
que le prix de chaque commodité doit diminuer
par degré dans ce royaume * puifque c’eft la proportion
entre l'argent & les différentes efpèces de
biens , qui fixe leur valeur mutuelle ; & dans cette
hypothèfe j les aifances de la vie deviendront de
jour en jour plus abondantes , fans aucune altération
fur i’efpèce courante. Donc parmi ce peuple*
dans des teins même d’induftrie * un homme fera
plus riche avec une moindre quantité: d'argent *
qu'il n'en faudroit pour cet effet dans des fîècles
d'ignorance & de par elfe. Il faudra moins d’argent
pour bâtir une maifon * pour doter une
fille* pour acheter une terre * pour foutenif une
manufaëture ou entretenir des domeftiques & des
équipages j voilà les ufages pour lefquels les hommes
empruntent de l'argent * & , par conféquent,
la quantité plus ou moins grande * qui peut-être
dans un Etat, n'a aucune influence fur Y intérêt.
Il eft vrai pourtant * que lorfque. le commerce
s'étend par-tout le monde, les nations les plus in-
duftrieufes abondent le plus en ces précieux 'métaux
* de manière qu’un intérêt modique & l'abondance
d’argent font prefque infépatables ; mais
il eft toujours important de connoître le principe
qui produit un phénomène , & de ne pas confondre
la caufe avec l'effet qui l'accompagne.
Une autre raifon de l'erreur populaire fur la
caufe de Y intérêt modique * paroît être l'exemple
de quelques peuples * o ù , après une acqqifîtion
foudaine de richeffes par le moyen des conquête
s , Xintérêt % tombé non-feulement -parmi' eux ,
mais même dans tous les Etats voifîns * an0! tôt
que l'argent a été difperfé & s'eft infinùé de toutes
parts. Ainfi Yintérêt tomba de près de moitié
après la découverte des Indes occidentales * & il
a toujours été en diminuant * par degrés * dans
tous lçs royaumes de l’Europe.
U intérêt à Rome , après la conquête de l'Egypte
* tomba de fix à quatre pour cent * comme
©n l'apprend de Dion.
Les caufes qui font tomber Y-intérêt * en de pareilles
circonftances , paroiffent différens dans les
pays conquérans & dans les Etats voifîns ; mais *
ni dans les uns, ni dans les autres * nous ne pouvons
attribuer cet effet , avec juftice, qu'à l’aug-
mentatjon d'or & d'argent.
Dans les pays Conquérans * il eft naturel d'imaginer
que cette nouvelle acquilïtion d’argent tombera
dans peu de mains * ou elle fera ramaffée en
fommes confidérables, & que ceux qui les pofle-
deront, chercheront à fe procurer, un revenu affûté
, foit en achetant des terres * Voit en plaçant
leur argent à intérêt ? & cbnféquemment il s'enfuit
* pour quelque tems, le même effet que s'ilNy
jivoit eu une grande o.ccafion d’induftrie & de
commerce. Le nombre des prêteurs fe trouvant
pfes grand que celui des emprunteurs * Y intérêt
tombe, & d'autant plus v ite , fi ceutf qui a<?*
qurs ces grofles fommes ne trouvent ni induftrie ,
ni commerce dans l'Etat , & n'ont pas d’autre
manière d'employer leur argent > que de le prêter
à intérêt.
Mais après que cette nouvelle maffe d'or &£
d’argent aura été répandue * & que partagée en.
une.infinité de.parties * elle aura pâlie de main en
main , & circulé dans tout l'Etat * les chofes_ fe
remettront bientôt fur l'ancien pied , car les nouveaux
poffelfeurs d'argent* & .les feigneurs de
terres vivant dans la pareffe * dépenfent au-delà
de leur revenu. Ceux-ci forment journellement
de nouvelles dettes * 8c les autres anticipent fur
leurs fonds jufqu'à fon extinélion finale. Le même
argent peut être encore, dans l'Etat * & fe faire
fenrfe par l’augmentation des prix- ; mais n'étant
plus ramaffé en forces parties * la proportion entre
les prêteurs & les emprunteurs eft la même
qu'auparavant * & par conféquent Yintérêt remom»
te au même degré qu’il étoit:
Conformément à ces principes * on trouve que
dès le tems de Tibère, Yintérêt* à Rome* étoit encore
monté à fix pour cent* quoiqu'il ne fut arrivé
aucun accident qui eût épuifé l'empire d'argent.
