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eft l ’un des plus plaifants , parce qu'il donne
lieu à une infinité de difparates imprévues. Voilà ,
dit le Diftrait de la Bruyère, la feule pantoufle
que jUiye fu r moi , eh tirant de fa poche celle
qu’il avoit prife , comme s’il eût parlé de fon
mouchoir : rien de plus imprévu,_ & auffi rien de
plus plaifant.
Nous avons connu un homme célèbre dans ce
genre,. & pourtant reconnu pour un homme d’ef-
p r it, & d’un efprit fi éclairé , que bien des gens
ne pouvoient croire que ces abi'ences lui fuÎFent
naturelles. C’eft lui qui, dans une promenade qu’il
faifoit avec fes amis dans les environs de Florence ,
fe trouvant fur le foir à quatre milles de la ville ,
foutenoit qu’ils y arriveroient avant la nuit : Car,
d ifo it-il, au bout du compte, nous fommes quatre,
ce n ejl qu’un mille pour chacun. C’eft lui qui ,
dans un hiver ou le froid étoit à Paris d’une âpreté
extraordinaire , difoit à l’ambafladeur de Ruflie,
JVIonfieur VAmBajfadeur, ave^-vous des nouvelles
de Peterfboutg ? qu’y dit-on de ce froid ? C ’eft,
dans un abfence d’efprit de cette efpèce qu’un
homme difoit ; J’ai jure' de ne jamais entrer dans
Veau que je n’aye appris à nager. C ’eft aufli la
feule manière de trouver naturelle cette réflexion
d’un courtifan de Louis X IV , fur ce que Racine
s’étoit fait enterrer à Port - R o y a l, I l n auroit j a mais
fa it cela de fon yivant. Ainfi, pour un moment
, la diftra&ion , dans un homme d’efprit ,
eft l ’équivalent de la bétife. La vanité en tient
lieu auffi , mais d’une autre manière , en attachant
une importance , ou exceffive où exclufive ,
à ce qui l ’intéreffe. C’eft une terrible chofe que
la pefle, difoit un homme préoccupé de fa noblefle,
la vie d’un gentilhomme n eft pas en fureté. Eh
qui fe croira exempt de dire une fottife dans
1 etourdiffement de la vanité , puifque Madame de
Sévigné a été prife fur le fait ?. :
Pins la fottife eft à la fois réfléchie & groffière ,
plus elle nous amufe aux dépens de celui à qui
elle échappe. Qui nè riroit de la réflexion de ce
bon fuiffe qui , en voyant fur la pouffière fon camarade
qui venoit d’avoir la tête emportée par
un boulet de cahon, difoit triftement : Le pauvre
diable fera bien furpris demain de fe trouver
fans tête. Mais ce qui n’eft pas concevable, & ce
que toute la gravité d’un hiftorien fage peut à
peine perfuader, ç’eft que la même bétife ait été
dite dans une harangue méditée. Ce fut un chevalier
Plager q u i, félicitant la ville de Londres fur les
précautions qu’elle avoit prifes contre la fameufe
cônfpiration des poudres , dit gravement que fans
cette vigilance des magiftrats, les citoyens auraient
couru rifque de fe trouver tous égorgés
le lendemain , à leur reveil. Paffe encore pour le
foldat fuiffe ; mais l ’orateur du peuple anglois ! Il
faut que Hume nous l’affure ; & encore eft-on 'Tenté
de croire que c’eft un conte fait à plaifir. ( M . Ma r -
fllQtiTEL.)
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P L A I S A N T E R I E , f. f. A n s de la. Parole.
Le mot Plaifanter ne fignifie autre chofe dans
fon acception originelle , qu’Exciter à la joie quand
on n’en a pas de fujet décidé. Ce ne font pas
ceux qui s’amufent d’une aventure rifible qui plai-
fa n ten t, mais ceux qui , fur quelque choie de
férieux ou d’indifférent , réveillent la gaîté & la
joie par quelque idée divertiffante Quoique nous
n’ayons à confidérer ici la Plaifanterie que par
raport aux Beaux-Arts, il nous paroît néceffaire
cependant d’en examiner en particulier les caufes
& les effets. On peut avoir deux fortes principales
de motifs ou d’occafîons de plaifanter :
on plaifante Amplement pour exciter la joie en
foi - même ou dans les autres, ou pour produire
un effet particulier & plus déterminé ; dans les
deux cas , la Plaifanterie peut être fort importante.
