
» & qui travaillent- plus de l ’imagination que de
» l’entende ment, y font les plus fenfibles ; quoi-
» que les derniers le foient au il! , niais d’une autre
» lorte. Ils font touchés des. beautés de l ’art &
» de ce qui part de l ’entendement : mais les pre-
« rniers , tels que font les enfants & les fimpics,
» le font feulement de ce qui frape leur imagi-
» nation & agite leurs paflions ; & ils aiment les
» fixions en elles-mêmes , fans aller plus loin. '
» Or les fixions n’étant que des narrations vraies
» en apparence & fauffes en effet , les efprits des
» fimples , qui ne voient que l ’écorce, fe contenir
tent de cette apparence de vérité , & s’y plaifent;
» mais ceux qui pénètrent plus avant & vont au
» folide, fe dégoûtent aifément de cette fauffeté :
» de forte que les premiers aiment la fauffeté,
» à caufe de la vérité apparente qui la cache ,
» & les derniers fe rebutent de cette image de
» vérité, à caufe de la fauffeté effective quelle
» cache , fi cette fauffeté rfeft d’ailleurs ingé-
» meute, myftérieufe , & inftruâive, & ne fe
» foutient par l ’excellence de l ’invention & de
» l’art. S. Auguftin dit en quelque endroit, que
» ces fauffetés, qui font fignificatives & envelo-
» opent un fens .caché ., ne font pas des menfonges ;
» mais des figures de la vérité , dont les plus lages
» fc les plus faints perfonnages , & notre Seigneur
» même , fe font fervis.
2. » Les meilleures chofes du monde onttou-
» jours quelques fuites fâcheufes : les Romans
» en peuvent avoir de pires que l ’ignorance. Je
» fais de quoi on les accufe : ils defsèchent la
» dévotion, ils infpirent des paflions déréglées,
» ils corrompent les moeurs. Tout cela peut ar-
» river & arrive quelquefois : mais de quoi les
» efprits mal faits ne peuvent-ils point faire un
» mauvais ufage ? Les âmes foibles s’empoifonnent
» elles-mêmes, & font du venin de tout. Il leur
» faut donc interdire l ’Hifloire , qui raporte tant
» de pernicieux exemples; & la Fable, où les
» crimes font autorifés par l ’exemple même des
» dieux . . . Si l ’on dit que l ’amour y eft traité
» d’une manière fi délicate & fi infinuante , que
» l ’amorce d’une fi dangereufe paflion entre aifé-
» ment dans de jeunes coeurs : je répondrai qu.e non
» feulement il n’eft pas périlleux , mais qu’il eft
» même en quelque forte néceÇaire , que les
» jeunes personnes du monde connoiffent cette.
» paflion , pour fermer les oreilles à celle qui eft
» criminelle & pouvoir fe déméler de fes artifices ,
» & pour favoir fe conduire dans celle qui eft
» honnête & fainte, Ce qu;i eft fi vrai , que l ’ex-
>? périence fait voir que celles qui connoiffent moins
» l ’amour en font les plus fufceptibles , & que
» les plus ignorantes font les plus dupes. Ajoutez
» à cela , que rien ne déroujlle tant l ’ efprit , ne
» Jfert tant à le façonner & à le rendre propre au
» monde , que la lecture des Romans : ce font
» des précepteurs muets, qui fuccèdent à ceux du
p .collège , & qui aprennent à parler 8c à vivre
» d’une méthode bien plus inftru&ive 8c bien plus
» perfuafive que la leur , & de laquelle on peut
» dire ce qu’Horace difoit de l ’Iliade ,d Homère ,
» qu’elle enfeignela Morale plus fortement & mieux
» que les phiiofophes les plus habiles ).
(iW. B e a u z é e . )
Roman de Chevalerie. 11 paroît que le règne
brillant de Charlemagne a été la fource de tous
les Romans de chevalerie , & de la chevalerie
elle-même, fans qu’on voye encore fous ce régné,
ainfi que dans les fiècles fuivants, la valeur des
chevaliers décider prefque feule du fort des combats;
mais on y remarque déjà des faits d’armes
particuliers.