Dans le tems de Trajan * l’argent prêté fur hypothèque
en Italie , portoit fix pour cent ; celui
qu’on prêtoit en Bythinie fur des fur étés ordinaires
, portoit douze pour cent. C'eft ce que nous,
apprend Pline, dans fés épîtres 18 61. du livre
VII.
Si Yintérêt n'eft pas monté à cet étrange degré,
on ne peut l'attribuer qu’ à la même cauferqui l'a
fait tomber j à favoir, les fortunes prodigieufes
que l’on faifoit cotinueîlement aux Indes. Ces richeffes
q u i, de tems en tems , entroie.pt en Efpa-'
gpe , fourniftbient de quoi répondre aux demandes
des emprunteurs. Par cette caufe accidentelle
& étrangère * il y. a plus d'argent à prêter en Ef-
pagne ; c’e.ft-à-dire * qu’il y a plus d’argent raf-
femblé en fortes parties * que , fans cela * l’on
n’en trouveroit dans un Etat ou il y a aufli peu
de commerce & d’induftrie.
A l’égard de la réduélion d’intérêt qui a fuivi en
Angleterre, en France , & dans les autres royaumes
de l’Europe qui n’ont point de mines , elle
s’eft faite par degré * 8c n’eft pas venue de l’augmentation
d’argent çonfidéré purement en lui-
même , mais de l’augmentation de l’induftrie, qui
eft l’effet naturel du premier accroiffement dans
cet intervalle * avant qu’ il faffe haulfer le prix du
travail 8c des denrées. Car pour revenir à la fup-
pofition précédente *- fi l’induftfie d’Angleterre fe
fut autant accrue par d’autres caufes * ce qui au-
roit pu arriver * quoique le fonds d’argent fût
refté le même , on auroit vu fuivre les mêmes
conféquences qui s’obfervent à préfent : on auroit
trouvé dans le royaume le même peuple * les
mêmes
mêmes commodités, la même induftrie , le même
commerce.
Ainfi le luxe* les manufactures, les arts* l*in-
duftrie 8c la frugalité * fleuriffant également à préfent
, il eft évident que Yintérêt doit aufli être
modique * puifque c’eft le réfultat né.ceffaire de
toutes ces circonftances * d ’autant qu’elles déterminent
les prix du commerce dans tout Etat * 8c
la proportion entre les prêteurs 8c les emprunteurs.
Ajoutons ici les réflexions d’un écrivain célèbre*
fur la même matière ; elles ont d’autant plus
d’intérêt * qu’elles font le fruit d’ une théorie
profonde* éclairée par une grande connoiffance-
pratique. On les trouve dans les notes de Y Eloge
4 e Colbert couronné à l’académie françoife en
1 773-
L 'intérêt de l’argent tire fon origine de la nature
; la terre a befoin de la femence * & la femence
a befoin de la terre. Celui qui fournit la femence
au propriétaire de la terre a un droit fur fa récolte.
C e que je dis de la femence-, s’appliquer
mille objets femblables. Le droit dë part à toute
reproduction*lorfqu’on a concouru à cette reproduction*
s'appelle un intérêt, & rien au monde
m eft plus julte. L'on dit communément Yintérêt
de l'argent * parce que l'argent eft l'image de toutes
les richeffes1.
- L intérêt. étant la part du prêteur à la reproduction
provoquée par fon argent* cet intérêt doit
ctre à haut prix * lorfque cette reproduction eft
avantageufe, ou lorfque l'argent qui pouvoir concourir
à cette reproduction eft rare.
intérêt dans un pays eft donc haut ou bas * en
raifon de la rareté & de l'abondance de l'argent,
ou des billets qui font fonction d'argent * plus en
raifon du nombre & de l'utilité des emplois que
cet argent peut trouver.
