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méditations, a , dansfon T raité fu r VAdminiflratioit
des Finances , qui eft un code de légiflation , de
philofophie & de bienfaifance, confacrç deux
chapitres entiers à examiner l'effet de la guerre
fur les finances. Empruntons fon langage >.il ne
peut manquer d'embellir ce Didtiçmnaire, par les
agrémens du ftyle, & par la profondeur des idées
que répand une ame vertueufe & fenfible.
” Ah ! que j’étois impatient de traiter ce fujet !
ah » que mon coeur avoit befoin de fe répandre
furies maux attachés à cette effrayante calamité !
c eft- elle qui arrête le cours des projets falutai-
res j c eft elle qui vient deffécher les fources de
la profpérité ; c’eft elle qui diftrait du bonheur
des nations ; c’eft elle qui fufpend quelquefois
jufqu aux idees de juftice & d’humanité ; c’eft
elle enfin qui fubftitue à tous les fentimens doux
& bienfaifans , l’inimitié , les haines le befoin
d opprefler , & l’ ardeur de détruire.
Une première idee qui fe préfente à moi, lorf-
que j arrête mon attention fur l’origine de la plupart
des guerres, e’eft que ces vaftes combinai-
loiw de la politique-, qui ont fi fouvent allumé
le il .imbeau de la difeorde, & qui ont occafionné
tant de ravages, n ont prefque jamais mérité toute
1 admiration qu’on leur a prodiguée ; & j’oferois
dire au moins que, lorfqu’ un Etat eft parvenu à
nn degre eminent de puiffance & de fplendeur,
c e it faute d un cou p-d’oeil affez général, c’eft
Mute d une jufte connoiffance de fes moyens &
de fes renources, qu on fe livre à des inquiétudes
co ?.Hn^e*'es 3/^ qu on foumet la durée de la tranquillité
publique, à tant de fpéculations incertaines.
C hez de telles nations, c eft un véritable mal-
heur pour les peuples, quand par une forte d’efprit
g imitation , le gouvernement s’habitue à n’apper-
cevoir la force des Etats que dans ces liens ex-
téileurs,dont la contexture & la combinaifon for-
nient la fcience politique. Alors les idées les plus,
fnbtiles fur 1 équilibre de puiffance, deviennent
les penfees prédominantes, & celles qui occupent
continuellement l’attention ; alors naiffent ces fréquentes
guerres de rivalité, dont une première rend
» ii C^:n- Cj ^ us Pro^a^ e 5 car 2 mefure qu’on
s eft affoibfi par une guerre , on eft d’autant plus
près d etre de nouveau jaloux, puifque ce fenti-
ment n’ eft fondé que fur une comparaifon 5 &
q u e , dans le cours- des années, c’eft tantôt une
puiffance, & tantôt une autre, qui fixe les regards
de la politique : ainfi, la durée des fiècles
fe trouve employée à effayer de rabaiffer fans ceffe
les autres nations, au niveau do l ’état où l’on s’eft
réduit foi-même par Tes propres fautes ; au lieu
quen ménageant fes fo r c e s , en étudiant fes
moyens, & en les faifant valoir par une àdmi-
mftration fage, on fe trouveroit fans efforts au
poinç de fupériomé auquel on defire d’atteindre.
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Je remarquerois encofe que cette efpèee <te
luperiorité eft la feule dont les rapports foient
pour ainfi dire univerfel^. Les triomphes de la
guerre vous elèvent fans doute au-deftus de la
- nat,on que vous combattez ; mais comme ces
triomphes exigent communément de longs efforts
& de grands, facrifices, l’épuifement qui en ré-
fulte, altère néceffairement les proportions qui
exiftoient. entre vos forces, & celles des grands
Etats qui n’ont pris aucune part à votre querelle,
& dont la profpérité s’eft accrue à l ’ombre
de la paix dont ils ont joui.
