
condition doutant plus fâcheufe pour l’Etat* que
nos pertes tournent au profit de nos rivaux.
La nullité des fuccès des particuliers * tient à
plufîeurs caufes. Il faut * pour ce genre de commerce
, de gros navires * de grands capitaux en
nature , & un intervalle de deux années entre les
expéditions & les retours ; au lieu que dans le
cours ordinaire du commerce , les élémens font
tout differens. Il ne s’agit que d’échanger les
produirions du fol & de l’induftrie nationale *
contre les productions d’autres climats bien moins
éloignés. Cette opération fe fait rapidement * &
prefqu entièrement fur le crédit. Chaque négociant
eft à portée de fuivre & de diriger lui-même
fes affaires j avec une fortune médiocre * il peut 3
dans le cours d’une année 3 expédier fucceffive-
ment plufîeurs vaiffeaux , tandis que l’expédition
■ u.n ^eul pour Y Inde * eft: capable d’épuifer la
maifon la plus puifïante 3 & de la laiffer-enfuite
dans une longue inaction.
. ^ aIS en fuppofant que quelques armateurs particuliers
puffent 3 fans effort 3 employer des fonds
réels & fuffilans au commerce de Y Inde, ils trou-
veroient encore une caufe de ruine dans l’efpèce
meme des agens auxquels on eft forcé d’avoir recours
dans cette contrée. On n’y voit point de
maifon de commerce * avec laquelle on puiffe lier
une correfpondance. Dans un pays ou il n’y a
point de territoire* & où les produ&ions font en
petit nombre j où les fabricans attendent qu’on
vienne 3 1 argent à la main 3 leur commander des
marchandifes , on ne peut pas efpérer que des
gens riches s y tranfportent ou y envoyent leurs
capitaux * pour faire les affaires des autres j il ne
s y rencontre que quelques commiflionnaires ifo-
iés & avides* qui veulent faire fortune* & promptement
: ils mefurent leurs bénéfices fur l’intérêt
de l’argent * qui eft à un taux énorme 5 & lorfque
ce premier bénéfice eft ajouté à la valeur de la
-marchandife * il ne refte plus qu’ à perdre pour
ceux qui font forcés de l’acheter à ce prix.
Si 1 on ajoute a ces obftacles, pris dans la nature
des lieux * les effets de la concurrence,* le défaut
3 ^u*te & de prévoyance , I’impof-
fibilité de former des affortimens * objet fi nécef-
faire & fi difficile * on jugera que le commerce
de 1 Inde paroît au-deffus des forcés'& des moyens
des négocia ns particuliers 5 & la première idée
T 1 j Pref^nter,a J féra de revenir à l ’ancienne méthode*
& de rétablir une compagnie des Indes.
Mais en lui redonnant la même conftitution &
les memes bafes , cette nouvelle compagnie des
Indes pourroit-elle offrir à. fes intéreffés & au public
* des bénéfices affez confidérables & affez
lurs pour obtenir de nouveaux fonds ? Seroit-il fi
aife de la former * cette compagnie * & peut-011
compter fur fa profpérité ? C e f t une nouvelle
queftion qusil s’agit d’examiner ; cherchons-en }&
folution dans la balance des profits & des pertes.
Le refume du tableau des opérations de la compagnie
* pendant les cinq années qu’a duré l’exercice
de fon privilège après la paix de 1763 * prouve
qu’elle a expédié* dans ces cinq années, cinquante
cinq vaiffeaux* qui lui ont coûté cent huit millions
trois cens cinquante-huit mille cent vingt-
huit livres j à quoi ajoutant fîx millions pour Tes
intérêts des fonds de mife-dehors & d’ envoi dans
les comptoirs * c’eft une fomme de dépenfe de
cent quatorze millions, trois cens cinquante-huit
mille cent vingt-huit livres.
Si l’on rapproche actuellement le montant de
la recette de ces expéditions pendant cinq années,
on voit qu’il n’a été que de cent cinq millions
fept cens quatre-vingt-neuf mille huit cens huit
livres 5 enforte qu’il en réfui te'' une perte réelle de
huit millions cinq cens foixante & huit mille trois
cens dix-neuf livres 5 c’eft-à-dire * plus de dix-
fept cens mille livres par année.
