
Dans..lcs airs, le '.muficien ,, eft en droi.f d’ëxîge-r
de ion poète un ftyle facile , .bril'é/, aifé àsdécqm-
pofer ; car le défordre des pafifieHs entraîne nécef-
iairement la décompofition du dilcours , qu’une
méchanique de vers trop ‘pénible rendroit impraticable.
Les vers alexandrins ne feroient pas même
propres a la fcène. & au récitatif , parce que leur
rhythme eft beaucoup trop lo n g , •& qu’il occa-
iionne des phrafes longues & arrondies que la déclamation
muficale abhorre, On conçoit que des
vers pleins d’harmonie & de nombre pourroient
cependant être très-peu propres à la Mufique, &
qu’il pourroit y avoir telle langue , on , par un
abus de mots aflez étrange, on auroit appelé ly rique
ce qu’il y a de moins fufceptible d’être
chanté»
Trois caractères font efîenciels à la langue dans
laquelle le Poème lyrique fera écrit.
I l faut qu elle foit fïmple , & qu’en employant
préférablement le terme propre , elle ne cefl'e point
pour cela d’ être noble & touchante.
Il faut donc qu’elle ait de la-grâce & qu’elle foit
harmonieufe : une langue où l ’harmonie de la
Poéhe confifteroit principalement dans l ’arrondil-
fement du vers , où le poète ne feroit harmonieux
qu’à force d’être nombreux, une telle langue ne feroit
guère propre à là Mufique.
I l faut "'enfin que la langue du Poème-lyrique ,
fans perdre de ion naturelle de fa grâce, fe prête
aux in/erfions que Texpreflîon , la.chaleur, & le
défordre des p a fiions rendent à tout inftànt indifpen- fabîes. '
Il y a peu de langues qui réunifient trois avantages
fi rares- ; mais il n’y en a aucune que le
poète lyrique ne puifle parler avec fuccès^Vil
connoît bien la nature de fon drame & le génie de la
Mufique.
Dans le cours du dernier fiècle, l ’Opéra , créé en
Italie j fut bientôt imité dans les autres parties de
TEùrope ; chaque nation fit chanter fa langue fur
fes théâtres; il y eut des opéra efpagnols , frah-
çois , anglaisa llemands ; en aile magne furtout
i l n’y eut point de ville çonfidérable qui n’eût fon
théâtre d’Opéra ; & le recueil des Poèmes lyriques
repréfentés fur differents théâtres ;. formeroit feul
une petite bibliothèque : mais lé pays qui avoit
vu naître ce beau & magnifique fpeétacle, le vit.
àulfife-peife&ionneçil y a environ cinquante ans;
toute l ’Europe s’efi. alors tournée vers l ’Italie avec,
l ’acclamation ,
Gratis Mufa dédit . . .
Cette ‘acclamation a été le fîgnal de la chute
de tous les fpeâracles lyriques, & l ’Opéra italien
s’eft emparé de tous lés théâtres de l ’Europe. Cette
foule de -grands compofiteurs-qui ’font foifis d Italie
& d’Allemagne depuis ce temps-là, n’a plus yqïilu
chanter que* dans cette langue ’, dont la Tùpënorité
a été üniverfellement reconnue. La France feule
a confervé fon O p é ra , fon .Poème lyrique , & fa
Mufique y mais fans pouvoir la . faire goûter:’ des
autres peuples dé l ’Europe , quelque' prévention
qu’on ait en général pour fes arts ,. fes goûts, &
fes modes. Dans ces derniers temps , -fes enfants
mêmes fe font partagés fur. fa. Mufique:; & la Mù-
fique italienne â compté dès François parmi fes
partifans les plus pa-fiionnés.: ' IlfroUs rëftë donc
â . examiner ce que c’eft que l ’Opéra François, 8c .
ce que c’eft que l ’Opéra italien.
D e VOpéra français. Selon1 la définition d’un
écrivain célèbre-1*0 péra François eft TÉpopée mile
en a£Hon & en Tpeètacle. Ce que la difcrétïon.du
poète épique ne montré qu’à notre imffgirïâtion , le
poète lyrique 'entrepris‘èh France de îè repréfontèr
à nos ieux. Le poète Itagfooè prend fèsTujets d.ans-
1 Hiftoire, le poète ; lyrique a cherché ; lès fiens
dans l ’Épopée : & après avoir épuifé tôuté.la Mythologie
ancienne 8c toute la forcellërie moderne
après avoir mis fur Ta Scène .toutes- les divinités
poflïbles , après' avoir tout revêtu de forme & de
figure , il a encore créé des êtres de fantaifie ; 8c
en les. douant d’un pouvoir' furnaturel & magique
, il en. a fait le principal refFoit de fon
Poème.
