
que tel article trop multiplié perdoït dans les Indes
, tandis que- tel autre manquoit abfolument.
C e t inconvénient eft beaucoup plus à craindre
aujourd’hui , que le genre des fpéculations fera
moins connu , puifqu’elles fe feront dans des ports-
très-éloignés les uns des autres ; dès-lors le fort
des commerçans deviendra plus précaire qu’il ne
l ’étoit. Seconde obje&ion contre le nouveau réglement.
Les commerçans étrangers, attirés de toutes les
parties de l’Europe à C ad ix , venoient y propofer
leurs marchandises : ce concours établinoit une
concurrence & un rabais avantageux. Les avantages
font détruits aujourd’hui 5 les commerçans
étrangers fe répandront fur les deux côtes , les
manufactures étrangères reprendront l’efpèce de
faveur qu’elles perdoient par cette concurrence.
«Troifîètne objection contre le nouveau réglement.
Cadix étoit le centre vers lequel fe dirigeoient
toutes les fortunes du royaume 5 le commerce y
trouvoit des reffources inépuifables. La quantité
de vaifîeaux qui alloient aux Indes , & la faculté
de pouvoir divifer les rifques , en diftribuant fa
fortune fur plufieurs navires , encourageoient le
négociant. Aura-t-il le même efpoir dans de petites
villes , qui pourront , à peine , expédier deux
vaiffeaux par an ofera-t-il rifquer d’ un feul
coup toute fa fortune ? Quatrième objection contre
le nouveau réglement.
Si on examine ce réglement plus en détail , on
Voit que ce qq’il offre de vraiment important 3
c ’eft l’abolition de toutes les fovmes gênantes , &
d’une partie des droits auxquels le çqmmerce des
Jndes-étoit fourni^.
Les vaifîeaux pour le fud , de deux cens vingt-
cinq piaftres qu’ils payoient autrefois par tonneau,
ont été réduits à cent vingt-cinq ; & ceux pour
JBuenos-Ayres 3 à quatre-vingt piaftres feulement.
Outre ce droit exorbitant , les marçhandifes
payoient encore cinq réaux de platte, un peu plus
de cinquante fols de notre mormoie , par palme
cubique. C e t impôt , nommé palmeo 3 eft fuppri-
mé par le noqveau réglement ; il faifoit monter
chaque tonneau à environ cent quinze piaftres de
plus. Ces deux droits réunis à beaucoup d’autres,
obligeoient l ’arftiateur à s’en dédomipager fur le
prix du fret.
Pour le Pérou 3 on payoit cinq cens piaftres,
environ deux mille livres par tonneau. Pour Bue?
nos-Ayres 3 trois cens piaftres.
Le nouveau réglement ifimpofe qu'au droit de
trois cens pour cent 3 les marçhandifes originaires
A’Efpagne, à Jeuj: exportation dans les Indes 3 &
autant fur celles de retour j & au droit de fept
pour cent les marçhandifes étrangères importées
ça Efpagne a avec la deftination des Indes»
Malgré ces nouveaux arrangemens 3 il eft douteux
que le gouvernement Efpagnol atteigne fou
but principal 3 celui de détruire la contrebande
énorme qui fe fait dans fes colonies. Il refte encore
afiez de bénéfice , pour fervir d’appât au
commerce interlope*
On fait que pour arrêter les fuccès de quelques
commerçans étrangers , qui appelaient à Cadix
les divers objets de luxe 3 & des manufactures de
leur pays , le gouvernement Efpagnol a multiplié
les prohibitions en tout genre. Il a interdit l’ exportation
, dans les Indes 3 de bayettes ou molletons
3 des bas & rubans de fil & de foie 3 de tous
les articles de luxe & de mode 3 & c . provenant
de l’étranger. Mais ou il a cru avoir allez de' fabriques
pour fournir elles-mêmes ces divers objets
de confommation , ou il a v oulu, en fermant un
débouché fi confidérable aux manufactures'étrangères
3 dont ïi les recevoit 3 attirer les ouvriers qui
ne feroient plus employés. C ’eft le feul but rai-
fonnable qu’on puifle lui fuppofer, puifqu’il eft:
bien loin encore de pouvoir approvifionner fes
colonies avec fes propres fabriques. Il eft donc
intérefîant pour les gouvernemens étrangers 3 de
veiller à ce que l’induftrie qui leur eft propre , ne
porte point en Efpagne fon efprit & fes bras. Je
parle fur-tout à la France , dit notre voyageur ;
elle a peu fait jufqu’à préfent pour fon commerce;
elle ne l’avoit jamais confidéré que pour lui donner
des entraves 3 ou pour mieux connoître les
moyens d’en exprimer le fuc , & de l’énerver.
