
annuellement quinze ou vingt millions. Elle ne
feroit pas moins néceffaire pour mettre un frein à
la dépopulation des campagnes , que pour achever
de répartir les impôts de la façon la plus conforme
à la juftice diftributive 5 cette*?façon confiée à les
étendre fur le luxe le plus grand , comme le plus
onéreux à T Etat. C ’eft une vérité inconteftable,
que le poids des tributs fe fait fur-tout fentir dans
ce royaume , par l'inégalité de fon afïiette j au lieu
que s il étoit réparti dans de juftes proportions ,
la force du corps politique feroit prodigieufe.
La taxe fur les terres eft très-fage , quand elle
eft faite diaprés un dénombrement & une eftima-
tion exaéle. 11 s’agit d'en faire, la perception à peu
de frais , comme cela fe pratique en Angleterre.
En France , l’on fait des rôles où l’on met les
diverfes claffes de fonds. 11 n’y a rien à dire,
quand les claffes font diftinguées avec juftice &
& avec lumières ; mais il eft difficile de bien con-
noître les différences de la valeur des. fonds , &
encore plus de trouver des gens qui ne foient pas
intéreffés à les méconnoître , dans la confection
des rôles. Il y a donc deux fortes d’injuftices à
craindre , l’injuftice de l’homme & l’in juftice de
la chofe. Cependant fi la taxe eft modique à l ’é-
gard du peuple , quelques injuftices particulières,
relativement à des gens plus aifés , ne mériteroient
pas une grande attention. Si , au contraire , on ne
laiffe pas au .peuple., par la taxe, de quoi'fubfifter
honnêtement, l’injuftice deviendra des plus criantes
, & de la plus grande conféquence. Que quelques
fujets, par hafard , ne payent pas affez, dans
la foule 3 le mal eft tolérable j mais que plufieurs
citoyens qui n’ont que le néceffaire , payent trop,
leur ruine fe tourne contre le public. Quand l’Etat
proportionne fa fortune à celle du peuple,
l’aifance du peuplé fait bientôt monter la fortune
de l’Etat.
11 ne faut donc point que la portion des taxes
qu’on met fur le'fermier d’une terre à.raifon de
fon induftrie, foit forte, ou tellement décourageante
de fa nature, qu’ il craigne de défricher un
nouveau champ , d’augmenter le nombre de fes
beftiaux , ou de montrer une nouvelle induftrie,
de peur de voir augmenter cette taxe arbitraire
qu’ il ne pourroit payer. Alors il n’auroit plus d’é-
mulatjon d’ acquérir j & en perdant l ’efpoir de devenir
riche , fon intérêt feroit dç fe montrer plus
pauvrç qu’ il n’eft réellement. Les gens qui prétendent
que le payfan ne doit pas être dans l’ai-
fance, débitent une maxime auffi fauffe que contraire
à l’humanité.
C e feroit encore une mauvaife adminiftration
que de. taxer l’induftrie des artifans , car ce feroit
les faire payer à l’E ta t, précifément parce qu’ils
produifent dans l’Etat une valeur qui n’y exiftoit
pas : ce feroit un moyen d’amortir rinduftrie,
ruiner l ’Etat Sc lui couper la feu'rce des M p
fides.
Les impôts modérés & proportionnels fur les
confommations des denrées, des marchandifes ,
font les moins onéreux au peuple, ceux qui rendent
le plus au fouverain , & les plus juftes. Us
font moins onéreux au peuple , parce qu’ils font
payes imperceptiblement 8c journellement, fans
décourager l’induftrie 5 d’autant qu’ils font le fruit
de la volonté 8c de la faculté de confommer. lis
rendent plus au fouverain qu’aucune autre efpece,
parce qu’ ils s’étendent fur toutes chofes qui Ce
confomment chaque jour. Enfin ils font les plus
juftes parce qu’ils font proportionnels, 8c parce
que celui qui poffède les richeffes rie peut en jouir
fans payer à proportion dejes facultés. C es vérités,
malgré leur évidence , pourroient 'être appuyées
par l’expérience confiante de l’Angleterre, de la
Hollande , de la Pruffe, & de quelques villes
d’Italie, fi tant eft que les exemples foient propres
à perfuader.