Quoi qu’il en foit , le Roman de Turpin ,
archevêque de Rheims, ce Roman qu’on peut,
regarder comme le père de tous les- Romans de
chevalerie j n’a guère.été compofé , félon l’opinion
commune , que lur la fin du onzième fiècle, environ
250 après la mort de Charlemagne.
Gryphiander prétend qu’un moine , nommé Ro-
hert, eft auteur de cette chronique , & qu’elle fut
écrite pendant le concile de Clermont, affemblé
par Urbain I I , en l ’année io p f. Pierre l ’hermite
préchoit alors la première croifade ; & l ’objet du
Roman a conftamment été d’échauffer les efprits,
& de les animer à la guerre contre les Infidèles.
Le nom de Turpin eft fuppofé , & le moine eft
certainement un fort mauvais hiftorien.
La valeur de Charlemagne, fes hauts faits d’armes
égaux à ceux des chevaliers les plus renommés ,
la force & l ’intrépidité de fon neveu Roland ,
font bien marqués au coin, de la chevalerie qui
s’introduifît depuis fon règne. Durandal eft une
épée que tous les Romanciers ont eue en vûe dans
la fuite; elle coupe un rocher eh deux parts, &
fait cette grande opération entre les mains de Roland
affoibii par la perte de fon fan g. Ce héros
paourant fonne de fon cor d’ivoire, & fon dernier
foupir eft fi terrible , que le cor en eft brifé. Ces
prodiges de force, raportés fans néceflité, donnent
à entendre qu’ils étoient reçus dans le temps que
la chronique a été compofée, & que l ’auteur a
feulement voulu parler la langue de fon temps. ,
Il paroît, par la leélure de Turpin, que les
chevaliers n’étoient connus ni de nom ni d’effet,
avant le règne île Charlemagne , ni même durant
fon règne; ce: que prouve encore le filence des
hiftoriens contemporains de ce prince, ou qui ont
écrit peu après fa mort. Ainfi, c’eft dans l ’intervalle
de la vie de ce grand roi & de celle du
prétendu Turpin , qu’il faut placer les premières
idées de la chevalerie 8c de tous les Romans qu’elle
a fait co mpo fer, :
La chevalerie paroît encore avoir tiré fon luftre
de l ’abus des légendes ; le carattère de l’efprit humain
, avide,du merveilleux, en a augmenté la çonfi-
dération ; & les rois Font autorise, en foumettant*
à
-i quelques efpèces de form es , d’ufages , & de
lo is , des nobles q u i, enivrés de leu r p ropre
valeu r, étoient portes à s’ériger en tyrans de leurs
propres vaCTaux,
•On 11e n égligea rien , dans ces prem iers tem ps ,
de ce qui pouvoit in fp irer, à ces hommes féro ces,
l ’honneur , la juftice , la défenfe de la veuve 8c de
l ’o rp h elin , enfin l ’am our des dames. L a réunion
de tous ces points a produit fucceflivement des,
ufages & des lo i.s, qu i fervirent de frein à ces
hom m es qui n’en avoient aucun, & que le u r indépendance
, jointe à la p lu s grande ignorance , ren-
doit fort à craindre.. •
Les idées & les ouvrages romanefques payèrent
de France en Angleterre. Geoffroi de Monmouth
paroît être l ’original du Brut.
• L e Roman de Sang real, com pofé p ar R obert
de Broon , eft p lu s chargé d’am our & de galanterie
que les précédents les idées romanefqa.es
gagnèrent de plus en plus. C ’eft ce Roman qui
donna lieu aux principales aventures de la C our
du roi A rtus. Ces mêmes ouvrages, fe m u ltip liè r
e n t, & devinrent en grande vogue fous le règne
de P h ilipp e le B e l, né en 1268 & m ort en 1314.
D ep u is ce tem ps-là ont paru tous nos autres Romans
de .chevalerie, com m e Amadis de Gaule,
Pal aie rin d’Olive, Palmerin d’Angleterre, 8c tant
d ’autres jufqu’au tem ps de M ig u el Cervantès Saave-
d ra , efpagnol.
