
<f o 4 T R À
» Dans ünè nation où Ton parle une même langue
( Buffier , iios. 30 , 3 1 ) , & où il y a néanmoins
» plu fieu rs États, comme feroient ITtàlie & l ’A lle-
» magne ; chaque État peut prétendre a faire| aufli
» bien qu’un autre État , ..la règle du bon Ufage.
» Cependant il y en a certains auxquels un con-
» fentement au moins tacite de tous les autres
» femble donner la préférence ; & ceux-là d’ordi-
» naire ont quelque fupériorké fur les autres.
» Ainfi , l ’italien qui fe parle à la Cour du pape ,
»«femble d’un meilleur Ufage que celui qui fè
» parle dans le refte de l ’Italie [ à caufe de la
prééminence de l ’autorité fpirituelie, qui fait de
Rome comme la capitale de la République chrétienne
, & qui fert même à augmenter l ’autorité
temporelle du pape ]. » Cependant la Cour du
» grand duc de T ofcane paroît balancer fur ce
». point la Cour de Rome ; parce que les tofcàns
» ayant fait diverfes réflexions & divers ouvrages
» fur la langue italienne, & en particulier un
» Di&ionnaire qui a eii un grand cours [ celui de
» l ’Académie de la Crufca ] , ils fe font aquis par là
» une réputation , que les autres contrées d’Italie
» ont reepnnue bien fondée , excepté néanmoins fur
» la prononciation : car la mode d’Italie n’autorife
» point autant la prononciation tofcane que la pro-
» nonciation romaine ».
Ceci prouve de plus en plus combien eft grande
fur l’ Ufage des langues l’autorité des gens de
Lettres diftingués ; c’eft moins à caufe de la fou-
veraineté de la Tofcane , qu’à caufe dè l ’habileté
reconnue des, tofcans , que leur diale&e eft
parvenu au point de balancer le diale6te romain :
& i l l’emporte en effet en ce qui concerne le
choix & la propriété des termes, les Conftruétions,
les idiotxfmes , les tropes, & tout ce qui peut être
perfectionné par une raifon éclairée ; au lieu que
la Cour de Rome l ’emporte à l ’égard de la prononciation
j parce que c’eft lurtout une affaire d’agré-
meut, & qu’il eft indifpenfable de plaire à la Cour
pour y réiiflir.
Il fort de là même une autre conféquence très-
importante ; c’eft que les gens de„ Lettres les plus
autorités par le fuccès de leurs ouvrages, doivent
furtout être en garde contre les furprifes d’un néô-
logifme abfurde ou d’unnéographifme déraifonnable,
ui font les ennemis les plus dangereux du bon Ufage ;
e la langue nationale : c’eft aux habiles écrivains
a maintenir la pureté du langage , qui a été l’inf-
trument de leur gloire ,& dont l’altération peut les
faire infenfiblement rentrer dans l’oubli. Voye\ NÉo-
i o g i q ü e , N é o l o g i s m e , 6 N é o g r a p h i s m e .
Par raport aux langues mortes , Y Ufage ne peut
plus s’en fixer que par les livres qui nous reftent
du fîècle auquel on' s’attache; & pour décider le
fiècle du meilleur U fa g e , i l faut donner la préférence
à celui qui a donné naiffance aux auteurs
reconnus pour les plus diftingués , tant par les nationaux
que par les fuffrages unanimes de la Pof-
tçrité. C?eft a çes titres que l’on regarde comme
U S A
lé plus beau fiècle de la langue latine, le fîècle
d’Augufie, illuftré par les Cicéron, les Céfar., les
Saliufte , les Népos , lesTite-Live , les Lucrèce,
les Horace , les V irg ile , &c.
Dans les langues vivantes , le bon Ufage eft douteux
ou déclaré.
U Ufage eft douteux, quand on ignore quelle eft
ou doit être la pratique de ceux dont l ’autorité, en
ce cas, feroit prépondérante.
