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l ’agrém ent 8c l'u tilitc , quelquefois féparés, Couvent
réunis ;
A u t prodejfe volant, aut deleclare Poetoe ,
A u t funul & jucunda & idonea dicere vîtes.'
M ais l’agrém ent de la fiétion dépend de l’air de vérité
qu’on lu i donne :
FiSa voluptatis eau fa , fini proxima veris ;
de la naïveté du récit & du foin qu’o n prend d’en
exclure to u t ce qui feroit fuperilu ,
Omne fuperyacuum pleno de peSore manat.
D u refte , il pardonne au P o ète des négligences g
pourvu qu’e lles foient en p e tit nom bre & rachetées
par de grandes beautés : il y a m êm e, en Poéfie
com m e en P ein tu re , un genre qui de lo in produit
fon effet, quoiqu’il n’a it pas la correction des déta
ils ; mais ce qu i eft fini a l'avantage de pouvoir
être vu de p r è s , toujours avec un p laiu r nouveau
;
Hoec placuit femel, hoec decies repetita placebit,
L a conclufîon d’H orace eft que la Poéfie n’admet
p o in t de talents médiocres ;
Æediocribus ejje poatis 3
Ron homines , non di, non coiice$fére columncz»
E ncore eft-ee peu du ta le n t, ce don précieux de la
nature ; fi le travail ne le d è v elo p e , fi l’étude ne
Je n o u rrit, fi des am is judicieux & févères ne le
corrigent eh l ’éclairant ; fi le P o ète enfin ne £e
donne à lui-m êm e le tem ps d’oublier , de revoir ,
de retoucher fes ouvrages avant de les expofer au
jo u r j
Membranis intus pofitis, delere licebit
jQiiod non edideris : nefcit yox mijfc revertîf
O n ne fauroit donner des préceptes généraux ni
p lu s folides ni plus lum in e u x : mais cet ouvrage
e ft un réfiiltat d’études élém entaires, p ar lefquèlles
i l faut avoir paffé p our les m éditer avec fruit ; il
les fuppofe , 8c n y p eu t fuppléer.
D efpréaux ap p liq u e a la Poéfie françoife les p ré cep
tes d’H orace fur la com pofition & fur le û y le
en g é n é ra l, & i l y ajoute en les dèvelopaot* I l
v eu t que la rim e obéifTe, & que la raifon ne lu i
cède jam ais; qu’on évite les.- détails inutiles &
l ’ennuyeufe m onotonie , le ftyie bas & le ftyle am p
o u lé É
l e ftyle le moins n o b le a pourtant fa n oblefle.
S o y e z fîmple a v e c a r t ,
.Sublime fans o r g u e i l, agréable fans fard.
J1 reçonunande l ’exactitude , la c la rté , le refpe£t
P O É
pour la langue , & la fidélité aux règles de la
cadence & de l ’harmonie , préceptes do ht i l donne
l ’exemple.
Horace a peint en un feul vers la beauté du ftyle
poétique ;
Vehemens , & liquidus t puroque Jimillimus amni :
Defpréaux, qui ne le confiéere que par raport à
l ’élégance & à la pureté, a pris une image plus
humble ;
J ’ aime mieux un ruiffeau q u i , fur la mo lle arène,
D an s un pré plein de fleurs, lentement fe promène ,
Q u 'u n torrent d éb o rd é , q u i , d’ un cours o ra g eu x ,
R o u le , plein de g r a v ie r , fur un terrein fangeux.
I l définit les divers genres de Poéfie, à commencer
par les petits Poèmes; & la-plupart de ces définitions
font elles-mêmes des modèles du ftyle , du
ton, du coloris qui conviennent à leur objet.
Les préceptes qui regardent la Tragédie font
tracés d’après Ariftote & Horace ; la règle des trois
unités & la défenfe de laiffer jamais la ficène vide *
font renfermées dans deux vers admirables :
Q u ’en un l ie u , qu’ en un jo u p , un feul fa it accompli
T i e n n e , ju fq u 'à la fin , le théâtre rempli.
