Ce font ces traits de caractère qui fefoieiit dire
à la célèbre Clairon, qu'elle ne regrettoit rien
tant que de ne pouvoir pas jouer le rôle de Nico-
mède.
A 1 egard de l’Ironie en éloge , elle eft incompatible^
avec le ftyle férieux & noble : au moins
n en fais-je autun exemple, & ne vois-je aucune,
façon de les concilier enfemble. Mais dans le ftyle '
familier, elle peut avoir de la grâce , fi, dans le
tour de plaifanterie qu’on donne à la louange , on
lait éviter la fadeur. C’eft ce’qu’a fait Voiture , dans
une lettre au duc d’Enghien, fur la bataille de
Rocroi.
« Monfeigneur, lui dit-il, à cette heure que
» je fuis loin de V . A. , &. qu’elle , ne me peut
» pas faire de charge , je fuis réfolu de lui dire
» tout ce que je penfe d’elle i l y a long temps ,
» & que je navois ôfé lui déclarer . . . . O u i,
» Monfeigneur, vous en faites trop pour lé pou-
» voir fouffrir en filence ; & vous feriez injufte ,
» fi vous penfiez faire les a étions que vous faites,
» fans qu il en fut autre choie ni que" l ’on prît
» la liberté de vous en parler. Si vous laviez de
» quelle forte tout le monde eft déchaîné dans
» Paris à difeourir de vous, je fuis affûté que
» vous en auriez honte , & que vous ferie‘2"étohné
» de voir avec combien peu de refpeét Sc peu de
» crainte de vous déplaire , tout le monde s’en-
» tretient de ce que vous avez fait. A dire la vé-
» r ité , Monfeigneur, je ne fais à quoi vous avez
» penfé ; & ç’a été , fans] mentir, trop de har-
»> .dieffe & une extrême violence à vous, d’avoir à
» vôtre âge choqué deux ou trois vieux capitaines,
» que vous deviez refpeéler, quand ce n’ eut été
» que pour leur ancienneté ; fait tuer le pauvre
» comte de Fontaines, qui étoit un des meilleurs
» hommes de Flandres,•& à qui le prince d’O-
» range n’avoit jamais ôfé toucher ; pris feize
» pièces de canon, qui appartenoient â un prince
» qui eft oncle du roi & frère de la reine , avec
» qui vous n’aviez jamais eu de différend; & mis
» en défordre les meilleures troupes des efpagnols
■ » qui vous avoient 1-aiffé. palier avec tant de
» bonté » !
Cette efpèce d’Ironie , agréable & flatteufe ,
s’appeloit Afléifitne chez les Anciens.' On peut
l ’employer une fois en>fa vie ; mais pour peu que le
tour en loit fréquent, il eft ufé.( M> M a r TOTTELj
M A D
M ADRIGAL, f. m. C’eft dans la Poéfie
moderne, italienne, efpagnole", françoife, une
petite pièce ingénieufe & galante , écrite en vers
libres : elle ^fe borne quelquefois à un fimple dif-
tique ; elle s etend fouvent jufqu’â rement va-t-elle au delà. douze vers ; raD’où
vient le mot de Madrigal ? Ce feroit ici
uny belle occâfion d’étaler une érudition également
vaine & faftidieufe : laiffons a Ménage cette doéte
difeuffion, & bornons-nous à ce qui çaraétérife la pâture de ce petit poème.
L e Madrigal, approche de l ’Épi gramme ( voye%
E|p i g R a m m e) ; cependant la chute en eft moins
Paillante ; elle furprend moins , & fàtisfait davantage.
« L ’Epigramme, dit l ’abbé Batteux (Cours
de Belles-Lettres y I I e P art. j v . feét. art. 3j$
n°. i i j ) , » peut être douce , p olie , modefte ,
» maligne, &6* ; pourvu qu’elle fôit vive , c’eft
» allez. Le Madrigal, au contraire , aune pointe
» toujours douce , gracieufe , qui n’a de piquant
» que ce qu’il lui en faut pour n?être pas fade. Sa
» naïveté eft plus tôt dans le tour même que dans
» la penfée ^laquelle a toujours une certaine fleur
» defprit. En voici un qu’on cite ordinairement
» pour exemple, & qui peut fervir de modèle;
» i l eft de Pradon, de ce poète f i fouvent 6p-
» primé des fifflets du Parterre • c’eft une réponfè
M A D
» à quelqu’un qui lui a voit écrit avec beaucoup
» d’efprit.