U Ufage eft déclaré, quand on connoît avec évidence
la pratique de ceux dont l ’autorité , en ce cas,,
doit être prépondérante. -
I. UU fa gT ayant & devant avoir une égale influence
fur la manière de parler & fur celle d’écrire,
précifément par les mêmes raifons; de là viennent
plufieurs çaufes qui peuvent le rendre douteux.
i° . » fLorfque la prononciation d’un mot eft
» douteufe , & qu’ainfîT’on ne fait comment on
» le doit prononcer . . . il faut de néceflite que
» la façon dont il fe doit écrire le foit aufli.
i° . » La fécondé caufe du doute de VUfage, c’eft
» la rareté de Y Ufage. Par exemple , il y a de
>>i certains mots dont on ufe rarement ; & à caufe
h de cela, onn’eft pas bien éclairci de leur genre,
» s’il eftmafculin ou féminin ; de forte que , comme
» on ne fait pas bien de quelle façon on les li t ,
» on ne fait pas bien aufli de quelle façon il les
» faut écrire: comme tous ces.no ms , épi gramme,
» épitaphe , épithète, epuhatame, anagramme,
» & quantité d’autres de cette nature , furtout ceux
» qui commencent par une voyelle , comme ceux-
» ci ; parce que la voyelle de l ’article qui va
» devant fe mange & ôte la connoiflance du genre
» mafculin ou féminin : car quand on prononce
» ou qu’on écrit Y épigramme ou une épigramme
[qui fe prononce comme un épigramme] ,» ï ’orêille
» ne fauroit juger du genre Rem. de Vaugelas,
P r é f. art. IV , n ° .z .
Si le doute pù l ’on eft fur l ’ Ufage procède de
la p-rononciation qui eft équivoque, il faut confulter
l ’orthographe des bons auteurs, q u i, par leur manière
d’ écrire, indiqueront celle dont on doit prononcer.
Si ce moyen de confulter manque à caufe dej la
rareté des témoignages , ou même à caufe de celle
de Y Ufage; i l faut recourir alors à l ’Analogie
pour décider le cas douteux par comparaifon : car
Y Analogie n’elt autre chofe que l ’ extenfion de
Y Ufage à tous les cas femblables à ceux qu’il» a
décidé par le fait. Ou dit, par exemple, Je vous
prends tous A PARTIE, & non à parties : donc
par Analogie i l faut dire , Je vous prends tous
A TÉMOIN, & non à témoins , parce que témoin
, dans ce fécond exemple, eft un nom abf-
traétif;, comme partie dans le premier ; & la preuve
qu’il eft abftraétif quelquefois & équivalent à te'*
moignage , c’eft que l ’on dit , En témoin de quoi
f a i fign é , & c ; c’eft à dire, en témoignage de
quoi , ou , comme on dit encore, en fo i de quoi >
Stc. . t
U
U S A
La même Analogie, qui doit éclairer l’ Ufage
dans les cas douteux , doit le maintenir aufli contre
les entreprifes du néographifme. On écrit, par
exemple , temporel, temporifer, ou la lettre p eft
néceflaire ; c’eft une raifon. prefîante pour la con-
ferver dans le mot temps, plus tôt que d’écrire
tems, du moins „jufqu’à ce que YUfage foit devenu
général fur ce dernier article. Ceux qui ont
entrepris de fupprimer au pluriel le t des noms
& des adjeétifs terminés en n t , comme garant,
élément , [Avant, prudent, &c , n’ont pas pris
garde à l’Analogie, qui réclame cette lettre au
pluriel , parce qu’elle eft néceflaire au fingulier ,
& même dans les autres dérivés ; comme garantie ,
garantir, élémentaire , favantc , favantaffe ,
prudente : âinfi , tant que l ’ Ufage contraire ne fera
pas devenu général, les écrivains fages garderont garants
, éléments, [avants , prudents.
II. L ’ Ufage déclaré eft général ou partagé
général, lorfque tous ceux, dont l ’autorité fait poids,
parlent ou écrivent unanimement de la. même ma- j
nièrc; partagé, lorfqu’il y a deux manières de
parler ou d’écrire égalementautorifées par les gens
de la Cour & par des auteurs diftingués dans le temp?.
i° . A l ’égard de l’ Ufage, général, il ne faut pas
s’imaginer qu’il le foit au point, que chacun de
-ceux qui parlent ou qui écrivent le mieux, parlent
ou écrivent en tout comme tous les autres. » Mais,
dit le P. Buffier («°. 3 5 .) , » fi quelqu’un s’écarte ,
» en des points particuliers , ou de tous, ou prefi-
» que de tous les autres; alors il doit êtrecenfé
» ne pas bien parler en ce point - la même. Du
-» refte , il n’eft homme fiverfé dans une langue à
.» qui cela n’arrive ». [ Mais on ne doit jamais fe
permettre volontairement, foit de parler foit d écrire
.d’une manière contraire à YUfage déclaré ; autrement,
on s’expofe ou à la pitié qu’excite l’igno-
xance, ou au blâme & au ridicule que mérite le néo-
logifme. ]
Les témoins les plus sùrà de l’ Ufage déclaré,
Ait encore le P. Buffier (V . 36 ) ,» font les livres
» des auteurs qui paflent communément pour bien
■ » écrire , & particulièrement ceux où l ’on fait des
» recherches fur la langue; comme les Remarques,
» les Grammaires ., & les Dictionnaires qui font
» les plus répandus , furtout parmi les gens de
» Lettres : car plus ils font recherchés, plus c’eft
» une marque que le Public adopte & approuve leur
» témoignage., ,
2.0. » L ’ Ufage partagé. . . eft le fujet de beau-
» coupde conteftationspeu importantes ( Id. n. 37.)