Le prix de Yintérêt n'eft donc pas une marque
p/tfitive de la profpérité ou de la pauvreté d’un
Etat.
L 'intérêt peut être bas par l'abondance de l'argent
dans un pays j figne de profpérité.
intérêt peut être haut par l ’acquifîtion de nouvelles
colonies , par l'établiflement de nouvelles
manufactures ; enfin par une multiplicité d'emplois
& de^ nouveaux commerces j autre figne de profpérité.
La Hollande réunit les deux caufes d'un bas
intérêt *• favoir* l’abondance de l ’argent, par le
concours d’un grand nombre de capitaliftes & de
negocians * & la ftérilité des emplois par la nature
de fon fol & fon peu d’étendue * ce qui la borne
3 un commerce d’économie 8c d’entrepôt.
Finances, Tome I I ,
La France a pareillement la caufe d'un bas
intérêt * dans la prodigieufe abondance d'argent
qu’elle renferme 5 mais elle jouit aufli des caufes
d’un haut intérêt, par la fécondité de fon fo l ,
par fes diverfes manufactures* par fon commerce
dans tout l'univers , 8c par fes colonies.
Cependant, fans la dette publique * 8c les divers
emplois que la finance offre fans ce lle , IV«-
-térêt de l'argent feroit bientôt aufli bas en France
que par-tout ailleurs. Il y a lieu de croire qu’il fe
trouve maintenant dans ce royaume près de deux:
milliards d’argent monnoyé, & l’accroiffement
annuel* dans ces circonftances * eft d'environ
trente millions. Voyei N umjéraire.
La fageffe des loix qui affûtent au prêteur le
recouvrement de fa créance * coucourt au bas prix
de Yintérêt ; car cet intérêt s’établit aufli en raifon
des dangers qu’on apperçoit dans la confiance.
Le prix de Yintérêt doit être libre * comme celui
d’une marchandife* puifqu’il eft le point de, réu-
niqn entre les convenances de deux parties * fe
prêteur 8c l’emprunteur.
Mais cette obfervation ne peut s'appliquer à
Yintérêt ufuraire. Si l'économie politique ne jugeoit
pas devoir s'y oppofer, les moeurs feroient toujours
bien de l’avilir ; les loix doivent aufli le défendre
, comme on interdit dans la fociété tout
abus de la. force envers la foiblefle ou la démence.
Avant de préfenter ici les nouvelles réflexions
du même écrivain* devenu homme d’Etat* & qui a
gouverné pendant cinq ans les finances du royaume
, parcourons rapidement les différentes loix promulguées
depuis vingt ans * pour bailTer 8c hauffer
Yintérêt de l'argent* à mefure fans doute que le
nombre des prêteurs augmentoit ou diminuoit *
tandis que celui des emprunteurs étoit dans une
circonftance tout-à-fait contraire.
L'édit du mois de juin 1766 fixa le taux de
Yintérêt de l'argent au denier vingt-cinq * dans la
vue * porte le préambule * de rétablir plus de
proportion entre l'argent 8c les différens ôDjets qui
tombent dans le commerce. Mais par une déclaration
du roi du premier juillet fuivant, il fut
accordé un délai d'un 8c deux mois* pour faire
contrôler gratis les promeffes dë paffer contrat
faites avant lé 30 juin à un taux plus fort que
le denier vingt-cinq * à peine de ne pouvoir être
réalifées qu'à quatre pour-cent; & des lettres-
patentes du 17 du même mois permirent de fti-
puler* dans les conftitutions au denier vingt-cinq,
l'exemption de la retenue des im polirionsroyales.
Tous ces tempérammëns annonçoient que IV«-
têrêi.z quatre pour cent n’étoit pas à fon taux
naturel, 8c faifoit refferrer les bourfes.
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