
. M a is en confervant l’impôt fur le Tel , il feroit
important de remédier aux grands inconvénient
q u ’il entraîne , & I’dn y parviendroit , fi le prix
du Tel étoit égal p a r to u t le royaume ; car , dès ce
moment-là , toute contrebande intérieure n’auroit
plus d'aliment.
En établififant le.prix du Tel entre cinq à fix fols
la livre , ou vingt-cinq à trente livres le m in o t ,
dans tout le royaume fans diftin&ion , votre majefté
retrouveroit à-peu-près la même fomme que
lu i produit aujourd’hui la gabelle , & cependant
les peuples paieroient beaucoup moins ; car un
des grands dédommagemens de votre majefté le
t ro u v e ro it , & dans l’ économie des f ra is , 8c dans
là fuppreflîon deprefque toute.la contrebande 3 &
dans,la plus grande confommation des provinces
pu le prix du fel feroit diminué ; néanmoins il en-
treroit encore dans mes calculs, de propofer à votre
majefté d’ordonner dans toutes les provinces , aujou
rd’hui franches ou privilégiées , une diftribn-
tion gratuite , ou co n fo rm e , au m o in s , aux prix
*<5hiels , en limitant cette diftribution à la .con fommation
ordinaire , c’ eft à-dire , à dix livres par
perfonne. O n fent combien une pareille condition
adouciroit aux yeux de ces mêmes pro v in ce s, l’effe
t de la loi générale , & cependant cette diftribution'
gratuite n’étant proportionnée qu’ à la con-v
fommation , il n’en pourroit rçfulter aucune revente
importante, ou du moins , ce feroit pour le
fifc un dommage* dont on auroit fupputé la me-
fiire.
Indépendamment de cette diftribution favorable
, il y auroit encore un dédommagement à accorder
à ces mêmes provinces , & il faudroit le
faire tomber fur les impôts qui leur font le plus à
charge , tels que les fouages en Bretagne , la taille
ou les aides dans d’autres généralités , 8c le facri-
fice néceffaire pour ce dédommagement feroit balancé
par les fupplémens , d'une ou d’autre natur
e , qu’ on pourroit exiger des provinces o ù le prix
du fel feroit infiniment diminué.
En etabliflànt un prix uniforme pour le f e l ,
je ne penfe pas qu’ il convînt , en aucun c a s , d ’en
mettre la diftribution hors des mains des officiers
prépofés par vô tre majefté. C e s officiers & ces
employés , d ou té es faîaires font réglés , çoûte-
roient bien moins aux peuples que les bénéfices
des marchands j d’ailleurs , il eft important qu’on
veille fur , là bonne qualité d’une pareille denrée ,
& qu’ aucun abus ne s’y gliffe. Enfin cette production
étant de première n éceffité', il feroit imprudent
de l’expofer à des accaparemens faciles", &
qui occafionnerôient nécejîài'rement de grands
mouvemefis dans-les prix.
A u re fte , quelque raifbnnable que foit une nouv
e lle légiïlation fur lès gabelles, .fur t tout; aux yeuoc
d’ un fouverain qui porte fon attention ,, : 8e veille
avec le même intérêt fur toutes les parties de fon
ro y aume, on doit s’attendre que les provinces habituées
à la franchife du fel , verroient avec peine
toute efpece de changement; mais fi votre majefté
fe détermine un jour à approfondir cette importante
affaire , je crois que dans une matière auflt
délicate , fur laquelle on eft dominé depuis
long-tems par l’hab itu d e , il fera conforme à fort
efprit^de fagelfe de n’ arrêter aucun plan dé finitif,
fans l’avoir auparavant communiqué à fes parle-
men s, aux Etats , 8e aux adminiftrations provinciales.
