eft jufte î mais comment cette inégalité s'eft-elle
accrue, & comment a-t-elle du néceflairement
s'accroître ? voilà la première confédération importante
qui doit fixer l'attention , quand on
cherche à découvrir la fource 8c l'origine des
progrès du luxe.
C e s progrès n'eufient point exifté, fi chaque
jour la disproportion entre les propriétés ne fût
^as devenue plus confidérable. Les erreurs de
i'adminiftration ont contribué , fans doute, à
l'accroifTement de l'inégalité des partages ; mais
il faut en chercher la première caufe, -ainfî que
la plus puiffantc , dans la nature même des choies.
Je vois une des._clafies de la fociété , dont la
fortune doit toujours être à-pemprès la même »
j'en appercôifi une autre , dont la richeffe augmente
néceflairement : ainfî, le luxe qui naît
d'un rapport 8c d'une comparaifon, a dû Suivre
le cours de ces difproportions, 8c devenir
plus apparent avec la fiicceflion des années.
La clafTe de la fociété, dont le fort fe trouve
comme fixé par l'effet des ioix fociales , eft com-
pofée de tous ceux q u i, vivant du travail" de
leurs mains , reçoivent imperieufement la loi des
propriétaires, 8c font forcés de fe contenter d'un
falaire proportionné aux Amples néceflités de la
vie : leur concurrence 8c l’urgence de leurs be-
foins , conftituent leur état de dépendance ; 8c
pes circonftances ne peuvent point changer. Tous
les tems , tous les pays, présentent le même fp.ec-
pacle 3 8c il n'y a d'exception , il n'y a d'adoucif-
iement à cette efpèce d'efclavage, que dans le petit
nombre d’Etats où la forme du gouvernement
la ifîé, entre lçs mains du peuple , quelque droit
politique , dont la jouiffance influe fur fa confî-
dération, & lui procure quelque moyen de réfif-
tancp.
L a claffe de la fociété dont la richeffe s’eft
accrue par ie tems ,.eft compofée de tous les propriétaires
j & .c'eft en indiquant , d’une manière
diftinéte , les caufes de cet accroiffement, qu’on
pourra donner une jufte idée de la véritable fource
des progrès du luxe.
La richeffe d'un pays , vue d'une manière générale
3 8c abftradion faite de l'or 8c de l'argent
dont nous parlerons enfuite , confîfte dans l'étendue
des revenus territoriaux, 8c dans l'échange
qu'on en fa it, contre les divers fervices 8c les
différens ouvrages des hommes. Ainfî, la richeffe
a dû s'accroître à mefure que l'art de la culture
s’eft perfectionné ; 8c l’ ufage extérieur de cette
richeffe a dû pareillement fe diverfifier 8c s’étendre
à mefure qu'on a obtenu, pour une même quantité
de productions de la terré , un plus grand nombre
d’objets de fafte ou de commodités recherchées
»
L'invention fucceflîve des inftrumens qui ont
fîtnplifié tous les arts méchaniques, a donc augmenté
les richeffes 8c le lot fortuné des propriétaires}
une partie de ces inftrumens, en diminuant
les frais d'exploitation des fonds de terre,
a rendu plus confidérable le revenu dont les pol *
feflèurs de ces biens peuvent difpofer j 8c une
autre partie des découvertes du génie, a tellement
facili té tous les travaux de l'induftrie, que les
hommes, au ferviçe des difpenfateurs des fubfif-
tances, ont p u , dans un efpace de tems égal,
8c pour la même rétribution , fabriquer une plus
grande quantité d’ouvrages de toute efpèce.
