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Ave c une Comme pareille, on amélioreroit en
peu d’années les priions du royaume , Si Ton
perfeéHonneroit tous les établiuemens de charité.
Et avec deux millions de facrifice annuel , on
donneroit aux défrichemens une activité incroyable.
Ces diftributions compofenr trente-un millions;
& en les joignant aux vingt - quatre millions de
dépenfes militaires , Ton a en tout l’emploi d’un
revenu annuel.de cinquante-cinq millions; Comme
pareille à celle que j’ai CuppôCée aliénée pour
les dépenCes de la guerre.
On Cent qu’ il eft aiCé de modifier de plufîeurs
maniérés différentes , les répartitions que je viens
d’indiquer ; mais il Cuffit d’appercevoir les avantages
immenfes que préfente ce fimple tableau 3
foit pour la force & la profpérité de l’Etat , Toit
pour le foulagement de la clafîe indigente du
peuple.
C e n’ eft pas tout encore ; car fi l’on évalue la
diminution de commerce qui réfulte d’une guerre
dont la durée eft de cinq ou fix ans, on trouvera
que le royaume eft privé d'une augmentation
confidérablè de richeffes.
Enfin, la guerre 3 Si les emprunts qu’elle oc-
cafîonne, font monter fenfîblementTe prix de l’intérêt
; tandis que la paix 3 fous une adminiftra-
tion raifonnable, le_ fait bailler annuellement , ne
fût-ce que par l’ effet de l ’accroiffement du nu-
méraire», & par l’influence des rembourfemens
habituels. Cependant 3 cette réduction fucceflive
de l’intérêt 3 eft une fource d’avantages inappréciables
, & pour le commerce , & pour l’ agriculture
y Si pour les finances,
Que l’on compare maintenant, avec de fem-
blables réfultats, le bénéfice qu’ une guerre heu-
reufe ( & elles ne le font pas toutes ) peut procurer
à un royaume parvenu au degré de profpérité
où eft aujourd’hui la France; Si cette com-
paraifon, qu’on la faffe, non d ’une manière vague,
mais avec le fecours de la réflexion & de la fcien-
ce ; & l’on verra le plus fouvent, qu’on a femé
dix grains pour en recueillir un.
Sans doute, avec tant de moyens de puiflance,
en peut, avec vraifemblance , efpérer d’humilier
fes rivaux, & d’étendre fa domination : mais,
difpofer de fes forces pour le bonheur de fes
fujets, mais fe faire refpe&er, fans tous les fecours
& les dangers d’une politique toujours agif-
fante ; c ’eft-là. véritablement répondre à la grandeur
de fa iîtuation, c’éft en connoître à-la-fois
î’afcendant & l’ufage ; c’eft imiter ces fleuves bien-
fâifans, dont on ne pourroit arrêter ,1e mouvement
rapide , mais qui dans leur cours majeftueux
encouragent la nayigation > facilitent le commerce,
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& fertilifent les campagnes , fans ravage & fans
deftruétion.
C e n eft pas \a guerre 3 mais une adminiftation
fage & tranquille , qui peut procurer à la France
tout ce qui lui manque encore.
La fomme d’ argent qui exifte dans le royaume,
eft immenfe; mais le défaut de confiance en refiferre
fouvent la plus grande partie.
La population du royaume eft immenfe, mais
l’excès & la nature des impôts appauvrirent &
découragent les habitans des campagnes ; Si au
milieu de la mifère, J’efpèce s’affoiblit, & le
nombre des enfans qui périflent. avant l’âge où
les forces fe développent, n’eft plus dans une proportion
naturelle.
Les revenus du fouverain font immenfes ; mais
la dette publique en confomme les deux cinquièmes
, & ce n’eft que par les fruits d’une prudente
économie Si par la baiffe de l’intérêt, qu’on peut
diminuer cette charge.
Les contributions des peuples, fur to u t, font
immenfes ; mais ce n’eft jamais que par l’affermif-
fement du crédit, qu’on peut yenir à bout de
trouver des reflources fuffifantes dans les circonstances
extraordinaires.
