
Je demande , pour foutenir cette proportion ,
qiie Ton m’accorde que le gouvernement feroit
trop peu fente , s’il n’inté'rêftoit pas le régifleur
dans fa régie. En effet, pourroit-on compter fur
l’exa&e vigilance de celui dont les profits feroient
toujours les m êm e s fo it que la recette fût médiocre
ou confidérable. Il fe préfente trop de raifons
à l’appui de cette vérité, pour qu’ il foit befoin de
les détailler. Je fuppofe encore que l’on emploie-
roit à la régie les mêmes agens qui fer voient aux
fermes , on verra bientôt qu’il feroit difficile dJa-
gir autrement.
C e principe pofé > par la régie , ( ici c’eft à
Montefquieu que l’on répond, liv . 13 . (le l ’Efprit
des loix , chap. 29. ) on n’épargner oit point à l’Etat
les profits immenfes des fermiers j les régiffeurs
chercheroient à faire les mêmes : & , par une con-
féquence naturelle , on n’épargneroit point au
peuple le fpeétable des fortunes fubites qui l’ affligent.
C e n’eft pas le fermier qui profite de la
cruelle augmentation que les contraintes ajoutent
à l’impôt, elles n’enrichiffent que le régiffeur. Par
la régie , l’argent levé ne pafferoit pas par peu de
mains , & n’iroit pas plus directement au fouve-
rain : les mains des régifleurs tiepdroient lieu de celles
des fermiers.
Par la régie , le fouverain n’épargneroit pas
une. infinité de loix qu’exigent toujours de lui
les fermiers. Le régifleur , intérefle à groflir les
produits , demanderoit ces mêmes loix. Si on les
accorde au fermier, les refuferoit-on au régifleur,
lôrfque l’avantage en feroit plus confidérable &
plus immédiat pour le tréfor du fouverain ?
On fe confirmera dans ce fentiment , fi l’on
veut faire attention que jeb parle d’un Etat accoutumé
aux fermes , dans lequel les principes du
traitant ont pris racine j dans lequel ces fortunes ‘
immenfes ont répandu l’avidité des riçhefles dans
tous les ordres où cet efprit domine j ou jufques
dans le militaire, les fcrupules de prendre fur l’Etat
font inconnus ; dans leque l, enfin , les maux
de la pauvreté ne laiflent envifager d’autre bonr
heur que celui de l’opulence.
S i , comme on l’a dit , cet Etat qui voudroit
changer la forme de la perception de fes finances,
ne pouvoit la confier qu’à ceux qui les connoi£
fent, qui les dirigent depuis long-tems , le même
génie les conduirait 5 on ne verroit d’autre changement
que celui du.titre de fermier, en celui de
fégifleür.
On connoît des perfonnes qui ne font ni régiffeurs
, ni fermiers, & dont la principale attention
eft de faire groflir les finances 5 c’ eft: ce qu’on appelle
faire fa cour. Que pourroit-on efpérer d’ un
fégifleür qui n’auroit rien à attendre de fes foins
de fon travail, lorfque la bonne économie veut
que I on l ’intérefle dans le fort ou le foible de h
recette ?
A confîderer la nature des raifons données pour
faire preferer la régie , on feroit tenté de croire
que leur auteur ignoroit qu’en France,la taille n’entroit
pas dans le bail des fermes , & quelle fe ré-
gifloit.
Le gouvernement trouve dans la ferme des
avantages qu’il ne trouveroit pas dans la régie.
Sa pofition demande fouvent que l’on fafle à l’Etat
des avances, & très-fortes & tout à la fois. Cette
reflource fe rencontre chez les fermiers.
La facilite de la perception eft encore un attrait
bien engageant j il évite au rniniftère mille embarras
neçefîaires qui fuivent la régie : par exemple 3
1 incertitude des fonds dont il peut difpofer. C e s
deux objets , félon toutes les apparences , ont déterminé
la préférence pour cette forte d’adminif-
tration.