» Faut-il dire je puis ou je .p e u x , j e vais ou je
» vas, &c ? . . . Si l ’un & l ’autre fe dit par di-
» verfes perfonnes de la Cour & par d’habiles au-
» teurs, chacun, félon fon goût , peut employer
» l’une ou l’autre de ces expreffions. En effet, puifi-
» qu’on n’a nulle règle pour préférer l ’une à l’autre,
» vouloir l’emporter , dans ces points-là , fur ceux
» qui font d’un avis ou d’un goût cpntraire , n’eft-
*> ce pas dire , Je fu is de la pius faine partie de
Gram m . TE L it t é r a t , Tome 1ÎL
U S A
» la Cour, ou de la p lus faine partie des écri-
» vains ? ce qui eft une pféfomption puérile : car
»• enfin les autres croient avoir un goût aufli fain
» & être aufli habiles à décider , & ne feront pas
» moins opiniâtres à foutenir leurs décifions. Des
» qu’on eft bien convaincu que des mots ne font
» en lien préférables l ’un à 1 autre , pourvu qu ils
» faflent entendre ce qu’on veut dire , & qu iis ne
» contredifent pas YUfage qui eft manifeftement
» le plus univerfel ; pourquoi vouloir leur faire leur
» procès, pour le le faire faire à foi-même par les
» Autres » ? ' ' . ,
Le P. Buffier confent néanmoins que^chacun s en
raporte à fon g oû t, pour fe décider entre deux
Ufages partagés. Mais qu’eft-ce que le goût, finon
un jugement déterminé par quelque railon prépondérante
? & où faut-il chercher des raifons prépondérantes
, quand l ’autorité de l ' Ufage fe trouve
également partagée ? L ’Analogie éit prelque toujours
un moyen sûr de décider la préférence en
pareil cas ; mais i l faut être sûr de la bien recon-
noître , & ne pas fe faire iilufion. Il eft fage , dans
ce cas, de comparer les raifonnements contraires
des grammairiens, pour en tirer la connoiflance de
la véritable Analogie , & en faire fon guide.
Pour fe déterminer, par exemple , entte j e vais
& j e vas , pour chacun defquels le P. Bouhours
reconnoît ( Rem. nouv. tom. I , pag. $80) qu_il
y a de grands fuffrages ; Ménage donnoit la préférence
à j e vais , par la raifon que les vtibtsfaire
ôc taire font j e fa i s & je tais. Mais i l eft évident
que c’eft ici une faufle Analogie, & que, comme
i'obferve Thomas Corneille ( TSote fur la Rem. xsvj
de Vaugelas ) , » faire & taire ne tirent point a
» conféquence pour le verbe aller » ; parce qu ils
ne font pas de la même conjugaifon, de la même
claiTe analogique.
L ’àbbé Girard ( Vraisprinc. difc. v iij, tom. I l ,
pag. 80 ) penche pourye vas, par une autre raifon
analogique. » L ’Analogie générale de la conjugai-
» gailon veut, dit-il , que la première perfonne
» du prëfent de tous les verbes foit femblabie à
» la troifième, quand la terminaifon en eft féminine^
» & femblabie à la fécondé tutoyante , quand la
» terminaifon en eft mafculine : Je crie , i l crie ;
» [ ’adore, il adore; [ je fouffre , il fouffre ] ; ; e
» pouffe , il pouffe je fo r s , tu fors ; je vois ,
» tu vois , &c ». Il eft évident que le rationnement
de l’académicien eft mieux fondé, l ’Analogie
qu’il confulte eft vraiment commune à tous
les verbes de notre langue; & il^eft plus raifon-
nable , en cas de partage dans 1 autorité , de fe
décider pour l’expreffipn analogique., que pour celle
qui eft anomale; parce que 1 Analogie facilite le
langage , & qu’on né fauroit mettre trop de facilite
dans le commerce qu’exige la fociabilité.
La même analogie peut favorifer encore j e peux
à l ’exclufion de je puis ; parce qu’à la fécondé perfonne
on dit toujours tu peux , et non pas tu puis,
et que la troifième même ? i l p eu t, ne diffère alors H h h h