On y voit l ’unité de lieu preferite à l’égal de
l ’unité de temps & d’a&ion : règle nouvelle , <^uÔ
les anciens ne nous avoient point impofée , qu ils
n’ont pas obfervée jnviolableraent, 8c dont il e ft,
je cjrois , permis de 6*écarter comme eux, lorfque le
fujet le demande. Voye^ Unité.
Après avoir rappelé l ’origine & les progrès de
1$ Tragédie dans la Grèce , i l la reprend au fortir
des ténèbres de la barbarie, & telle qu’on^la
vit paroître fur nos premiers théâtres , fans g o û t,
fans génie, 8c fans art ; U la çonduit jufqu au?
beaux jours des Corneille „& des Racine : i l çoifcq
ieille aux poètes employer Pamour ;
D e çettp paflîon la fenfible peinture
E f t , pour aller àu coe u r , la route la plus sÿîre.
Ce qui ne doit pas ètr.e prjs à la lettre : car Ie$
fentiments de la nature font plus touchants encore »
plus pénétrants que ceux de l ’amour ; & il n’y a point
fur le théâtre d’amante qui nous jntéreffe au degré dçi.
JVIérope.
I l ajoute ;
E t que l ’ âm o u r , fouv ent de remords c om b a t tu ,
Y fo it une fo ib le f le , 8c non -u ne vertn i
règle qui n’eft pas générale : çar un amour ver*
tueux 8c facré peut être, dans l ’excès du malheur,
auffi douloureux qu’un amour criminel ; & le céeur
des amants eft déchiré de tant de manières, que , ppur
„pous
p o É *
BOÙS arracher des lamies, ils n’ont pas befoin du
fecours des remords.
Horace eft admirable quand i l enfeigpe à obferver
les moeurs Si à les rendre arec vérité : Defpréaux
l ’imite & l’égalé ; il termine les règles de la Tragédie
par le caractère du génie qui lui convient.
Q u’il fo it a i f é , fo lid e , a g ré ab le, p ro fo n d ,
Q u’en nobles fentiments il fo it toujours fécond.
On diroit que c’eft le génie de Racine qu’il
vient de peindre, mais froidement & foibiement encore.
L ’Épopée diffère de la Tragédie par fon étendue
& par l ’ufage du merveilleux. Cé Poème , dit De fpréaux
,
D an s le vafte récit d ’ une longue a ft io n ,
Se ■ foutient p ar l a F ab le 8c v it de fiéiion.
I l fe moque du vain fcrupule de ceux qui au-
roient voulu bannir la Fable de la Poéfie françoife ;
mais il condanne le mélange du-merveilleux de la
Fable & de celui de la Religion : il défapprouve
même l ’emploi de celui-ci, quoique,fans mélange :
E t fabuleux chrétiens , n'a llons pas dans nos fonges
D ’ un D ieu d e vérité faire un D ieu de menfonges.
Maxime qui ne doit pas exclure un merveilleux fiéHf,.
puifé dans la vérité même, & qui n’en eft. que l ’ex-
tenfîon. Voye-^ Merveilleux.
Defpréaux veut pour l’Épopée un héros recommandable
par fa valeur & par fes vertus : il demande
que le fujet ne foit pas trop chargé d’incidents; que
la narration foit vive & prefTée ; que les détails en
foient intéreflants & nobles, mélés de grâce 8c de
jnajefté :
O n peut être à la fois 8c fublime & p la ifan t ,
E t je hais un fub lime ennuyeux. 8c pefanr.-
II donne Homère pour exemple d’une riche variété ;
mais il me femble avoir manqué le trait qui le caractè
re : ■
O n d iro it que pour p la ire , inftruit p a r la n a tu r e ,
Homère aie à Vénu s - dérobé fa ceinture.