Mais ces mêmes commodités ont eu des fuites
iacheufes qui fourniflent , contre la ferme , des
argumens férieux & fupérieurs à ceux que l’on a
vus plus haut. La méthode de lever les impofî-
tions & de les faire valoir, n’eft pas une opération
iimple, c’eft un art qui a fes myftères. Les
gens de finance ont un foin particulier de les tenir
caches. La multitude des impôts qu’ils fuggèrent,
jette encore, par le nombre , une grande confu-
110n fur Je tout. La finance devient une fcience
profonde.. Le fouverain & fes miniftres , fatisfaits
de lavoir quelle eft la fomme totale des revenus ,
perdent de vu e , dans la fuite des tems , la ma»*
niere de les raflembler. Les fermiers & ceux
qu ils empbient,, font les feuls qui pofledent la
cler des reflorts qu’il faut mettre en oeuvre j de-là
vient la neceflité dont on a parlé , qui forceroit
le miniliere de les employer, fi Fon vouloit en-*
treprendre un changement & une direction. D e
quel ordre de l’Etat pourroit-on tirer le nombre
confiderables de perfonnes entendues en ce genre ,
dont on ne pourroit fe pafler ?
Cette fituation & la reflource pour les avances ^
mettent en quelque manière le gouvernement dans
la dépendance de ce qu’on appelle les gens d’afv
■ I Cette °P,nion de leur utilité s’eft fi bien
établie, qu’on lçs a nommés les colonnes de l’état,
Tout afcendant d’ün côté fuppofe de l ’autre un
affujettiffement^ contraire à la dignité. Ilimpofela
necëfljté de ménager , dè favorifer celui qui l ’a
fu prendre. Il en refaite en' faveur dés fermiers de
I Etat une autorité dans ce genre , qui pofe une
barrière entre la bonté du fouverain & les plus
jultes plaintes de fon peuple.
On peut ajouter contre là ferme , que la condition
commune de tout fermier eft d’obtenir fa
ferme au plus bas prix,. 6c dJpp porter le produit;
au plus haut poflîble. Ainfi l’état naturel du fermier
d’un impôt, eft de cacher les moyens qu’il a
de le faire valoir, de tromper le fouverain & d’exiger
beaucoup de fes peuples.
Cependant, fi l’on y réfléchit attentivement, '
on fera convaincu que les maux qu’on attribue à
l ’adminiftration par ferme, ne font pas une fuite
de fa nature, & que l’on peut éprouver les mêmes
par la régie.
Si dans quelques états la régie n’eft pas fi oné-
reufe aux peuples, quel’eft la ferme dans d’autres,
c ’eft qu’on n’y fouffre pas les vexations des régiffeurs.
Que l’on ne fouffre pas celles des fermiers,
alors les chofes feront égales.
Si celui qui a traité d’un impôt impofe par fes
taxes, ou par des fqrmes particulières, une fomme
trois fois aufli forte que celle qui eft entrée dans1
fon traité, le mal n’eft pas que cet impôt foit mis
en ferme. Il vient de ce que l ’on fouffre une exaction
aufli criante j de ce que l’on n’en fait pas un
exemple qui étonne ceux qui fuivroient le même
chemin.
En faifant la ferme d’un impôt, on fe contente <
de favoir Ce qu’il rend aux finances 5 on ignore ce
^qu’il rapporte au fermier. Si on le fuivoit dans fes
opérations , fi on le réduifoit à des profits rai-
fonnables & légitimes s fi on le rendoit ref-
ponfablede fa conduite çomme celui qui force les
productions de la terre ; en un mot, fi on s’en fai-
ioit craindre au lieu de le ménager, les finances
ne dépendroient pas de lu i, le fe c re tn ’en feroit
pas entre fes mains j il feroit contenu dans un état
convenable à fa condition.