Enfin, on ne peut contefter que la grandeur
où 1 orr parvient par la fagefte de fon administration
, ne foit la plus impofante, & celle qui
captive davantage le refpeét des autres nations :
e . £s ^ont bien plus inquiettes du plus petit aggran-
diffement qu’on veut fe procurer par la guerre ou
la politique, que de cette augmentation de puiffance,
dont l’ordre eft le fondement; 8c ce fen-
timent eft naturel : car la profpérité qui naît de la
conduite fage d’un fouverain, rappelle aufti fes
vertus; & l’ on y voit une fauve garde contre l’abus
qu’ il pourroit faire de l’accroifTement de fes
> forces.
Aujourd’h u i, c’eft fur-tout pour le commerce
qu’on enfanglante la terre : cette idée vague , indefinie,
prête à la politique un nouveau luftre 5
& l’opinion publique, excitée par un mot qui
repréfente un intérêt univerfel, s’ égare fouvent
elle-meme dans fes jugemens. Je demanderois volontiers
à ceux qui, pour de femblables motifs,
font toujours prêts à confeiller la guerre.' Qon-
noiffez - vous la balance du commerce de votre
pays ? en a vez-vous étudié les élémens ? avez-vous
examine fuffifammentfi les échanges auxquels vous
voulez participer, augmenteront la richeffe na-
tionnale ? & diftinguez-vous bien la feurce & les
; effets de cette richeffe ? avez-vous balancé, avec
les avantages que vous attendez de la guerre, le
dommage que pourra porter'au commercé, la
haufie de l’intérêt, par la multiplication des emprunts
du gouvernement, & le rendiériflement
de l’induftrie par l’accroiffement des impôts ? êtes-
vous sûrs, qu’en même tems que vous travaillerez
à obtenir par les armes une nouvelle branche de
commerce, une autre ne vous échappera point,
ou par les égards que vous ferez obligés d’avoir
pour vos anciens allies, ou par lés condefcendan-
cet .qu’exigeront de vous les nouveaux ? enfin ,
avez - vous apperçu toute votre profpérité préfente,
& avez-vous évalué Têteridué des facrifî-
ces que peut mériter le but même où vous af-
pirez ?
Rien de plus fimple que le mot de commerce,
quand on n en faifit que l’acception vulgaire : rien
de plus compliqué, quand on en fait l’application
à 1 uniYerfali-îé des échanges, à l’importance des
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uns, â l’ inutilité des autres, au défaVâhtagô- de
plusieurs ; enfin, aux vues politiques, au travail,
aux impôts, & à toutes les combinaisons inattendues
que la guerre 8c les grands événemens oc-
cafionnent : il faut donc une lente & profonde
réflexion , avant que de fe- déterminer' à mettre
le monde en feu pour un intérêt de commerce;
& il ne faut jamais perdre de vu e , qu au milieu
de la paix, une diminution fur-certains droits,
un encouragement donné à certaines exportations..
Une faveur obtenue chez quelques nations étrangères
, & tant d’autres avantages dûs a une ad-
miniftration fage, valent mieux fouvent que 1 objet
auquel 011 veut atteindre par des flottes & par .
des armées.
Les nations, dans l ’état fauvage, étoient entraînées
par des paflions aveugles & déréglées,
8c c es paflions fe font un peu calmées par 1 effet
de la civilifation ; mais la multitude & la conru-
fion d’intérêts divers, que les idées d’argent, de
commerce, de richeffes-nationnales, & d équilibré
de puiffance, ont introduites, font devenues d autres
caufes d’ inimitiés 8c de jaloufîes ; & comme
la fcience des gouvernemens ne s eft pas elevee
en proportion des contrariétés qu ils avoient a
concilier, 8c des difficultés qu’ils avoient a vaincre,
l'humanité ne jouit encore qu’imparfaitement
de fon changement d’état.