C’eft donc le merveilleux vifible qui eft l ’âme
de l ’Opéra français : ce font les dieux, les déeftes,
les demi-dieux, des ombres, dés génies, des
fées , des magiciens , des vertus , des paflions, des
idées abftraites , & des ê'tres moraux perfonnifîés,
qui en font les aéieurs. Le merveilleux vifible a
paru fi efienciel à ce drame , que le poèté ne
croiroit pas pouvoir traiter un {ujet hiftorique
fans mêler quelques incidents furnaturels & quelques
êtres de fantaifie & de fa création-.
Pour juger fi ce genre peut mériter le fuffrage
d’une nation éclairée, les Critiques & les gens dégoût
examineront & décideront les queftions fui-
vantés.
Ne feroit-ce pas "une entreprife, contraire au'
bon fens , que le génie' .a ' toujours faintement
relpeéfé dans les arts d’imitation, que de vouloir
rendre le merveilleux füfcëptible de la repréfen-
tation théâtrale ? Ce qui .dans l ’imagination du?
poète & de fes lë&eurs étoit noble & grand ,.
rendu ainfi vifible aux yeux, ne deviendra - t - il
point puéril de mefquin ? "
; Sera - t - i l aifé de trouver des aôleurs pour les
rôles du genre merveilleux , ou fuportera-t-on
Un Jupiter , un Mars, un Plutôn fous la figure
d’un adcëur. plein de défauts & dé ridicules ? Ne
faudroit - il pas au moins , pour de telles repré-
fentations , des falles immënfes , où le fpeéiateur,
placé à une jufte diftance du théâtre / feroit forcé
de laiffe'r ail jeu des machinés & des niafques là
liberté deTùi en impéfer ?’ où' fon imagination,'fortement
:frapéë y : féfqrt obligée de cbncoürir elie-
même Mix effets-’d’un fpeétâcle' d onfelle nè!pour-
roit fai'fir que les nîâfles ? La préfence dés- aïeux
pourra-t-elle être rendue fuportable i v * un lieu
tiroir 1 refferré , JS, le Tpeftateur fe trouve , pour
ainfi dire, fous le nez de lafiteur; ou les_plus
petits détails, les nuances les plus fines tout remarqués
du premier; od le fécond ne peut mai-
quer ni dérober aucun des défauts de la voix , de
Major è îongiriquo revetentia ,
qui n’eft pas moins vraie des lieux que dès temps,
n’eft-elle pas ici d’une application fenfible ? Sup-
pofons donc qu’on eût pu mettre des dieux fur
ces théâtres anciens & immenfes qui re.ceyoient un
peuple" entier pour fpeéfate.ür , ne feroit-ce pas
là précifément une raifon pour les bannir de nos
petits théâtres’, qui. ne rèpréfentent qne pour quelques,
coteries qu’on' a appelées le Pübliù l
Si) un Ipeélacle rempli dé, dieux étoit le fruit,
du goût naturel d’un peuple , d’une paftion nationale
pour ce genre; ce peuple ne commen-
cëroit-ilpas par mettre lur fes théâtres« les divinités
de fa religion ? Des dieux- de^ tradition ,
dont il n e ’connoît la Mythologie qu imparfaitement.,
pourroient - ilsî l ’émouvoir & l’intéreffer
comme les objets de fon culte & de fa croyance?
X,’Opéra ne devièhdroit- il pas necelfairement une
fête rèligieufe ?
N’exigeroit - on pas du moins d un tel peuple
d?être co'nnoifleur profond & paftlonne du nud, des
bëllés formes, de l’éneirgfe , & de la beauté ^de
la nature ? & que fan droit - U penfer de fon g oû t,
s’il pôuvoit fouffrir fur fes théâtres un Hercule en
taffetas conlèur de chair , un Apollon en bas
blancs & en habit brodé ?