Les Etats de Bretagne fu r - to u t , & ceux d’ A rt
o i s , devroient être confultés ; mais en leur ma-
nifeftant avec fimplicité 8c fran ch ife, les vues ju f-
tes 8c bienfaifantes de votre majefté, 8c en les in vitant
a concourir , par leur zè le 8c par leurs lumières
, au bien du royaume 8c à la fatisfaétion
particulière de votre; majefté , je fuis perfuadé que
les difficultés s’applaniroient ; au lieu qu’en envoyant
des loix avant que la queftion fût examinée
, 8c avant que les efprits fuffent préparés , v o tre
majefté fe trouveroit peut-être forcée à; déployer
fon au to rité, malheur préfent pour un bien
avenir , qu’il eft de la ;b on té d ’un monarque de
prévenir. Mais c ’eft encore ici un ouvrage qu’ on
ne peut entamer au milieu .de la guerre , tem soù
tous les momens font précieux au repos & à la
confiance..
L e même homme d’E ta t , qui concevoir en 1781
l ’heureux projet.de réformer les gabelles, 8c de con-
fulter fur l’exécution de ce plan les E tats des di verfes
provinces franches, ou rédimées a donné plus, de
développement à fes idées dans fon Traite de T administration
des finances, publié en 1784. Rien de
plus fortement penfé , & de plus fagement exprim
é , que le mémoire qu’ il entroit dans fes vues de
communiquer aux Etats de Bretagne $ fie on ne
vo it pas comment ce corps pourroit fe- refufer rai-
fonnablemçnt à concourir auffi effentiellemept agi
bien général dé fa nation',
C e t habile admiriiftrateur, -après avoir préfenté
un projet de réforme de l’impôt du fel d’ uniformité
de prix prèfque'dans tou t le ro y a um e ,
s ’explique ainfi relativement aux pays privilégiés.;
»9 O n ne peut é v ite r , fahs d o u te , d’exiger des
provinces affranchies, de la gabelle , quelques
çhangemens dans leurs anciens ufages j: mais c ’eft:
un m o t if de plus pour fe défendre d’augmenter en
même tems la fomme de leurs contributions. A in fi,
pour écarter les premières difficultés , il feroit
prudent de manifefter de la manière la plus c la ire ,
que le tréfor-royal ' rie; cherche', dans ces nouvelles
difpofitiôns, aucun avantage pécuniaire.-On croit
enfuite.,.; qu’i l faudroit entrer eh négociation -avec
les pays: .d’ Etats ,. qui font établis :dans l’éfenclué
des,provinces franches 8c rédimées.
La
L a difeuflion qu’ ils feroient des idées dont on
leur donneront communication , affureroit l’opir
uion du fouverain , 8c empêcheroit que fon autorité
ne fût mife en aétion avant le moment marqué
par la fagelfe. C e p en d an t , afin de ne point
dilfimuler les difficultés , c’eft à la Bretagne que
je vais d abord adapter différentes vues de conciliation.
C e tte province eft celle du royaume
où le fel eft à meilleur marché, 8c où toute efpèce
d ’innovation effaroucheroit davantage ; ainfi , fi
l ’on parvenoit à s’entendre avec les E ta t s , ce premier
exemple faciliteroit infiniment l’exécution entière
du projet dé réforme.
Je crois que le gouvernement devroit leur faire
plufieurs ouvertures différentes, & j’ indiquerai ici
les deux principales : l’une , rempliroit de la manière
la plus fimple , le plan d ’uniformité qu’ on
do it fe propofer ; l’au tre , un peu plus com p ofé e ,
apporteroit cependant moins de changement à
l ’état aéluel des chofes , ménageroit encore plus
fûrement l ’intérêt du peuple ; 8c mérite roit, fous
c e rap p o rt, la préférence du gouvernement.
L e premier des deux moyens , 8c celui que je
développerai d’abord , confifteroit à élever le prix
du fel , en Bretagne , au niveau de celui que fa
majefté auroit intention de fixer dans les diftriéts
limitrophes de cette province ; & l’on a v u , dans
le plan tracé pour les grandes gabelles, que ce prix
devroit être de vingt à vingt-une livres par quintal.
O n pourroit exécuter cette d ifpofition, en portant
à dix-huit francs environ , par qu in ta l, le petit
droit établi fur tous les fels qui fortent des marais
falans de Bretagne , pour être confommés dans la
province. Il faudroit prendre les précautions né-
ceffaires pour affiner davantage le paiement de ce
d r o i t , 8c l’on affranchiroit, comme d e ra ifo n , les
approvifîonnemens deftinés à la pêche 8c au commerce
e x té rieu r, ainfi qu’il eft pratique dans tout
le royaume.