Dans les affaires férieufes ou dans un travail
pénible , fouvent une Plaifanterie délicate , jetée
à propos & en paffant , ranime , diffipe l ’ennui
que pourroit caufer une trop grande attention, &
nous empêche de fentir la laffitude j c’eft ainfi
qu’une récréation bien choifie peut donner une
nouvelle activité & des forces nouvelles à un e f prit
enfoncé dans le travail. Voilà un des deux
motifs de la Plaifanterie.
Mais quelquefois on veut s’en fervir comme,
d’un détour pour parvenir à de certaines vues ;
& alors on l ’emploie particulièrement pour donner
du ridicule aux perfonnes & aux chofes, ou pour
arriver fûrement à un but important , qu’on ne
pourroit pas atteindre auffi facilement, ou que peut-
être on n’atteindroit point du tout. La Plaifamterie,
dans ce cas , peut encore être de grande confé-
quence. Fort fouvent une Plaifanterie placée à
propos eft le moyen le plus- sûr de rendre inutiles
les difficultés qu’un chicaneur ou qu’un fo-
phifte-nous oppofe ; elle rend fi petite la per-
tonne qui contredit nos vues ou la difficulté qu’on
nous préfente, qu’on n’y fait aucune attention.
Socrate Sc Cicéron fe font fouvent fervis ;de ce
moyen avec le plus grand fuccès. Quelquefois un
fimple badinage peut être très-propre a détruire
de grands & nuifibles préjugés qui fe gliffent
dans la ‘fociété, & qui ont leur lource dans les
moeurs des hommes.
Dans les Beaux-Arts on fait deux ufages de la
Plaifanterie ; car ou l’on s’en fert en paffant dans un
ouvrage ferieux , ou l ’on fait des piècès qui font
plaifantes d’un bout à l ’autre. Mais avant de con-
fidérer l ’ufage de la • bonne Plaifànterit , examinons
en les propriétés & les effets.
La Plaifanterie , confidérée dans fa nature ,
confifte à dire ou à faire quelque chofe de plaifant.
pour réjouir les autres. Lorfqu’un vieillard
parle d’amour à une jeune beauté ,’ fans intérêt
perfonnèl, mais pour la divertir , il plaifante ;
car s’il le fefoit férieufentent , on pourroit dire
qu’i l eft fou,; -
CJeft en plaifautant qu’Anacréon fe repréfente
lui - même, tourmenté par l ’Amour, & peint, fon
coeur comme un nid rempli de petits Amours.
Mais un jeune homme qui fcroit véritablement
amoureux, & qui peindro.it fon tendre martyre
d’une manière rifible , ne plaifanteroit pas, quoiqu’il
fît -rire à fe.s dépens, Une même chofe peut
être férieufe ou,, badine , félon le but qu’on fe
propofe. Celui qui dit quelque chofe dé niais ou
de ridicule, & qui croit dire quelque chofe de
fenfé , parle férieufement ; & la même chofe dite
dans l ’intention, d’amufer les autres , devient une
Plaifanterie
I l paroît donc que la différence qu’il y a entre,
le Ridicule & le P la ifa n t, ne confifte pas effen-
ciellement dans -le fond de la chofe , mais dans
l ’intention de celui de qui elle vient.
Nous avons remarqué qu’on peut avoir deux
fortes; de vûes en pîaifautant ; on peut les avoir
en même temps , mais, nous les examinerons fé-
parément. Les beaux - efprits , tant anciens que
modernes, ont bien fenti le mérite de la P la i fanterie
, fimple effet de la gaîté quand on s’en
aquite d’une manière convenable, comme je le dirai
enfuite. En cela , auffi bien qu’en plufieùrs autres
chofes , je penfe. comme Cicéron , qui égayoit
fouvent un ouvrage férieux par . quelque P la i fanterie
agréable , mais toujours tendant à fon but.
« Nous ne devons jamais , dit - il (I. O ffic. xxjx.
» 103), agir légèrement , au haiard.^inconfidé-
» rément, & négligemment ; car la nature- nous
» a formés en forte que nous femblons faits, non
» -pour lés jeux & pour le badinage , mais pour
»•- les chofes iérieufes & pour les occupations graves
» & importantes : il nous „eft permis de faire
» ufage des jeux & du badinage, mais comme du
» fommeil & du repos , après nous être aquités
» des fondions graves & férieufes ». En effet, un
âme g a ie , portée , après un travail férieux , à
s’occuper des, chofes amufantes & à les confidérer
du côté le plus agréable , n’eft pas une
petite faveur du Ciel. Un homme gai fe tire
mieux des difficultés de la vie , qu’un homme
grave & mélancolique ; il a encoie cet avantage
-qu’il n’eft jamais abfolument méchant : il eft in-
conteftable qu’on voit beaucoup plus de mauvais
fujets férieux que de gais.