Tous les édits"publiés fur cet objet elfentiel, ont
prefque tous été diCtés par la finance , & jamais
uniquement dans des vues d’ordre , d’encouragement
& de prqçeCtion : elle paroît enfin ouvrir le$
yeux fur fes vrais intérêts.
Le nouveau règlement e ft, en général, avantageux
au commerce étranger | mais celui de la
France en eft plutôt léfé que fayorjfé.
Le droit de palmeo fe percevoit ftir la palme eu*
bique des marçhandifes 3 quelle qu’ en fut d’ailleurs
la qualité $ de fojrte quç cent palmes cubiques
de. marçhandifes fines & précieufes , Oô
payoient pas plus que le même volume de mat;
chandifes très-groflières.
L ’Angleterre eft en pofîeflion de fournir celles?
c i ; fes draps pefans & fes diverfes étoffes de laine „
fes outils de fer qu d’aeier, formant des objets de
peu de valeur, abondoient en volume, tandis que
des toiles , des batiftes 3 des rubans 3 & des étoffes
de fo ie , fournies par la France , avoient tout l’ avantage
de ce droit de palmeo 3 qui pefoit bien
plus fur celles d’Angleterre.
Je crois avoir fuffifamment prouvé , pourfuit
notre voyageur 3 que le nouveau réglement eft
contraire aux intérêts de l’Efpagne & de fon commerce.
C ç n’eft pas quç jç veuille, attaquer la
liberté j
liberté; j.c la crois non-feulement utile, mais abfolument
néceflaire aux progrès de l’induftrie : ce
n’eft donc point contr’elle que je parle, j ’ai voulu
fïmplement examiner s’il n’y avoit point de pays,
où, félon le tems , la pofîtion &_les circonftances,
elle devoit être limitée ; & je crois que l’Efpagne
eft un de ces pays-là. Elle pouvoit fe procuref
tous les avantages que procure la liberté Üu commerce
, fans s’expofer aux abus qu’elle peut entraîner.
En délivrant celui de« Indes de toute la
gêne à laquelle une mauvaife adminiftration l’avoit
fournis , il ne falloit que faine un pas déplus ;
c ’étoit de rendre ce commerce libre à tous les Ef-
pagnols , fans permiflions , fans entraves , fous
des droits fimples & modérés ; mais de le fixer à
padix. •
- A l’égard des autres ports, elle devoit tenter d’y
ranimer l’efprit de navigation , d’encourager le
cabotage, & ne pas fouffrir que l’Angleterre , la
Hollande, la Suède & les autres nations , lui apportent
ce dont elle a befoin 5 mais aller elle-même
le chercher dans les différens ports. Elle a travaille
à fe former une marine militaire redoutable
j c’eft un beau corps fans arae, fi elle ne devient
pas l’appui d’une bonne marine commer-
• Çante. Elle fera , dans !e fait , tr.ês-coûteufe fans
objet, tant que l’Efpagné n’aura de .commerce direct
qu’avec fes propres colonies , & qu’elle ne
■ faura , ni exporter fes denrées à l’étranger, ni importer
les matières brutes ou fabriquées dont elle
manque.
. Il réfulte de tout ce qu’on vient d’expofer, que
LEfpagne eft ‘demeurée .en arrière fur une foule
çi’objet% effentiels , tandis qu’à certains égards ,
*plle a paflé le but ; comme lorfqu’elle a voulu
établir des fabriques avant que d’avoir une agriculture
} lorfqu’elle gêne trop , d’une part , fon
commerce extérieur , que de l’autre elle I’âggran-
dit trop, fans chercher des moyens pour le faciliter
dans l’intérieur , ou d’ une province à l’autre.