Mais il ne faut pas ajouter des impôts fur la
confommation, à des impôts perfbnne.ls déjà epnfi-
derables j ce feroit écrafer le peuple, au lieu que
fubftituer un impôt fur la confommation à un impôt
perfonnel, c ’eft tirer plus d’argent d’une manière
plus douce & plus infenfible.
II faut obfetver en établiffant cet impôt, que
l’etranger paye une grande portion des droits
ajoutés aux prix des marchandifes qu’il acheté de
la nation. Ainfi les marchandifes qui ne fervent
qu’ au luxe 8c qui viennent des jpays étrangers y
doivent fouffrir de grands impôts» On en rehauf-
fera les droits d’entrée , lorfque les marchandifes
confifteront en des chofes qui peuvent croître,
ou être également fabriquées dans le pays 5 on
en encouragera les fabriques ou la culture. Pour
les marchandifes. qu’on peut tranfporter chez l’é tranger
, s’ il eft de l’avantage public qu’elles for-
tent, on lèvera les droits de fortie peu confidé-
rables, ou même on en facilitera la fortie par des
gratifications.
Enfin les impôts fur les denrées 8c les marchandifes
qu’on confomme dans le pays , font ceux
que les peuples fentent le moins, parce qu’on
ne leur fait pas une demande formelle. Ces fortes
de droits peuvent être fi fagement ménagés , que
le peuple ignore pre'fque qu’il les paye.
Pour cet effet, ile ft d’une grande conféquence
que ce foit le vendeur de la marchandife qui paye
les droits. Il fait bien qu’il ne les paye pas pour
lu i , 8c l’acheteur les confond avec le prix de U
marchandife. De plus , quand c ’eft le citoyen
qui paye, il en réfulte toute forte de gênes juf-
qu’ à des recherches dans les maifons. Rien n’eft
plus cpntraire à la liberté. Ceux qui établiffenï
ces
•ces fortes d'impôts , n’ont pas le bonheur d’avoir'
rencontré la meilleure forte d’adminiftration.
Afin que le prix de la chofe 8c l’impofition
fur la chofe puiffent fe confondre dans lefprit de
celui qui paye , il faut qu’il y ait quelque,rapport
encre la valeur de la marchandife Sc Y impôt t 8c
que-fur une denrée de peu de valeur, on ne mette
pas un droit exceflîf.
^ Il y a des pays où le droit excède de quinze à
vingt fois la .valeur de la denrée 8c dmne denrée
effentfelle à la vie. Alors le prince qui met de pare
ille s taxes fur cette denrée ôte l’illufion à fes
fujets. Us voyant qii’ ils font intpofés à des droits,
tellement dértsifonnables ,-îqu’ils ne fentent plus,
que leur mifère 8c leurffeivicude- D ’ailleurs pour
que le prince puiffe lever un droit fi disproportionné
à la valeur d'une chofe , il faut qu’il la
mette en ‘ferme , 8c que le peuplé ne puiffe
l’acheter que de fes fermiers j ce qui produit
mille défaftres.
La fraude étant dans ce. cas très-lucrative , Ja
peine naturelle , celle que la raiiori demande, qui
eft la confifeation delà inareffandife, dévienfc-incapable
de 1 arretejr $ il faut donc . avoir recours à
des peines' Japonoifes , 8c pareilles à celles que
i’ôn inflige aux plus grands crimes. Des gens qu’on
ne fauroit regarder comme des hommes méchans,
font punis comme des.fcëlérats; toute la proportion
des peines eft ôtée.
Ajoutons que plus on met le peuplé dans la
îiéçeflité de frauder ce fermier , plus on enrichit
celui-ci , plus on appauvrit celui-là. Le fermier
avide d’arrêter la fraude ne ceffe de fe plaindre,
de demander., de. Surprendre , d’obtenir des
moyens de vexations extraordinaires- 8c tout eft
perdu.