On n’a point compris dans la maffe des dépen-
fes * les dépenfes de fouveraineté * tant aux Indes
qu’aux ifles de France & de Bourbon * & qui font
un objet de plus de deux millions par année j.
d’ailleurs * le roi s’étoit chargé , en 1764 * de
1 entretien de ces deux colonies. On n’ a rien paffé
non^ plus dans ces cinq années pour les rifques
maritimes j mais quoique la compagnie ait été
ftùs-heureufe à cet égard pendant le période dont
il s’agit * il eft néanmoins jufte & naturel de fup-
pofer des accidens * & d’en faire entrer les effets
pour une fomme quelconque * dans la maffe des
dépenfes. Peut-être même faudrait-il encore ,
pour, être parfaitement exaCt , ajouter à ces calculs
les rifques de guerre fi efftaÿans & fi étendus,
pour un commerce dans lequel on envoie* à fix
mille lieues* des capitaux immenfes, qui font tout
à la fois expofés* & en allant * & en revenant,
& dans le continent même où on les envoie.
Mais fans aller chercher de nouvelles caufes de
défaveur & d’inquiétude * il eft affez démontré
que fi le commerce libre n’eft pas avantageux aux
particuliers * l’exclufif entraîne trop de pertes *
pour fonger à rétablir une compagnie fur les mêmes
principes que l’ancienne.
De ce double réfultat il fort une grande vérité,
c ’eft que le commerce de Y Inde eft ruineux en lui-
même , & que les compagnies qui ont paru jetter
de l’éclat en l’exerçant * ont toujours dû leur
profpérité à quelque caufe étrangère à ce commerce.
La poffeffion exclufîve des épiceries a enrichi
la compagnie Hollandoife * & la foutient encore.
Lorfque notre compagnie des Indes a diftribué un
gros dividende * comme on l’a dit ci-deyant * c ’étoit
moins comme compagnie commerçante que
comme compagnie de finance , qui droit un revenu
confidérable du privilège de la vente exclu*
five du tabac dans le royaume.
Enfin* la compagnie des Indes Angloife étoit
ruinée au commencement de la guerre de i7 f 6 >
mais par une fuite d’évètiemens très-extraordinaires
* qui ont facilité des conquêtes immenfes ,
elle s’eft élevée à un degré de richeffe & de puif-
fance dont il eft difficile de donner une filée. Il
faut donc convenir que M. Dupleix , qui reunif-
foit à une connoiffance profonde du gouvernement
Indien * l ’efprit de commerce & la fcience
des calculs politiques , avoit çu grande raifon d’imaginer
fon fyftême de pofieffions territoriales ;
fyftême trop blâmé en France * parce que tout s’y
juge légèrement * & malheureufement pour nous *
trop fuivi en Angleterre * mais fur lequel il ne
nous refte plus maintenant qu’ à former d’inutiles
regrets.
On a dit que le comfnerce de Y Inde eft ingrat
par fa nature * & que les particuliers ne l’ont fait
qu’avec défavantage. Voyons s’ils peuvent Févi-
ter. Nous fuppoferons un vaiffeau de fix cens
tonneaux * armé pour le Bengale* avec trois cens
mille livres de fonds d’avance * envoyés pour
commencer à contracter des marchandifes dans
les comptoirs * & cent vingt hommes d’équipage $
nous le fumons dans fon voyage & dans fou
retour.
Fonds d’avance* ....................... 300*000 liv,
Vaiffeau équipé & armé , y compris l’avance des fix premiers
mois de folde de l’équipage, de l’état major compofé de huit per-
fonnes , & les frais de la table payés d’avance au capitaine pour
dix-huit mois , ......................................................................................... 204*50#
Chargement d’efpècés dans le navire * ......................... 900*000
1*404,500 livresk
Fonds pour fornir aux frais & aux dépenfes d’ achat de marchandifes ,
Frais à faire dans le Bengale avant l’achat de la cargaifon , pour
relâche * pour pilotes * bateaux de remorque , & c . pour vivres *
rafraîchiffemens , hôpital j pour pertes de cables , & autres acci-
d e a s , & deux mois de paye à cent vingt hommes * ......... .. 50*920
Commiffion fur le pied de cinq pour cent aux correfpondans
dans les fabriqués * pour l’achat d’un million ou onze, cens mille
livres de marchandifes , ................................................................... .. 50*080
Droits de douane au gouvernement Maure , à raifon de deux
& demi pour cent fur la cargaifon, eftimée un million, ........... .. 25*000
Commiflion au fubrecargue du vaiffeau * à cinq pour cent fur
Un million quatre-vingt mille livres * ................ .................................* 54*000
1*200*000
180*900
Refte pour prix de factures * 1*020*000
Bénéfice de l’achat à la v ente, eftimé foixante & dix pour cent* attendu le contrat
à l’avance * .................................... .......................... ............... 714*900
Montant brut de la vente 1,734,000
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