
On a dit quelquefois d’un miniftre : les banquiers
& les financiers Taim en t, il en tirera de
grands fecours. Quelle chimère! croira-t-on facilement
que ce foit un goû t, un penchant, un je
ne fais q u o i, qui détermine leur confiance ? Un
vrai fentiment d’eftime, mêlé même à quelques
mécontentemens perfonnels , voilà ce qui vaut
mieux de la part de tous les prêteurs. Je fais bien,
que moins les financiers auront de fortune , &
moins ils auront de capitaux à placer $ mais fi les
profits qu’on fait avec le roi , font l’origine de
cette fortune , eft - ce à l’étendue de pareils fecours
qu’ il faiit afpirèr ? Non , fans doute î
quand je vois le gouvernement enrichir & multiplier
les financiers, dansTefpoir de fe fervir de
leur argent & de leur crédit, je me rappelle le
trait de ce marchand de Bagdad , qui ayant fait
préfent à fes efclaves de turbans parfemés d’o r ,
& de robes magnifiques , fut tellement faifi de
refpeét, lorfqu’il les en vit revêtus, que par un
mouvement involontaire , il fe profterna devant
eux & implora leur protection.
^ C e qui fouvent induit en .erreur l’adminiftra-
tiôn des finances , c ’eft qu’il n’eft point de particuliers
ni de compagnies , qui , en fe propofant
comme-nouveaux receveurs, fermiers ou tréfo-
riers , n’aient l’art de. propofer une avance , ou
de s’offrir pour emprunter quelques millions au
nom du gouvernement. Mais alors l’adminiftra-
tion , en la fuppofant étrangère à fouit efprit de
faveur ou de protection , doit examiner fi ces
prétendus fecours ne prendront pas la place des
fonds qu’on lui prête déjà d’une autre manière.
Cette confidération échappe fans .cefle aux mi-
niftres des finances. 5 & cependant le raifonne-
ment & l’expérience m’ont prouvé 3 de la manière
la plus diftinCte, que la plupart des pro-
pofitions de ce genre étoient un véritable leurre j
mais quand on n’ eft point averti, il eft pardonnable
de s’y lailfer prendre : car l’obfervation
que je viens d’indiquer , quoique très - fimple
quand elle eft faite, ne fe préfente point naturellement
à Tefprit.
Il faut d’ ailleurs qu’ un gouvernement fage s’applique
en tout tems , à lier le crédit dont il veut
faire ufage, non point à la fignature des per-
fonnes qu’il a choifies pour intermédiaires | mais
à la chofe publique en général. L’adminiftration
donne même à penfer qu’elle ne compte plus également
fur la confiance, lorfqu’elle pàroît attendre
bien moins de cette précieufe difpofition des
efprits , que du crédit des agens dont elle fe
fert. C e u x -c i, néanmoins, n’en peuvent avoir
un confidérable, que par une illufion : car fi le
gouvernement n’étoit pas exaCfc envers eux , ils ne
le feroient point non plus dans les, engagemens
qu’ils prennent perfonnellement 5 cependant, &
les banquiers de la cou r , & les tréforiers , & les
fermiers, & les receveurs généraux, s’efforcent
de faire envifager leurs emprunts', comme un crédit
qui leur eft propre 5 tandis que tous ces moyens
ne font véritablement qu’autant de modifications
diverfes du crédit public, & c’ eft en contenant
les financiers dans cette jufte idée , qu’ils ne font
jamais dans le cas de diéler des lo ix , & d’exiger
des facrifices d'éraifonnables.
‘ Le crédit eft un des plus beaux attributs d’un
gouvernement, quand cette confiance eft dûe à fa
conduite & à fa bonne foi j & c’eft dégrader une
noble ide e, que de remettre la force d'un empire
dans les^ mains de quelques particuliers enrichis
de fes négligences. C ’eft ainfi qu’on rend petit ce
qui eft grand , & compofé ce qui doit être fimple
j c eft ainfi qu’on fubftitue des combinaifons
d un jou r , à ces principes qui appartiennent à
tous les tems.