Suppofons que dans le fiècle dernier, il fallût
cent mille ouvriers pour exécuter ce qui fe fait aujourd'hui
avec quatre-vingt mille ; les autres vingt
mille fe trouveroient dans la nécefîité de s'adonner
à des occupations différentes, pour obtenir
des falaires j 8c les nouveaux ouvrages de main-
d’oeuvre qui en réfultproient, accroîtroient les
jouiffances 8c le luxe des riches : car il ne faut
point perdre de vue que les rétributions affîgnées
à tous les métiers qui n'exigent point un talent
diftingué , font toujours proportionnées au prix
de la fubfîftance néeeffaire à chaque ouvrier 5 ainfî
la rapidité de l'exécution , quand la fcience en
eft devenue commune , ne tourne point à l’avantage
des hojnmes de travail, & il n'en réfulte
qu’une augmentation de moyens, pour fatisfaire
les goûts 8c lçs vanités de ceux qui difpofent des
productions de la terre.
C'eft donc, par une confufîon d’idées , qu’on
fait honneur au luxe de l'origine des arts : c'eft
plutôt à l'avancement de la fcience dans tous les
genres, qu'il faut imputer l'accroilfement du luxe.
II y a eu de tout tems y des richeffes abondantes
entre les mains d'une claffe de la foçiété j mais
lorfque l'induftrie n'avûit fait encore que peu de
progrès i les objets de fîmple commodité exi-
geoient un long travail 3 8c les hommes qui dé-
vouoient tout leur tems au fervice des propriétaires
, ne pouvoient cependant cumuler entre leurs
mains, qu'une quantité très-circonfcrite d'ouvrages
de main d'oeuvre : mais les moyens de
luxe fe font accrus à mefure qu'on eft parvenu à
faire en un mois, ce qui exigeoit auparavant le
travail d’une année.
Je vais maintenant indiquer une autre çayfe
des progrès du luxe, 8c qui tient égalemènt au
cours naturel des chofes. r
Entre les différens biens de la nature que l'indu
ftrie des hommes façonne & modifie,, i] -en
eft un grand nombre, dont la durée excède de
beauconp le terme commun de la vie : chaque,
génération a hérité d'une partie des travaux de
la génération qui l'a précédée ; ,& il s'eft accumulé
fuccefljvement, -dans tous les pays, une
plus grande quantité de productions $es arts j 8c
comme
ÉËÈÈÜ
L U X
^cnmme cette quantité eft toujours répartie entre
les mains des propriétaires, la difproportion entre
leurs jouiffances 8c celle de la claffe nom-
breufe des citoyens, a dû néceflairement être
plus confidérable 8c plus remarquée*
Celui qui par droit de fuccefîîon , devient pof-
feffeur d’une maifon magnifique , enrichie de dorures
, de glaces , de tableaux 8c de meubles
précieux , n'a plus befoin de fe procurer cette
efpèce de luxe ■ il deftine fon fuperflu à orner
les jardins, à agrandir fes parcs , à multiplier
fes diamans 8c fon argenterie : fon fils, héritier
de tous ces biens, dirige de quelque autre main
anière l'emploi de fon revenu, 8c il cherche
de nouveaux objets de fafte 8c de fupériorité.
C'eft ainfî que les richeffes réelles fe font accumulées
, 8c c'eft ainfî que les dons d'une génération
viennent accroître le luxe de. celle qui la
fuit.
Il eut fallu, pour arrêter ce progrès, ordonner
aux difpenfateurs des productions annuelles
de la terre, de n'employer leur fuperflu qu’à
des fomptuofîtés, dont la durée n'auroit jamais
excédé le cours ordinaire de la vie 5 mais une
telle loi feroit abfurde „• 8c cette manière de contenir
l'augmentation du luxe, reffembleroit aux
effets d'un déluge, ou d’un tremblement de terre.
11 eft un obftacle moins terrible à I'accroiffe-
ment exceflîf des progrès du luxe ,* c’eft l'inconf-
tance des goûts 8c l’empire de la mode. Il y au-
roit un bien plus grand nombre d'ouvriers occupés
à multiplier les objets de magnificence, fi
une partie confidérable des hommes ftipendiés par
les riches, n'étoit pas fans ceffe employée à changer
aujourd'hui ce qu’on a fait hier.