I l avoit* été fecrétaire du duc d’A lbe ; & s’étant
retiré à Madrid , il y fut traité fans confîdération
par le duc de L erm e , prem ier.m iniftre de P h ilip
p e I I I ,,r o i d’Efpagne. A lors C erv an tès, pour
fe venger de ce m in iftre, qui m éprifoit les gens
de L ettres & qui tranchoit du héros chevalier,
com pofa le Roman de Dom Quichotte, ouvrage
adm irab le, & fatire très-fine de to u te la N oblefîe
efp a g n o le , qui éto it alors entétée de chevalerie..
I l publia, la prem ière partie de ce Roman ingénieux
en 1Û05, la fécondé en 1615 , & m ourut fo rt pauvre
vers l’an 1620 : mais fa réputation ne m ourra jam
ais.
L ’aboliffem ent des to u rn o is, . les guerres civiles
& étran g ères, la défenfe des combats finguliers ,
l ’extinétion d e .la m a g ie , du fo rt, & des enchantem
ents , le jufte"mépris des lé g e n d e s e n un m o t,
une nouvelle face que p rit la France & l ’E urope
fous le règne de L ouis X IV , changea la bravoure
8c la g alanterie romanefque _en une g alanterie plus
fp iritu elle .& une bravoure p lu s tranquile.. O n; en
vint à ne plus goûter les faits inim itables d’A m a-
dis j-
Tant de châteaux forcés, de géants p o u r f e n d u s ,
D e chevaliers occis , d'enchanteurs confondus . . ».
O n fé livra aux charmes des .defcriptions propres
a infpirer la volupté de l ’am our; à ces mouvements
peureux & p aifibles, autrefois dépeints dans les
GrAMM. ET h lTTÉR A T. Tom I I P
Romans grecs du moyen âge ; aux douceurs d’aimer
ou d’être aimé ; en un mot à tous ces tendres fenti-,
ments qui font décrits dans Y Aflrée de d’Urfé,
Où , dans un doux repos ,
L ’Amour occupe feul les plus charmants héros.
( Le chevalier DE J A U C O U R T . )
ROMANCE, f. f. Littérature. Vieille hifto-î
riette écrite en vers fimples, faciles , & naturels.
La naïveté eft le caractère principal de la Romance. Ce Poème fe chante ; & la Mufique françoife ,
lourde & niaife, eft , ce me femble , très-propre
à la Romance. La Romance eft divifée par fiances.
Moncrif en a compofé un grand nombre : elles
font toutes d’un goût exquis; & cette feule portion
de fes ouvrages fu ffiro it pour lui faire une réputation
bien méritée. Tout le monde fait par coeur la
Romance S A lis 8c A le x is : on trouvera , dans cette
pièce, des modèles de prefque toutes fortes de
beautés ; par .exemple, de récit :
Confeiller & notaire
Arrivent tous 3 .
Le curé fait fon miniftère 4
Iis font époux, j
de defcriptioa :
En, lui toutes fleurs de jëuneïle
Apparoifloient ; ; '
■ Mais longue barbe, air de trifteffe,
Les terniflbient :
Si de jeuneffe on doit attendre
Beau coloris,
Pâleur ^ui manque une âme tendre
A bien f o n prix.
de délicaleffe & de vérité :
Pour chaflèr de la fouvenance
L'ami fecret,
On reffent bien de la fouffrance
Pour peu d’effet :
Une fl douce fantaifie
Toujours revient 3
En fongeant qu'il faut qu’on l’oublie,
On s’en fouvient.
de poéfîe , de peinture, de force, de pathétique r
8c de rhythme :
Depuis cet aGte de fa rage,
Tout effrayé ;
Dès qu’ il fait nuit, il voit l’image
De fa moitié,
Q u i, du doigt montrant la bleflure
D e -fon beau fein,
Appelle avec un long murmure
Son aflaflïn,
X i