Cependant, tel a été fouvent le joug impofé
par les agents des emprunts du gouvernement,
qu on les a vu refufer tout à-coup leur affiftance,
au milieu d’une circulation rapide dont ils diri-
geoient le mouvement j & quelquefois encore,
diéîrant impérieufement des loix , on les a vu demander
1 eloignemènt d’un miniftre , pour prix de
la continuation de leurs fervices. Sans doute , ils
mettoient en avant l ’opinion publique 5 mais en
combien d occafions , fe mêlant à quelque intrig
u e , n ont-ils pas été les faux interprètes de cette
opinion ? Les banquiers de la cour, font pour les minières
des finances inattentifs & fans prévoyance,ce
qu’étoient les prétoriens pour les Céfars renfermés
mollement dans le fond de leurs palais : ils les fer-
voient quelque tems, & les détrônoient enfuite.
Quel renverfement de tout ordre , que de laifier
prendre à des particuliers une fi grande puiffance I
Je voudrois encore mettre les miniftres en dé-
fenfe contre ces .calculs , à l’aide defquels on fait
voir de l’économie dans la multiplication des
agens du fifc: ce font des tours.de force: mais
ces fecrets 'auffi , on ne les divulgue point.
Il n’eft pas toujours aifé , j’en conviens, de
fuivre, en fes replis, l ’arithmétique financière 5
& comme les chiffres paroiftent, je ne fais comment
, des efpèces de figurés magiques à ceux qui
ne s’y font pas familiarifés de bonne heure, je
confeillerois aux adminiftrateurs des finances, de
mettre leur principale force dans le raifonnement :
alars quand ’on voudra leur prouver, je fuppofe,
que vingt receveurs coûteront moins que d ix , ils
diront à ces patrons de la finahce : puifque vous
avez l ’art d’aller à l’ économie en multipliant ainfi
les agens , que ne ferez-vous pas , fi vous appliquez
tant de talens à diminuer fimplement la dé-
penfe du petit nombre ? On ne fauroit trop que
répondre à cette obfervation ; & c’eft ainfi que le
bon fens tient fouvent lieu de fcience.
Cependant les vues générales de morale & d’adîniniftration
, inftruirôient bien davantage encore,
fi on les appliquôit aux rapports que ce même fu-
jet préfente. Et d’abord , c’eft fûrement un mal
politique , que d’attirer inutilement un grand nombre
de citoyens vers une profeffion ftérile, & fin-
gulière encore en c e c i, qu’elle eft prefque la feule
où les progrès de la fortune fe trouvent indépen-
dans du foin que l’on prend de l’opinion publique.
En effet, fi l’on parcourt toutes les claffes
de citoyens, depuis le guerrier & le magiftrat,
jufques aux plus petits fabricans ou aux fimples
ouvriers, on verra que cette opinion fert d’encouragement
aux talens, & devient la fource de
fes récompenfes ; & dès-lors , au grand avantage
de l’ordre focial, l’amour & l’ambition de la réputation
s’unifient à l’intérêt perfonnel & guident
fes démarches : mais dans l’exercice des fondions
attachées aux agens du fifc , le mérite eft obfcur,
& l ’honneur qui réfulte de l ’habileté, devient,
pour ainfi dire , une gloire de confrairie , & qui
ne pafîe guères l’enceinte des aflemblées d’aflociés.
Je ne veux point dire que l’honnêteté ne foit
infiniment nécefiaire , infiniment précieufe dans les
hommes qui fe deftinent à de pareils occupations :
je fais remarquer feulement que cette honnêteté
n’eft pas , comme dans les autres profefiions, fi-
gnalée en quelque manière , par l’opinion publique
5 enforte que les combinaifons de l ’intérêt
perfonnel n’en font pas l ’appui journalier.