On eft dans l'habitude de cenfurer gravement
cet efprit de légèreté j mais l'homme d'état ne
partagera point cette févérité peu réfléchie. Il ap-
percevra que le tems , accumulant fans ceffe une
multitude d’ouvrages d'induftrie de tous les genres
, fi le défîr de la variété n'engageoit point à
les renouveiler, les propriétaires des richeffes fe-
roient bientôt entraînés à difpofer de leurs revenus
d ’une manière abfolument oppofée au bien
de la fociété : ils foudoyeroient alors un plus
grand nombre de valets, préparés à la corruption
des moeurs par l'oifîveté : ils diminueroient
la fubfîftance des hommes, pour entretenir un
plus grand nombre de chevaux : une partie confidérable
de leurs domaines, feroit changée en
des parcs ou des jardins ftériles : ils ajouteroient
quelque nouveau rafinement deftru&eur aux recherches
de la table j 8c toutes les depenfes les
plus contraires à la population & à la force publique
, açquerroient un nouveau degré d’étendue :
au lieu qu'entre tous les emplois de la fortune,
dont la vanité des particuliers eft l’unique ob je t.
Finances. Tome i l .
les plus raîfonnables, fans doute, font les dépendes
qui fourniffent de l’occupation à un plus
grand nombre d’hommes, & qui entretiennent le
goût paifible des arts, 8c le mouvement journalier
d’une intelligente induftrie.
Jufques i c i , je n’ai point encore examiné , fi
félon 1 opinion commune, l'augmentation du numéraire
8c 1 introduélion des tréfors du nouveau-
monde, étoient une des principales caufes de
1 accroiffement du luxe. Je ne le penfe point : car
Iaccélération des travaux de l'induftrie, qui a
multiplié fur la terre les objetsde fafte & de fomp-
tuofité, le tems qui en a grofli l’accumulation ,
& les Ioix de la propriété, qui ont rafiemblé ces
biens dans une feule claffe de la fociété ; routes
ce? grandes fources du luxe euffent également
exifte, quelle qu entière la fomme du numéraire :
un palais auroit été repréfenté par cent mille
francs, au lieu de l’ être par un million ; mais
ce palais n’eût pas moins été conftruit. On peut
obferver feulement que la découverte des tréfors
de L’ Amérique, ayant rendu l'or & l’argent plus
communs en Europe, il s'eft fabriqué une plus
grande quantité d’ouvrages, compofés de ces métaux
précieux : mais fi les produirions de ce genre
avoient été plus rares, la quantité des autres objets
de main-d’oeuvre fe feroit accrue en proportion
, puifque le tems, le travail & l’induftrie de
tous les hommes dénués de propriété , auroient
toujours été confacrés aux vanités, à l’orgueil
& aux plaifirs de tous les difpenfateurs des falaires.
Enfin, je dois ajourer que la multiplication
des routes, la confection des ponrs & des canaux,
& les ouvrages d’art qui ont rendu les
rivières plus navigables , font autant de travaux
qui ont contribué à l’accroiflement du luxe ;
puifque les facilités apportées à toutes les communications
, ont concentré dans les villes une
plus grande partie du revenu des propriétaires.
Il réfulte cependant, de ces diverfes réflexions,
que dans le cours naturel des chofes , le luxe à
dû s’étendre par-tout avec la fucceffion des années
; & lorfque l’hiftoire préfenre quelques exceptions
à cette vérité, ri] eft rare que des cir-
conftances fingulières n’en aient été la caufe :
c’ eft ainfi que les progrès du luxe ont pu être retardés
, tantôt par ces Ioix républicaines qui or-
donnoient un nouveau partage des terres , tantôt
par ces vexations tyranniques , qui obligeaient à
cacher fa fortune, ou à en diffnnuler l’ ufage •
mais le luxe fur-tout, a été reculé , & par ces
deftruétions qui ont accompagné les invafions des
nations barbares , & par ces défaftres de la nature
, qui ont reporté quelquefois les habitans
d'un pays , au même point où ils étoient à une
époque fort éloignée.
Cependant, fi le luxe a une marche inévitable
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