Si le précepte d’Horace
N e c de us inteifit ,
eft fondé dans la râifon, que penfer d’un fpe.éâacle
où les dieux agiffent. à toit & à travers , où ils
arrangent tout félon leur caprice , où ils changent
incontinent de projets & de volonté ? Qu on fe rappelle
avec quelle diferétion les tragiques anciens
emploient les dieux dans des pièces, qui , après
tout -, étoient des aôtes de religion. Ils montroient
le dieu un inftant , au moment décifif , tandis
que notre poète lyrique ne craint point de le
tenir fans cefife. fous nos ieux. En en ufant ainfi,
ne rifqqe - 1 - i l pas d’avilir la conditipn divine,
fi l ’on peut, s’exprimer ainfi-? Pour qu’un dieu nous
imprime - une idée convenable de fa grandeur , ne
faut-il pas qu’il parle peu, & qu’il fe montre aufli
rarement que ces monarques d’Afie , dont l ’apparition
eft une chofe fi augùfte & fi folennelle,
que per Tonne n’Ôfe lever les ieux fur eux dans-
la feule occafion où il eft permis dé lés enyi&ger?
Seroit-il ppflïble de cpnferver ce refpeét pour un,
Apollon qui fe. montreipit trpis heures dé fuite
fous la figure & avec les . talons de M. Muguet ?
Quand il feroit poffible de repréfenter, d’une
manière noble , grande , & vraie , les divinités de
l ’ancienne Grèce, qui font, après tout, des perfon-
nages hiftoriques , quoique fabuleux ; le bon goût
& le bon fens permettroient - ils de perfonnifier
également tous les êtres que l ’imagination des
poètes a enfantés ? Un Génie aérien, un Jeu , un
R is , un Plaiûr., une Heure, une Conftellation ;
fous ces.êtres- allégoriques 8c bifarres , dont on l i t
avec étonnement la nomenclature dans les programmes
des Opéra françois, pourroient ilsparoîlre
for la' fcène lyrique avec autant de droit & de
fuccès' qu’un Bàcdiüs , qu’un Mercure , qu’une
Diane ? & quelles feroient les bornes de cette
étrange licence ?
Qu’on examine fkhs prévention les deux, tableaux
fuivants, qui font du même -genre : dans l ’un, le
poète nous montre Phèdre en proie à une païfion
ihfürmontable pour le fils de fon époux , luttant
Vainement contré un penchant funefte , & fucconi-
bant enfin , malgré elle , dans le délire & dans les
convulfions , à un amour effréné & coupable, que
fon fuccès même ne rendroit que plus criminel :
voilà le tableau de Racine. Dans l ’autré, Armide,
pour triompher d’un amour involontaire, que fa
gloire & fes intérêts défavouent également, a recours
à fon art magique : elle évoque la Haîne ;
à fa voix la Haîne fort de l ’enfer , & paroît avec
fa fuite dans cet accoutrement bifarie , qui eft
de l ’étiquette de l ’Opéra françois; après avoir fait
danfer & voltiger fes fuivants long temps autour
d’Armide ; apres avoir fait chanter, par d’autres fuivants,
qui ne favent pas danfer , un couplet e«
choeur qui affûre que,
Plus o n co n n o ît l ’ amour , & plus on le dételle j
E t quand o n veut b ien s’ en défendre-,
Q u ’o n peut fe g arantir de fes indignes fers ;
après toutes ces cérémonies fans but, fans goût ÿ
& fans noblefle , la Haîne. fe met à . conjurer
l ’Amour dans les formes, de fortir du coeur d’A rmide
& de lui céder la place ; précifément comme
nos prêtres naguère avoient la coutume d’exor-
cifer le diable : voilà le tableau de Quinault.
Nous ne dirons point qu’il n’y a qu’un homme
de génie qui puifle réufîir dansTe premier, & qu’un
homme/ ordinaire peut fe tirer du fécond avec fuccès
; mais, nous nous en raporterons à la bonne
foi de ceux qui ont vu la repréfentation des deux
pièces : qu’ils nous difent fi celte Haîne , avec fa
perruque de vipères , avec fon autre paquet de
ferpents en fa main droite , avec • fes gants & fes
bas rouges à coins étincelants de paillettes, d’argent
, les a jamais fait fr,émir. de terreur ou de
pitié pour Armide ; & fi Phèdre mourante, d’amour
& de honte!, feule dans le$' .bras ;,de i; fa vieille
nourrice ,. ne déçhire pas tous les^coeurs ^ Le.Def-
tin, do,nt la in1ainrinyifible.nègl.e le fort des mortels
irrévocablem^it 3!ce Deftin, qu’aucun gran4