Ceux à qui la nature n’a donné au’un* foible
penchant à la gaîté, peuvent l ’augmenter & l ’entretenir
par des ouvrages comiques j ouvrages qui
font capables de produire un grand effet- fur les
perfonnes naturellement férieufes ., ou qui ont
perdu leur gaîté par une trop grande application
a des affaires importantes. Qui ignore combien
ont d’influence fur les moeurs les tables où rèone
la gaîté d’un badinage délicat ? Non feulement on
y fatisfait un befoin qui nous eft commun avec
les brutes , mais'on y trouve encore un plaifir
. falutaire à 'l’efprit & au coeur. Cette gaîté eft
propre à perfectionner les Beaux - Arts & à réveiller
vivement le goût de l ’Honnêfe : & comme
la Mufique étoit devenue un befoin national chez
- les anciens arcadiens, pour adoucir la dureté de leur
caractère ; de même des ouvrages comiques, marqués
au coin des Mu fes êc-des Grâces , pourraient rendre
de très - grands fervices à une nation d’un caractère
bouillant & trop grave : car la Plaifanterie eft
én bon moyen pour peindre au naturel le caractère
d’un homme ou d’un peuple. Si ces ouvrages
ne fervoient qu’à nous amufer quelque»
inftants , s’ils n’étoient que ce qu’Horace appelle
laborum dulce le n im e n ne duflent-iis enfin être
employés que comme un calmant propre à apparier
une douleur légère j iis ne huileraient pas
de mériter notre eftime.
Grâces foient donc rendues à ces têtes joviales,
dont l ’efprit badin foulage le nôtre , abrège nos
heures fâcheufes. , & nous fournit des remèdes qui
nous retirent de l ’accablement, de la peine , ou
du chagrin. Autant le philofophe méprife celui qui
cherche avec avidité les voluptueufes & bruyantes
orgies des faunes & des bacchantes, qui voudroit
voir toutes les eaux de la terre changées en v in,
& tous les lieux qu’i l parcourt transformés en
bofquets de Vénus j autant i l eftime les ris mo-
deftes qui l ’attirent, quoique dans un bocage dé-
fert, fur les traces des Naïades folâtres.
I l eft bon de remarquer que le véritable talent
de plaifanter eft rarement le partage des efprits légers,
dont la gaîté fait-le caractère dominant. Les
meilleurs Plaifants font ceux qui, par leur caractère
grave & réfléchi, font-portés à des occupations
importantes. Le fobre Cicéron , propre aux
affaires du plus grands poids, pouvoit avec raifort
fe moquer de l ’incapable Antoine, qui avoit paffé
la vie dans la débauche & avec, des libertins. En
' effet, cela fe rencontre encore, tous les jours , &
iL femble que la nature veuille montrer par là
que la vraie Plaifanterie & la gravité ont beaucoup
-d’affinité ; mais la raillerie,qui a pour but de tourner
la folie en ridicule & de décrier le vice , eft
d’une double importance. Un habile juge des Beaux-
Arts remarque que la Plaifanterie a une force
' invincible fur les efprits. La folie fera- immanquablement
couverte "3 e honte dans les lieux où
la bonne Plaifanterie la tournera en ridicule ;
ce feul moyen ne fufîira pas pour guérir Fin fenfé-,
mais il préfervera dm moins de la contagion celui
qui- n’en eft pas encore infeélé ; e’eft l ’effet que
peuvent produire en peu de temps les ouvrages
comiqués.
Il Faudroît à préfent déterminer le vrai genre
& l ’efprit de la Plaifanterie convenable aux Beaux-
Arts : mais nous dirons, comme Cicéron , Cujas
utinam artem aliquam haberemus ! Un allemand
a voulu enfeigner l ’art de plaifanter, mais il faut
bien fe garder de croire qu’il nous l ’ait appris.
Il y;a deux fortes de Plaifanteries , dit Cicéron ,
qui. traite fort bien la chofe dans fon excellent
ouvrage fur les devoirs de l ’homme j l ’une ignoble,