Tout eft entraves, chicanes, embarras, lorfqu’elle
•veut mettre des bornes à la contrebande, & qu’elle
lui ouvre des iflues qu’elle n’avoit point ; Iorf-
qu elle permet ouvertement l’exportation d’un article
, & qu’elle le prohibe enTecret ; ou lorfqu’elle
lé défend ail commerce en général, pour
donner à un ou deux partiçuliers Ja liberté de
^introduire, & de faire le monopole.
Tous ces faits font connus ; je me contente de
les indiquer , & démontrer la fauffe politique de
l’Efpagne, qui paroît n’avoir eu d’autre plan , que
4e fecouer , depuis quelques années', le joug du
commerce étranger, & de fortir d ’une dépendance
qu’elle pouvoit faire tourner à fon profit ; mais
elle n a fu , jufqu’à préfent, que varier fes moyens
jàns en calculer les 'conféquences.. Elle prohibe J
d une part, fans reftreindre de l’autre; elle n’a
« « que multiplier l’appât des gains illicites, fans |
Finances. Tome II,
augmenter fes reffources , & fans améliorer fe s finances.
On pourroit encore blâmer l’Efpagne de l’ambiguité
volontaire qu’elle met dans plufieurs articles
de fes pragmatiques , & qui ouvre la porte à une
foule de vexations criantes. Chaque douanier devient
Vinterprète de la volonté du fouverain ; il étend ou
limite , a fon gré , les droits & les prohibitions j toujours
fûr d’être approuvé lorfqu'il a fatisfait fon avidité
, en paro ’iffant vouloir augmenter les droits 6e
les revenus du maître. La lifte des abus de ce genre
eft des plus confidérables , & le gouvernement,
par la manière captieufe, ambiguë ou vague dont
il s’exprime dans fes derniers aétes de prohibitions,
paroît ne pas vouloir y mettre une fin. J ’ai
gémi plus d’une f o i s , de voir le commerce étrdnger
fournis au defpotifme lp plus arbitraire , 6} j'a i dâ
élever mavoix , quelque foible quelle foit , pour ta-
■ cher , au moins 3 de le démafquer.
Un négociant François qui a long-tems réfîdé à
Cadix , après avoir parcouru l’Efpagne pour les
affaires de fon commerce, ne nous donne pas un#
idée plus favorable d e l’adminiftration des finances
de l’Efpagne , parce qu’il rapporte , de celle des
douanes &des perceptions qui s’y font. Café politique
, par M. Pêlijfery , de Marfeille , deux volumes
in-#9, premier volume, pag. 166 & fuivantes.
II réfulte de la variation & dé l ’incertitude de
la quotité des droits , effets c.onféquèns a la multiplicité
des efpèces de droits , que les moyens de
fraude font en très-grand nombre, malgré la féyé-
r-ité du gouvernement.
Il n’y a pas d’exemple qu’on ait jamais pefé
dans les 9ouan.es les marçhandifes , ni vérifie les
aunages ; on Ce contente de s’afîurer de la qualité
des objets, par l’ouverture des caiffes & des balles.
La facture, ou lettre*de voiture, eft remife au
vjfie 3 qui règle, fur cette pièce, les prix, les qualités
des marçhandifes , & le montant des droits
qu’elles ont à payer.
La façon d’établir ces droits eft un véritable
algèbre.. Les appréciations font de huit ou dix
pour cent fur des nombres fixes , comme deux
mille huit cens quatrevingt-dix , deux mille fix
cens quatre-vingt, deux mille deux cens ; de façon
qu’après avoir évalué d’abord la marchandife
en maravédis , qui eft une monnoie prefque idéale
aujourd'hui , valant un denier ; il faut les divifer
en réaux de veillon & en réaux de platte, & la
jou.rnée fe paffe à chiffrer. Deux réaux de veillon
valent dix fols fix dehiers : les réaux de platte font
de différentes fortes 5 il y en a de huit, de quatre ,
de deux, & de deux & demi,
Les réaux de huit font les piaftres ; de quatre ,
les demi-piaftres ; de deux , les quarts de piaftre;
ceux de demi, font le feizième de la piaftre.