Je voudrons offrir à la réflexion une confidp-
ration dont j’ ai toujours été fortement frappe :
la plupart des gouvernemens paroiffent contens ,
îorfqü’aii b.out d’une guerre fanglante & difpen-
dieufe, ils ont fait lin traité de paix honorable;
fans doute cette fin peut fuffire à la nation qui,
attaquée injuftemefit, s’eft trouvée dans la nécef-
fité de repouffer la force par la force : mais celle
qui eût pu éviter l’inimitié des autres puiffances
par des procédés plus circonfpeéts ; & celle aufti
qui auroit entrepris un t guerre par une: spéculation
politique: de telles nations ne fauroient mécon-
noître que l’évaluation des avantages dont 1 aéte
de conciliation les a rendues maîtreffes, n eft pas
l? feul calcul digne de leur attention ; elles ont
encore à confidérer qu’elle eût été leur fituation
a l’époque de ce traité, fi la guerre n’eût point
interrompu le cours de leurs, profpérités.
De femblables comparaifons euflent été fouvent
Utiles à tous les Etats de l’Europe ; & l’ Angleterre
, fur-tout, en eût tiré de grandes inftmdions :
mais, n’étant point en état de préfenter un tableau
il général, je me bornerai aux réflexions qui peuvent
s’appliquer à la France.
Suppofons une guerre où ce royaume eût été
obligé d’aliéaer cinquante à foixante millions de
rente, pour fatisfaire aux intérêts des^ emprunts
que les préparatifs de la guerre , les dépenfes de
chaque çampagne, & le paiement des dettçs,
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auroient rendus néceflaites; 8c confidérons enfuite
rapidement, les différens emplois que le gouvernement
eût pu faire d’un femblable revenu, non-
feulement pour l’augmentation de la félicite publique,
mais encore pour l’accroiffeméncde la force
militaire.
La drftribution que je vais faire, n’indique point
mon opinion fur un pareil partage : mais dans un
calcul de ce genre, je veux aller au devant des
objections , en montrant comment les differens.
voeux qu’on forme dans une monarchie, tantôt
pour le bonheur, & tantôt pour la puiffance ,
auroient été parfaitement fatisfaits.
Je vois d’abord, qu’avec dix-huit millions de
revenus annuels , on eût p u , en approchant des
compagnies de leur état complet, augmenter 1 ar*-
mée de cinquante mille foldats, & de dix à douze
mille chevaux.
J’àpperçois enfuite, qu’avec deux millions de
rente, fervant en tems de paix à emprunter quarante
millions , on eût pu. augmenter la marine de
trente vaiffeaux de ligne, & d’un nombre de frégates
proportionné ; & avec quatre millions par
an , on eût entretenu cette augmentation-. Voilà
vingt quatre millions de rente donnes uniquement
à la force militaire. -
Qu?on applique maintenant le furplus aux di-
verfes parties de l’adminiftration, 8c qu'on en coa-
fidére l’effet.
Avec dix huit millions, on eût pu rendre le
prix du fel uniforme dans le royaume, en Je ré-
duifant d’un tiers dans les provinces des petites
gabelles, & de deux tiers dans les grandes, & eri
n’ augmentant point les charges des provinces privilégiées.
Avec quatre à cinq millions de rente, ont eût
pu affranchir l'intérieur du royaume de toutes les
douanes, fans élever les droits perçus à l’entréç
& à la fortie du royaume, & fans mettre eti
ligne de compte , l.es améliorations que j’ai indiquées
en traitant ce fujet.
Avec deux millions cinq cens mille livres, fervant
à emprunter fucçeflivement cinquante millions
, on eût pu exécuter les canaux effentiels
qui manquent encore à la France.
Avec un million de plus par a n , on feroit en
état d’encourager .tous les éiablilfemens d induf-
trie qui peuye.nt augmenter la profpérité diï
royaume-
Avec quinze cens mille livres, on doubîeroie
les fonds deftinés. annuellement aux areliers de
charité ; 8c en faifant un bien infini aux habitant
des campagnes, on multiplieroit encore les communications
vicinales.
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