Enfin, la balance du commerce au profit du
royaume, eft une fource immenfe de richeffes 5
mais h guerre en fufpend le cours, Si une réflexion
importante naît de cette obfervation.: c’eft
que la nation, qui tire de la paix les avantages
les plus confidérablçs, fait auflî de plus grands fa-
crifices, quand elle renonce à cet état de calme
& de profpérité..
Que feroit-ce donc, fî, comme on ne peut s’en
défendre , on joignoit à toutes ces confédérations
la vive image des maux que la guerre entraîne ?
que feroit-ce, fî l’on effayoit de mettre un prix
à la vie & à la fouffrance des hommes ?
Et comme les fpéculations de l ’efprit font incertaines,
comme le raifonnement manque fouvent
de cette énergie qui n’appartient qu’aux affeéHons
de l’ame , on ne fauroit trop defirer dans les mi-
niftres des rois,' cefentiment profond d’humanité
qui donne du mouvement à toutes les pen-
fées. Alors', l’examen des motifs qui peuvent déterminer
à commencer la guerre 3 paroitra la plus
grave des délibérations ; alors, ui\e fenfîble émor
tion remplira tous ceux qui feront appellés à cette
difcuflion ; alors , au milieu d’un confeil, où par
des calculs politiques on voudroit entraîner l’o-.
pinion du. fouverain, le plus honnête homme d’entre
fçs ferviteurs, oferoit peut-êtrp lui tenir ce
langage :
» Sire, la guerre eft une fource de tant de maux ;
» c’ eft un fléau fi terrible 5 qu’un prince fenfîble
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& clairvoyant , ne doit jamais l’entreprendre
» fans les motifs les plus évidens de juftice : &
* c’eft au plus grand monarque de l’univers a
» donner l’exetnple de cette morale des rois, qui
*> affure le bonheur de l’humanité, & le repos
i>3 des peuples. N e cédez point, S ire , ni a de
as vaines inquiétudes , ni à des efpérances confuse
fes. Ah! que pouvez;Vous craindre, & qui peut
93 exciter votre jaloufie ? vous commandez à vingt-
93 fix millions d’hommes;.la Providence a fait de
» votre empire une terre de bénédiction ; en y
9> multipliant les productions de toute efpece ;
93 votre royaume acquiert chaque annee , autant
93 de richeffes numéraires, que tout le refte de
93 l’Europe enfemble ; vous jouiflez d immen-
93 fes revenus , Si leur fage. diftribution peut
93 vous mettre en état d’entretenir conftamment
» des flottes & des armées, capables d’en im-
90 pofer aux nations envieufes de votre puif-
»3 fan ce.
»0 La guerre où l’on vous excite, vous coûtera
•c peut-être huit à neuf cens millions : Si lors
•J même que la victoire fuivroit par-tout vos ar-
33 mes, vous dévouerez à la m or t, ou à des'
.33 fouffranees cruelles, un fi grand nombre de vos
». fujets > que fi quelqu’un , lifant dans l ’avenir,
» vous en préfentoit la lifte en cet inftant, vous
» reculeriez d’horreiir.
os C e n’eft pas tout encore : vos peuples, qui
33 refpirent à* peine, vous allez les^accabler de
33 nouveaux impôts ; vous allez ralentir l’aCtion du
» commerce & des manufactures , ces précieufes
93 fources du travail & de la fortune : & pour
93 vous procurer des foldats & des matelots 2 on
93 enlèvera du milieu des campagnes, les hommes
33 attachés à la terre & à la culture; & l’on pri-
33 vera peut être cent mille familles, des mains
33 qui les nourriffent. Cependant, couronné des
»» plus grands fuccès , au bout de tant de maux,
33 après tant de malheurs , qu’obtiendrez-vous ,
33 peut-être ? Un allié paflàger , une reconnoif-
«> fance incertaine * une ifle de plus, à deux mille
33 lieues de votre empire , ou quelques nouveaux
93 fujets dans un autre bémifphère ? Ah ! de plus
33 belles conquêtes vous appellent. Tournez vos
33 regards vers l’intérieur de votre royaume ;
33 voyez ces routes Si ces canaux qui lui man-
■03 quent encore ; voyez ces marais infeCts qu’il
33 faudroit détruire-, Si ces landes abandonnées ,
33 dont un premier fecours dé terrain erpit le défri-
39 chement; voyez cette portion de vos peuples,.