Cette, ceinture , quoiqu’Homère en foit lui - même
l ’inventeur , ne lui fîedpas mieux qu’elle ne fiéroit à
Hercule.
ï i préfère la folie enjouée de l ’Ariofte àù caractère
de ces Poètes, dont la fombre humeur ne s’éclaircit
jama-is.
Tout cela bien entendu peut contribuer à former
le goût ; mais pour le bien entendre, il faut avoir
déjà le goût formé : par exemple, il ne faut pas
croire , fuit l’éloge que Defpréaux fait de l ’Ariofte,
que le Roland furieux foit un modèle de Poème
Qr am m . e t L it t é r a t , Tome WM
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épiqüé, ni que le plaifant qu’on peut mêler au
fublime de l ’Épopée, le D u ic ë d’Horace’, foit
le joyeux badinage que le Poète italien s eft
permis :
Quel fciocco, che del fatto non s'accorfe,
Per la polve cercando iva la te f i a,
Virgile eft plein de grâces, & n’eft jamais plaifaat;'
Homère veut l ’être quelquefois , & c’eft alors qu il
n’eft plus. Homère.
Defpréaux finit par la Comédie ; & les préceptes
qu’il en donne font à peu près les mêmes qu’Horace
nous avoit tracés :
I l fau t que fes a&eurs b adinent nob lem en t ;
Q u e fon noe u d , b ien fo rm é , fe d énoue aiféfnent.
Il exclut de la Comédie les fùjets trilles, n’y admet
point de fcènes vides, & lui interdit les plaifan-
teries qui choquent le bon feus, ou qui bléfTent l’honnêteté.
Après avoir parcouru ainfi tous les genres de
Poéfie, il en revient aux qualités perfonnelles du
Poète , le génie & les bonnes moeurs. C’eft à propos
de l ’élévation d’âme & du noble défintérefTement
qu’exige le commerce des Mufes , que , remontant
à l ’origine de la Poéfie, il la fait voir pure &
fublime dans fa naiflance , & dégradée dans la fuite
par l ’avarice 8c. la vénalité. Tout ce morceau eft
habilement imité d’une idylle de S. Geniez, comme
tout ce qui regarde le.choix d’un Critiqué judicieux
8c févère eft imité d’Horace.
Voilà çe qui refte à peu près de la leéture de ces
trois excellents ouvrages.
Ariftote & Horace avoient vu l ’art dans la nature
; Defpréaux me femble ne l’avoir vu que dans
l’art même, & ne s’être appliqué qu’à bien dire
ce que l ’on favoit avant lui : mais i l i a dit le mieux
poflîble , & à ce mérite fe joint celui de l ’avoir apris
à un fiècle qui l ’ignoroit ; je parle de la multitude.
Quand le goût du Public a été formé, la plu-'
part des leçons de Defpréaux nous ont dû paroître
inutiles ; mais c’eft grâce à lui-même & à l’attrait
qu’i l leur a donné , que fes idées font aujourdhul
communes : elles ne l ’étoient pas du temps què
Sarafin difoit de Y Amour tyrannique de Scudéri ,
que , fi Ariftote- eût vécu alors , ce philofophe eue
réglé' une partie de fa Poétique fu r cette excellente
tragédie ; elles ne l ’étoient pas du temps
que Segrais écrivoit , On verra fe dans quarante
ans on lira les vers de Racine comme on Ut
ceux de Corneille . . . . le Poème de la Pucellè
a des endroits inimitables ; je r iy trouve autre
chofe à redire, fenon que M.ohfeeîirChapelain épuife
fe s matières , & n y laijfe rien à imaginer au
lecteur ,• elles ne l ’étoient pas lorfque S. Èvre-
mont , cet arbitre du g oû t, difoit à l ’abbé de
Chaulieu , Vom mettre au deJfus de Voiture Q.