« Vous n’écrivez que pour écrire
n C’eft pour vous un. amufement ;
» Moi , qui vousaime tendrement,
» Je n’écris que pour vous le direi
» Il y a de l’efprit dans c e Madrigal ; mais il
» n’y en a qu’àutant'qu’il en faut pour affaifonner
» le fentiment : lé tour eft délicat , il eft fimple,
» il eft doux. C’eft tout ce qu’ôn peut fôuhaiter
» dans un Madrigal bien fait ».
La Poéfie a de tout- temps été le langage de
la Galanterie. Les vers d’Anacréon & de Sapho
n’ont point d’autre objet : on fait qu’Ovide, Ti-
bulle ,& Catulle7 ont écrit les chofes les plus paf-
fionnées ; en forte que la plupart de leurs peniées,
prifes féparément, formeroi'ent des Madrigauoç.
Rien , par exemple , n’eft plus tendre ni plus de* licatement exprimé, que cette Épigramme de
Catulle , qui n’a pas reçu le nom de Madrigal 9
parce que ce nom étoit ignoré des Anciens :
Odi & amo : quare idfaciam fortage requins ? '
N e f cio; Jed fieri fentio, Gr excrucior,
Quoi qu’on penfe affez communément du Madrigal
M É «
ir ig a l, & quelque poids qu’ait donné à l ’opinion
commune ce jugement de Defpréaux , le légiflateur
du Parnaffe ( A r t poét. Ch. II ) ;
le M a d r ig al, plus fimple & plus noble en fon tour , '
Relpire la douceur, la tendrefle , & l’amour r
je crois pourtant que quelques auteurs ont judicieusement
remarqué, que le Madrigal peut fe
faifir d’un fujet raifennabie , gracieux , ou noble ,
d’une penfée obligeante,, ou d’une louange délicate.
C ’eft d’après l ’opinion commune fur la nature
du M a dr ig a l, que Diderot, dans fon Difcours
De la Poéfie dramatique, a rifqué l’adjéâ:jf Ma-
drigalifié, pour dire Imitant le Madrigal, Tourné
en Madrigal9 Monté au ton doucereux de, la ten-
dreffe ou au ton affeété d’une délicateffe ingénieufe.
Ce mot, énergique en foi 8c tout à fait dans l’analogie
de notre, langue , pourroit même amener le
verbe Madrigalifier dans le même fens. Mais,
pour en mieux juger, voyons l ’effet qu’il produit
dans le paflage dont i l s’agit.
« Il y a peu de galanterie dans ces moeurs ( deYAn-
drienne Sc de YEautontimoruménos de Térehce) ;
» mais elles font bien d’une autre énergie que
» les 'nôtres, & d’une autre reffource pour le
» poète : c’eft la nature abandonnée à fes mouve-
» ments effrénés. Nos petits propos madrigalifies
» auroient bonne grâce dans la bouche d’un .Clinia
» ou'd’un Chéréa ! Que nos rôles d’amants font
» froids » ! .( M. B e a ù z ê e . )
MÉMOIRES, f. m. pl. Si chacun écriveit ce
qu’il a vu , ce qu’il a fait, ce qui lui eft arrivé
de curieux, & .dont le fouvenir mérite d’étre cpn-
fervé ; il n?èft perfonne q.ui ne pût laiffer quelques
lignés intéréffantes. Mais combien peu de
gens ont droit de faire un livre de leurs Mémoires?
Ce . n’eft- pas que , fi nous voulions en croire''
notre vanité , les chofes même les plus communés
fié nous paruffent mémorable? , dès qu’elles nous
feroient perfonne lies : mais c’eft la première illii—
fion dont il faut favbir fe préferver, en écrivant ou
en parlant de foi.