S i , d’un autre c ô té , on fuppofe un gouvernement
avide , infatiable, il tirera par les mains des
régifleurs tout ce que tireroit un fermier $ les con-
cuflions de l’un tiendront lieu des exactions de
l’autre 5 elles feront approuvées, la régie fera préférée
j elle rendra aux finances une partie de ce;
quç gagne le fermier > la condition du peuple ne
fera p25 changée.
S i , au contraire, îe gouvernement fe conduit
par des règles modérées & conformés â- la faine
politique 5 s’il regarde comme une maxime fondamentale
qu’il faut faire contribuer les, peuples ,
mais ne les point épuifer; fur-tout s’il veille fur le
fermier avec une attention févère , la ferme, fera
aufli douce que la régie.
Toutes ces confidérations balancées, on doit
convenir néanmoins que la régie a quelque chofe
de plus favorable aux peuples ; en voici les feules;
raifons. i ° . C e feroit être infenfé de préfuppofer
dans un fouverain & dans fes miniftres, l’avidité
que doit naturellement avoir un fermier. Les ca:
raélères doivent être égaux pour rendre la régie
aufli rude que la ferme.
2°. La ferme peut laiffer le gouvernement dormir
fur bien des objets j la régie l’oblige d’avoir
toujours les yeux ouverts 5 c’ eft l’avantage des
peuples.
Si les chofes étoient entières, ce parti feroit le
meilleur. Dans les lieux ou l’ ufage eft contraire,
où le mal eft invétéré, il eft à craindre que Fon ne
puifle que gémir fur les abus ; ou tout au plus , y
faire quelque réforme légère. On auroit befoin
pour y remédier entièrement, d’une réfolution
bien fixe & long-tems foutenue, d’une fermeté
inébranlable, de beaucoup d’habileté, & d’une application
fans relâche.
La ferme & la régie peuvent être employées,
comme on vient de le v oir , allez indifféremment,
fi le gouvernement veille à les régler. L ’une &
l’autre ont des inconvéniens intolérables, s’il s’endort
fur la conduite des fermiers, ou s’il lâche la
bride aux régifleurs.
Pourroit-on fe pafler de toutes les deux ? épargner
au peuple les profits du fermier , les'appointerions
du régifleur , ceux d’une infinité de perfonnes
néceffaires à la le vé e , & leurs vexations
plus défolantes que les impôts ?
Il faudroit, pour y parvenir, rendre le peuple
lui-même régifleur & fermier 5 alors l ’Etat dans lequel
, foit la ferme, foit la manière de régir, au-
roient introduit la misère à la place de 1’abondar.ee,
pourroit changer de forme & de face fans aucun
inconvénient.
Il eft étonnant que le fyftême du maréchal de
Vauban n’ait pas ouvert les yeux fur cette poflibi-
lité. Je ne le propofe pas précifément comme il Fa
donné 5 mais il y a peu de chofe à y changer & à
y ajouter, pour qu’il ait une plus grande perfection
, & peu de mérite à préfenter un projet recevable
, loifque Fon fuit les chemins frayés par ce
grand homme.
Perfonne n’ignore que les provinces qui font
pays d’états font moins foulées que les autres ,
malgré quelques abus qui s’y font introduits. La
LTuI- raifon que Fon puifle en donner, eft
qu’ellès régiftént 6c iévent leurs impôts par elles-
mêmes. En voyant les peuples jouir d’un peu
Tance , on a dit que Fon pourroit les faire contribuer
au-delà de ce qu’ils fourniflent. Le traitant
qui a fait cette remarque a dit vrai. Il en pouvoir
dire autant des autres provinces, parce que tant
qu’ il refte quelque chofe, on peut toujours ôter
jufqu’à ce-qu’il ne refte plus rien.
Si on livrait les pays d’états aux traitans, les
finances y gagneraient pe.u 3 mais les ,fermiers Sc