O n pourroit encore , toujours pour fixer le taux
du fel en Bretagne fur le pied de vingt livres le
quintal , y établir une adminîftration exclufîve
pou r la vente de cette denrée : une pareille difpq-
lition procureroit une connoifîançe plus certaine
d e la confommation réelle de la Bretagne ; mais
elle auroit l’ inconvénient d’introduire une nouveauté
de plus.
O n ne devroit point refufer d’admettre des
commiffairès des Etats , à l’infpe&ion de la régie
du droit ou du privilège ex c lu fir , afin que le produit
du nouvel impôt leur fût exa&ement connu j
& s’ il étoit polfible de leur abandonner la principale
geftion , fans courir le rifque d’aucune négligence
contraire aux revenus du roi dans fes autres
pro v in ce s, il n’ y auroit pas de m o t if fuffifant pour
s’oppofer à cet arrangement. C e n’eft p o in t , dans
ce tte occafîon , l’extenfion des prérogatives royales
que le fouverain do it chercher ; fon véritable
o bjet d’in té rê t , c’ eft l ’établiffement d’ une difpofition
d’ordre public , utile à fon royaume»
L e gouvernement, après avoir ralfiiré les Etats
par toutes les formes les plus propres à exciter
leur con fian ce , auroit encore à v eiller fur les pro-
pofitions qui feroient faites pour l’emploi du n ouv
e l impôt ; car l’on ne do it point perdre de vue
que ce revenu de vroit être emp loyé à l ’affranchif-
fement d ’une partie des contributions actuelles de
la Bretagne.
L a répartition d’ un droit fur le fel , n’a jamais
lieu dans une jufte proportion des fa cu lté s , parce
que le befoin de cette denrée ne s’ accroît pas en
raifon exacte de la différence des fortunes ; les
E t a t s , par ce m o t i f , fentiroient d’eu x-même s,
que le produit de l’ impôt fur le f e l , en Bretagne ,
devroit être appliqué au foulagement des charges
qui tombent immédiatement fur le peuple ; &
vo ic i l’ idée qu’on pourroit fe former d’ une fem-
blable difpofition.
L a population de la Bretagne eft de deux millions
d eux cens foixante-feizemille ames.Suppofons
qu’ après l’impôt , la confommation fût réduite à
environ quatorze livres pefant par tête de tou t
fexe 8c de tou t âge ( 1 ) , il réfulteroit de cette
bafe de calcul , que les ventes annuelles s ’élève--
roient à trois cens dix-huit mille fix cens quintaux
; 8c en eftimant le produit de la nouvelle im-
p o fition , les frais d é d u it s , à feize francs à-peu-
près par quintal , ce revenu monteroit à environ
cinq millions cent mille livres.
L e premier emploi que les Etats devroient faire
d’une partie de ce nouveau fo n d s , ce f e r o it , fans
contredit , d’abolir les corvées , charge fi fati-
gante 8c fouvent fi oppreflive , facrifice d’ailleurs
qui porte uniquement fur le peuple ; 8c fi l ’on en
faifoit le calcul , d ’après le prix des journées
d’ hommes 8c d’ attelages , on trouveroit peut-être
que c ’eft aujourd’h u i , pour la Bre ta gn e, un im-
'p ô t de deux à trois millions : cependant il eft pro*
bable , qu’en pourvoyant à prix d’ argent à la dé-
penfe des chemins , une fomme de dou ze cens
mille livres , bien adminiftrée , feroit très-fuffi.-
fante.
Je voudrois enfuite q u ’on deftinât trois cens
mille livres par an à l’ établilTement des travaux de
charité dans les mortes faifon s, fecours important
pour le peuple , & qui contribueroit en même
tems à l’extenfion des communications vicinales ,
(1) On a calculé la confomnjation en raifon de treize & un (îxième par tête dans les provinces de grandes gabelles ; mais le prix
moyen y étoit fuppofé fur le pied de viBgt-cinq livres par quintal, au lieu qu’en Bretagne il ne feroit que de vingt livres.
Finances, Tome 11% T t