33 qu’une diminution' d’impôt exciteroit à de nouas
velles entreprifes ; v o y e z , fur-tout, cette autre
33 claffe véritablement malheureufe , Si qui a be-
3« foin d ’un foulagement , pour réfifter à la dé-
33 -treffe de fa fituation.
33 Pour effectuer tant de biens > il ne faudroit
» peut-être qu’une foible portion des capitaux que
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33 vous allez confumer dans la guerre qu’on vous
33 conseille. Les nombreux habitans de vos yaftes
33 royaumes ne fuffifent-ils pas à votre amour, & ,
33 s’il eft permis de le dire,à l’étendue du bien qu’un
33 feul homme eft capable de faire ? Mais fî vous
33 defirez acquérir de nouveaux fujets, vous les au-
33 rez fans êffiiflôn de fang , & fans livrer des ba-
33 tailles 5 car iis naîtront de toutes parts au fein
O? de votre empire , par les moyens bienfaifans
33 qui font entré vos mains : un bon gouvernement
33 multiplié les hommes , comme la rofée du ma-
03 tin développe au printems le germe des plantes,
os Ainfi donc , avant de les chercher au-delà des
33 mers , ces nouveaux fujets qui vous font encore
33 inconnus , fongez que pour les obtenir , vous
33 allez , peut être , en facrifier un plus grand
33 nombre , & de ceux qui vous aiment & que
33 vous aimez ; de ceux dont vous avez éprouvé
33 la fidélité ; de ceux dont le bonheur eft remis à
33 votre tutelle. Quel motif perfpnnel peut donc
33 vous déterminer à la guerre ? Eft-ce l’ éclat des
33 fuccès que vous efpérez ? Eft-ce le défit d'un
-3 plus grand nom dans la mémoire des hommes ?
33 Mais n’eft-il donc de gloire quç par le fer Si
33 l’extermination , & celle qu’obtient un monar-
33 que , en répandant par-tout l’aifance & le bon-
33 heur , n’en eft-elle pas une ? Titus n’a régné
33 que trois ans , & fon nom porté de fiècle en
33 fiècle par l’amour des nations , fé mêle encore
33 de nos jours à tous les éloges des princes.
33 N ’ en doutez point, Sirè , une fage adminif-
33 tration vous vaudra mieux que la politique la
33 plus tranfeendante ; & fî vous réunifiez à tant
33 de forces , l’empire que donne fur toutes les
33 nations uri caraCtère éclatant de juftice & de
33 modération , vous jouirez à la foi-s , & de la
33 plus grande gloire , & de la plus formidable
33 puiflance. Ah ! donnez au monde ce magnifique
3> fpeétacle ; & s’il vous faut des arcs-de-triom-
33 phe, montrez vous alors dans vos provinces ; Si,
33 précédé de vos bienfaits , paroiflèz au milieu
33 des cris de bénédiélions 8r des acclamations
_33 impétueufes d’une nation fenfîble , heureufe par
*93 fon roi.
T e l eft à-peu-près le langage que pourroit tenir
nn miniftre honnête , & pénétré de fes différens
devoirs : je ne puis croire que de pareilles réflexions
fuflent étrangères aux délibérations politiques
; on les trouveroit d ’abord extraordinaires,
éc l’on refuferoit au miniftre qui parleroit ainfi ,
les vues d’ un homme d’Etat. Mais comme la rai-
fon a auflî fa dignité Si fon afeendant, celui qui fe
rangeroit fous fon autorité ; celui qui, fans honte
comme fans prétention , oferoit avancer de grandes
vérités , fe feroit jour , peut-être , à travers
les préjugés ou les idées d’habitude. Ces fortes
aidées o n t , j ’en conviens, un très-grand empire j
& quelquefois elles s’emparent tellement de l’efi
prit, qu’on devient étranger aux fentimens les plus