. On peut encore envifager, comme un inconvénient
moral, l’afcendànt que prennent les financiers
dans les affaires, à mefure qu’ils s’enrichif-
fent ou fe multiplient. Ils ne doivent pas aimer ce
qui tend à fimplier l’organifation des impôts, puifque
c’ eft par la multiplicité des refforts, que leur
feiepee paroit grande 5 ils ne doivent pas même
avoir des difpofitions à féconder le chef des finances
, dans aucun plan vafte ni général ; il leur eft
aifé d’appercevoir que plus le miniftre..confidérera
fon âdminiftration partiellement, & plus ils ac-
^ue£i5)Rt puifiance j puifque ce font les befoins
prefles ou imprévus qui rendent leurs fecours né-
cefiaires. Il arrive encore, qu’au moment où la
mal-adrefîe & l’imprévoyance de l’adminiftration
la forcent de recourir à de pareils moyens, elle
exagère elle-même les fervices'des financiers, afin
de perfuader que c’eft à de grands avantages qu’elle
a fait le facrifice des principes auxquels la nation
paroit attachée : auffi, comme on voit les* plantes
inutiles ou dangereufes ne croître jamais avec tant
de vigueur que dans les climats m al-fa in sou pendant
le cours des faifons intempérées, c’eft au
milieu de la guerre, ou parmi les -défordres de
1 Etat, que l’empire des hommes de finance s’étend
& fe fortifie.
I Enfin , comme ami de la douceur dans l’exercice
de l ’autorité , moyen toujours fuffifant lorf-
qu on gouverne avec fagefle, je reproche à fefprit
de la finance, de s’allier trop aifément aux
idées de defpotifme & de févérité 5 c ’eft que le
défir de recouvrer les impôts, fans aucun obfta-
cle , s’accommode quelquefois de la crainte & de
la terreur qu’on infpire aux contribuables.
Dans ces réflexions générales-, les perfonnes
ont été loin de ma penfée ; j’ ajouterai même
qu’aujourd’hui, ce font les qualités des principaux
membres de la finance, qui tempèrent les
inconvérriens attachés au nouveau culte.que »'ai
vu rendre à leur état ; & j’en connois parmi eux,
qui font tellement diftingués, & par leurs fenti-
mens, & par leur caractère, que peut-être ils fî-
gneroient eux-mêmes tout ce que je viens de
dire.
Chaque homme, dans toutes les profefiions,
eft féparément ce qu’une heureufe nature ou l’éducation
en ont fait 5 mais dans les matières d’ad-
mimftration , c’eft toujours à l’efprit de corps
qu’il faut arrêter fon attention ; & cet efprit n’eft
point un compofé des qualités diverfes de toutes
les perfonnes attachées à un même état 5 c’ eft un
réfultat de l’intérêt commun qui les réunit.
Ainfi , quel que fût le mérite perfonnel des
principaux financiers , l’accroifiement de leur
nombre & de leur confiftance ne feroit pas moins
contraire à l’efprit d’adminiftration , qui doit
vouloir conftammentlafimplicité dans les moyens
l ’étendue dans les plans, l’économie dans les
dépenfes , l’indépendance des reftburces, & par-
defïus tou t, le bonheur & l’avantage des peuples..
L Y O N , ville très-confidérable , fous le nom
de laquelle nous avons promis-au mot Foires
de parler des foires qui s’y tiennent, & des immunités
qu’elles procurent.
Entre les différens privilèges qui ont ont été
accordés à la ville de Lyon pour favorifer fon
commerce, celui des foires, eft avec rai fon ,
regardé comme l’un des plus importans. Le premier
établifiement en eft dû à Charles , dauphin
de France, régent du Royaume, fous Charles VI.
C e prince ordonna par des lettres-patentes du 9
février 14195 qu’ à l ’avenir, il y auroit deux
foires dans la ville de Lyon.
L ’une commençant le lundi après le quatrième
dimanche de carême, & l ’autre au 15 de novembre.
Toutes deux continuées pendant fix jours, &
chacune d’icelle franche , quitte & libre pour tous
marchands , denrées & marchandifes quelconques y
en forte que lefdites marchandifes & denrées qui y
feroient amenéee, vendues ou échangées , s’en purf-
fent aller pleinement & purement , fans fraude de
toutes aides , impôts , tailles , coutumes , mahôies
ou autres importions mifes ou a mettre.