Il n’y a que des traits de cara&ère piquants &
rares , . dès-fitüations-, des aventures d’une fingu-
larite marquée ou d’une moralité frapante , qui
puiffent mériter; la peine qu’on fe donne, de raconter
férieufement ce qu’on a fait ou ce qu’on
a été.
L ’un des plus miférables travers 8C des plus
indignes manèges de l ’amOur-propre , c’eft d’af-
fe<fter, en parlant de-foi, une fincérité cynique ,
& de mettre une forte d’oftentation & d’honneur
â révéler fa propre honte > foit pour faire'dire
qu On a ôfé ce que nul autfe n’avoit ôfé encore ;
foit pour accréditer , par quelques aveux-humi-
G r a m m . e t L i t t é r a t . TomeIII,
liants, les éloges qu’on fe réferve & par lef-
qaels on fe dédommage ; foit pour1 s’autorifer à
dire impudemment d’autrui encore plus de mal
que de foi-même. Obfervez attentivement celui
qui emploie cet artifice : vous verrez que, dans
fes principes , il attache peu d’importance à ces
fautes dont il s’accufe ,- qu’il les fait dériver d’un
fond de eara&ère dont il fe glorifie ; qu’il les
attribue à des qualités dont il fe pique & dont il
s’applaudit; qu’en lès avouant, il les environne,
de cil-confiances qui les colorent ; qu’il les rejette
fur un âge , ou fur quelque fituation qui follicite
l’indulgence ; qu’il fe garde bien de confeffer' de
même des torts plus graves ou des vices plus
odieux; qu’en feignapt de s’arracher le voile, il
ne fait que le foule ver adroitement & par un
coin ; qu’après avoir exercé fur lui - même une
févérité hypocrite , il en prend droit de ne rien
ménager, ,de révéler , de publier léy confidences
les plus intimes, de trahir les fecrets les plus
inviolables,.de l’amou< & de l’amitié, d.e percer
même fes bienfaiteurs des. traits de la fatire 6c de la calomnié ; 8c que le réfultat de fes aveux'
fera, qu’il eft encore ce qu’il y a -de meilleur
au monde. Il n’y a point de fûccès plus affûré
que celui d’un pareil ouvrage : mais il ne laiffera
pas d’être une tache ineffaçable pour fon auteur ;
& il faut efpérer que ce moyen d’amufer la malice
humaine , ne fera jamais employé deux
fois.
Il en eft un moins-odieüx d’égayer .le tableau
d’une vie o rd in a i r e s ç ’ e f t celui qu’Hamilton a
pris dans les Mémoires de Grammont. Mais ,
s’il m’eft permis de le d i r e -, plus le badinage ea
eft léger & féduifant , 'p l u s il eft immoral. Il ne
falloit pas m o in s que le m in i f t è r e de Mazarin
pour mettre l’efcroquerie à la mode; & l ’ o n a
peine â concevoir que fous le règne de Louis XIV,
qui fut celui des bienféances & du point d’honneur
le plus délicat , H am i ! to n ait eu l’art de
faire paffer ,comme dés gentilleffes les friponneries
de fon héros. Le fu c ç è s . d e ce livre fut uii
avis pour les gens, du bel air , qu’ils : feroient.dif-
penfés d’avoir des moeurs , s’ils avoient de l’audace
& d e la bravoure , de l’efprit 8c de l’enjoûment ; &
rien n’é.toit plus dangereux.
Les Mémoires de madame de Staal font d’un
cara&ère 'plus eftimable , mais moins léger, moins
naturel, &, moins piquant. La plume d’Hamilton
fe joue ,* celle de madame de Staal s’étudie : fes
récits ont de l’agrément, mais cet agrément a
de.la manière ; on voit qu’elle .a vécu dans une
Cour où, fans ceffe & à toute force , il falloit avoir
de l’efprit.
Du ‘refle, ni les Mémoires du comte de Gram-
mont, ni ceux de madame de Staal, n’ont l’intérêt
qif ils pouvoient avoir , liés comme ils
l’étoient ‘avec les eirconftances' des temps auxquels
ils appartiennent ; & en les lifant, on regrette