapeaux à Gerbeviller , Si de quantité
d’établiflemens utiles 3 protégés & encouragés
par nos fouverains : tout ce détail eft de l’auteur
même des lettres.
Tous ces établiflemens , depuis environ vingt
ans, font déchus, affoiblis ou anéantis : c’eft encore
une vérité que l’auteur des. lettres reconnoît
en plufieurs' endroits de fon ouvrage.
Maintenant , fi le verfement des productions
des manufactures étrangères en Lorraine 3 eft augmenté
dans la même proportion que nos manufactures
font diminuées , Si cela depuis la même
époque, pourra t on méconnoître la caufe véritable
de la décadence dont nous nous plaignons ?
Pourra-t-on fe diflimuler que cette caufe eft préci**
fément l’introduCtion libre des productions des
manufactures étrangères, Si ne fera-t-il pas prouvé
que le meilleur remède qu’on puiffe apporter à
çe rpal, eft précisément l’çtabliflçmept du tarif?
Or , nous prouvons invinciblement que depuis
vingt-cinq ou trente ans, le verfement des productions
des manufactures étrangères en Lorraine,
eft augmenté au moins du double.
Selon une balance dreffée par les marchands
euxTiiîê,tpe;s,
I O R L O R 7*9
eux-mêmes , Si jointe à un mémoire qu’ils ont
préfenté au roi de Pologne à fon arrivée en Lorraine
; balance faite fur des états détaillés , &
d’après leurs propres livres , l’exportation des
denrées de la province , en 1737 , fe montoit
a •••••• ......................................... 5,260,0001.
| Et F ’importation des marchandifes
étrangères, àla fom m ed e ................ 5,300,000
Voilà un fait que l’auteur des lettres ne peut
révoquer en doute , puifqu’il eft fondé fur un témoignage
qu’il ne fauroit réeufer.
Le droit d’entrée dans la ville de Nancy , fe
perçoit au quatre-vingt feizième denier du prix
coûtant des marchandifes qui y entrent. Cette
ferme paye aujourd'hui quarante-fîx mille livres
de canon j .en y ajoutant les frais de régie , nous
aurons au moins cinquante mille livres , qui fup-
pofent la valeur de cinq millions, ou à-peu-près ,
pour le prix des marchandifes étrangères qu’on
fait entrer à Nancy $ ainfî , voilà pour cinq millions
de marchandifes étrangères qu’on fait entrer
dans la feule ville de Nancy. L ’auteur des lettres
ne conteftera pas la juftefle de cette eftimation,
au moins pour les années antérieures à 1759.
Or , le commerce qui fe fait à Nancy , n’eft
guère que le tiers de celui qui fe fait dans la provice
5 mais fuppofons qu’il n’en fafle que la moitié
, on conviendra que nous fommes très-modé-
r e s , fi on fe rappelle le nombre des marchands en
gros , établis depuis environ trente ans dans toutes
les villes de la Lorraine. Neuf-château, Bar,
Digny, nous préfentoient , en 17 59 , de ces marchands
qui faifoient un commerce de trois à quatre
cens mille livres* Saint-Diez, Lunéville, Mi-
recourt , Epinal , Pont-à-Mouflon , renferment
egalement quantité de marchands , qui , comme
ceux de Bar , L igny , Neuf-château 3 tirent directement
de l ’étranger les marchandifes qu’ils débitent.
De là nous devons conclure , que la totalité
des marchandifes qui entroient dans la province
vers 17 59 , montoit à la valeur de dix millions fix
cens mille livres $ c’eft-à-dire, au moins au double
de ce qu’elle étoit en 1737.
# Un autre calcul nous conduit encore au même
réfultat de dix millions & plus , de marchandifes
étrangères importées en Lorraine 3 vers 1759.
i° . L ’auteur des lettres nous apprend , que de
mille marchands qui font répandus dans la Lorraine
, c en t, au moins , font le commerce en
gros , & tiennent magafin de marchandifes étran-
Finances, Tome 11,
gères i que ces marchands tirent de Francfort,
Bafle, ou Zurfack, des marchandifes de cinquante
façons différentes. Q u ’entre ces cent marchands,
il y en a qui portent à trois cens mille livres les
achats des marchandifes étrangères. Lui même
étoit autrefois de ce nombre , & il nous fait entendre
qu’il y en avoit encore beaucoup d’autres :
les plus foibles achats qu’il nous indique, font de
cent mille livres. .
Nous avons donc en Lorraine , fuivant cet écrivain
, cent marchands qui faifoient, en Allemagne
Si eh Suifîe , un commerce , les uns de trois
cens mille livres , les autres de cent mille'livres.
Mais pour ne rien outrer, nous fuppoferons que
la moitié de ces cent marchands ne faifoient des
emplettes que pour cinquante mille livres chacun ,
ce qui nous donnera en premier lieu, 2,500,0001.
Qu’ un quart Si d em i, ou trentefept,
achetoit chacun pour cent mille
livres 5 ce qui produira en fécond
l i e u , ...................................................... 3,700,000
Et enfin , que les treize qui nous
reftent, le demi-quart par conséquent,
achetoient chacun pour trois cens
mille livres , ce qui fera . . . ............ 3,200,000
Dont la fomme totale fera d e . . . . 10,100,000
20. L’aveu des marchands eux-mêmes , vient à
l’appui de notre eftimation. Allarmés fur les effets
du tarif , ils ont publié conftamment & hautement
, que le tarif les ruineroit, en fermant l’entrée
de la province à douze, millions de marchaa-
difes étrangères, qui leur paffoient par les mains.
D ’après ces preuves , ne fommes-nous pas au-
torifés à foutenir , que les importations étrangères
font augmentées de plus du double , depuis
1737 jufqu’en 1759 ? N ’ avons-nous pas raifon de
conclure contre l’auteur , que cette liberté de
commerce avec l’étranger , a détruit nos manufactures
& nos fabriques en laines , en lins & ea
chanvres , puifque leur deftruCtion eft venue par
degrés , à proportion de l’augmentation fuccefli-
ve du commerce de la Lorraine avec l’étranger,
tandis qu’avant le progrès de ce commerce meurtrier
, nous avons vu nos manufactures Si nos fabriques
floriffantes ? Et enfin , ne fommes-nous
pas en droit d’efpérer que le rétabli flement de ces
mêmes manufactures fera l ’effet heureux du tarif,
qui détruira cette première caufe de leur dépérif-
fement?
Nous avons dit que l’ autre caufe du fâcheux
état de nos. manufactures, eft l’entrée des provinces
de France, fermée aux productions de
notre induftrie 5 & l’influence funefte de cette
caufe, ceffera encore par l’établiflement du tarif.