En un mot les avantages de Y impôt fur les confommations
, confident dans la modération des
droits , fur les denrées effentielles à la vie , dans
la liberté de contribution à leur confommation
& dans runiformité d’impofition. Sans cela cette
efpèce d’impôt admirable dans le principe,, n’a plus
que des inconvéniens-
| arbitraire par tête eft .plus cbnforme •
a la lervitude que tout autre. L'impôt proportionnel
fur les terres çft conforme à la juftice
L'impôt fur les marchandifes convient à la liberté' 1
d'un peuple commerçant. C e t impôt eft propre-
ment payé;par l'acheteur, quoique le marchand l'avance
& à l'acheteur & à;l'Etat. Plus le gouvernement
eft modéré, plus .i’efprit de. liberté
régne , plus; les fortunes ont de filreté , plus il
eft facile aux négocians d'avancer à l’Etat Se aux
particuliers des droits ponfidérables.
En Angleterre un marchand prête réellement
finances. Tome II.
à l’Etat cinquante livres fterlings athaque tonneau
de vin qu’il reçoit de France. Quel eft le marchand
qui oferojt faire une chofe de ce genre, dans
un .pays gouverné comme la Turquie, & quand
il I’oferoit faire,.comment le pourroit-il avec une
fortune fufp.eéte, incertaine, ruinée.
La plupart des républiques peuvent augmente*
les impôts, dans des befoins preffans , parce que
le citoyen qui croit les payer à lui-même, a J a
volonté de les payer, & en a ordinairement le
pouvoir, par 1 effet de la nature du gouvernement.
Dans la monarchie mitigée, les impôts peuvent
S'augmenter, parce que la fageffe 8c l’habilité
au gouvernement y peuvent procurer des richeffes
j c, eft comme la :récompenfe; d.u prince ,. à
càufe du refpeét qu’il à pour lès lo'ix.
Cependant plus il les refpe&e, plus il doit borner
les impôts qu’il eft forcé d’établir , les diftribuer
proportiohnelleiTient aux facultés, les faire percevoir
avec ordre & économie. L ’équité'de la levée
dès tributs , tendit à Rome au principe'fondW*
mentsil du gouvernement', 8c n i pou voit être enfreinte,
que lâ-répub!iquè ne fùt'ébrànlée du même
coup, comme l’expérience le juftifia.
) Une maxime fondamentale en matière d’impôts ,
c eft qu’il ne faut pas les mefurer à c e . que le
peuple peut donner, mais à ce qir il doit donnér
raifonnablement} ou fi quelquefois om eft contraint
de mefurer les ■impôts à ce que le peuple
peut donner., -il-, fa ut i du moins que ce-foit à ée
qu’ il peut toujours donner. Sans ce ménagenTèrié,
il arrivera qu’on fera forcé ou de fur charger le
malheureux peuple.,c’eft-à-dire de ruiner l’Etat.,
ou de faire des emprunts à perpétuité, ce .qui
conduit à.l,a.fuifeh?i:g,e perpétuelle,de l’impofition ,
puifau il faut payer dés intérêts > finalement il en
réfùjltç un défordre .affijré dans lés finances , fans
compter une ..infinité, d’inpony.éni.ens .pendant le
cours de ces.émprijqts. Le principe qmori Vient
de p9fer eft Bien plus cpnftant, drineffet pliisetendu
& plus favorable à la monarchie, que les tréfors
amaffés par les rois.
Le fouvçrain doit ôter tous les impôts qui
font vicieux par leur nature , fans chercher à en
réprimer les abus , parce que la chofe n’èft pas
poffible. Lorfqù’ùnimpôt eft Vicieux par lui-même
comme le font . tous .les r tributs arbitraires . la
forme de la régie , toute bonne qu’elle çft ] ne
change que le nom dçs excès,, mais elle n’en corrige
pas la caufe.
La maxime des grands empires d’Orient , de
.rerrfçttré les tributs' aux' .’provinces qui ont t oÆ
fert , dèVioît être portée dàns' tous lès Etats monarchiques.
11 y en a où elle eft adoptée, mais
où .en même tems elle ; accable autant 8c plu$
que fi elle n’y étoit pas reçue, parce que le prinçç