
S 4 a t r a t r a
l ’équité : tout'cela eft implicitement renfermé dans
le vident ; en quoi le prince feroit-il louable , s’il
n’avoit épargne que ce qu’il n’auroit pas connu ?
11 falloit donc traduire Amplement : Céfar peut
voir quelque chofe qui ne lui apartient pas ; &
i l ne falloit pas ajouter dans le monde dont
Pline n’a fait ni du faire la moindre mention.
i . Pour ce qui eft du dernier membre , le Pané-
gyrifte latin dit : E t enfin VEmpire de nos princes
e jl plus étendu que leur patrimoine. Pourquoi
le Traducteur lui fait-il dire que le patrimoine
des Céfars ejl moins étendu que leur Empire ?
C ’eft renverfer l ’image du texte & en détruire
l ’effet : car c’eft l ’abus du pouvoir impérial qui
peut dépouiller de leurs poffeflions tous les fujets
de l ’Empire, voilà ce qui précède & ce qu’on a
éprouvé avant Trajan; mais ce prince a renoncé à
ce droit odieux du plus fort, & c’eft ce que le
Panégyrifte veut faire fentir à la fin. Tandem ,
efpèce de réflexion ou d’exclamation infpirée par
la tranquilité dont on jouît fous Trajan , & par
le fç>uvenir des maux qu’on a foufferts fous les
monftres fes prédéceffeurs j ce tandem a été omis
par Bouhours, qui apparemment n’en a pas fenti
toute l ’énergie. Pour traduire fidèlement, il faut,,
autant qu’il eft poffible , prendre l ’efprit & l’âme
de l ’auteur original, & fe placer dans les mêmes
circonftances.
IV. Celebrant carmi-
nibus antiquis , quod
unum apud illos memoriae
& annalium genus
e jl y Tuijlonem deum ,
Terra editum, & fitium
2d a nnumy origine m gen-
tis conditorefque. ( T a g .
De raor. germ. I. )
Tous les monuments
hiftoriques des germains
fe réduifent à d’anciens
cantiques : ils y célèbrent
leur dieu Tuifton, enfant
de la Terre, & fan fils
Mannus, qu’ils regardent
comme leurs auteurs.
( L ’abbé d e L A B l e t -
T E R I E . ) "
C’eft dans l ’Original une feule période , dont le
fens principal fe réduit à ces mots ; Célébrant
carminibus antiquis Tuijlonem deum & filium
Mannum : c’eft incidemment que Tacite ajoute ,
quod unum apud illos memor'ue & annalium
genus ejl. L ’abbé de la Bletterie coupera période en
deux parties : la première, quLeft incidente dans
l ’Original, & qui doit l ’ être, eft préfentée comme
principale dans la Traduction, puifqu’elie y tient
le premier rang, & que l ’autre lui eft fubordonné ;
c ’ eft fin vrai contre-fens.
Le tour de Tacite fait entendre que tonte Phi£-
îoire des germains eft dans»ces anciens cantiques
êc par conféquent les faits de Tuifton & de Mannus.
L e tour du Traducteur porte prefque à croire qu’il
n’y eft queftion que de Tuifton & de Mannus. Nouveau
contre-fens.
- Ceci doit faire comprendre combien il eft important
, en traduifant, de donner la plus grande
attention , non feulement aux conjonctions & aux
fens particuliers qu’elles défignent, mais encore à
tout ce qui eft conjonétif, & qui fert aînfL|
marquer avec précifion , & la fubordination des
fens partiels, & fouvent même le motif de cette
fubordination. Les conjonctions , en liant lès parties
du difeours, peignent en même temps la manière
de raifonner de l ’auteur : fi vous altérez le fens des
conjonctions, vous mettez votre raifonnement â la
place de celui de l ’Original. Vous pouvez fans
doute raifonner mieux que lui j mais laifiez- nous
toujours fa manière dans votre Traduction, &
* redreflez-le , fi vous voulez, dans une remarque ;
vous pouvez au fil raifonner moins bien, & en général
le préjugé n’eft pas pour vous j dans ce cas,
vous nous trompez, en fubftituant du clinquant à
l ’or pur que vous aviez promis.
V- C ’eft une falfification de même genre, &
qui fouvent en entraîne d’autres, que la licence
qu’on fe donne d’étendre ou de commenter l ’Original,
au lieu de le traduire Amplement. )
Quis uberior in di- Qui eft plus fécond & plus
cendo Platone ? Quis abondant que Platon ? plus
Arijlotele nervojior ? ~ foliée & plus ferme q.u’Arif-
Theophrajîo dulcior? tote? plus agréable & plus
( C ie. De claris orat. douxqueThéophrafteî [L a
x x x j. î z i . ) ' B r u y è r e . )
La Bruyère fait ici un commentaire plus tôt
qu’une Traduction. Uberior ne fignifie pas tout
à la fois plus abondant & plus fécond : la fécondité
produit l’abondance,. & i l y a entre l ’une
& l’autre la différence de la caufë à l’effet ; la
fécondité étoit dans le génie de Platon , & elle a.
produit l ’abondance qui eft dans fes écrits.
Nervofus, au fens propre r fignifie Nerveux ,v
& l ’effet immédiat de cette heureufe conflitutiom
eft la force y dont les nerfs font l’inflrument &
la fource : le fens figuré ne peut prendre la place
du fens propre que par analogie ; & Nervofus doit
pareillement exprimer ou la force ou la Caufe de
la force. Nervojior ne veut donc pasdirèplusfolide
& plus ferme ,• la force dont i l s’agit in dicendo ,
c’eft l ’énergie.
Dulcior n’exprime encore que la douceur, &
c’eft* ajouter à l ’Original que d’y joindre Y agrément
: l ’agrément peut être un effet delà douceur,
mais il peut l ’être auffï de toute autre caufe. D’ailleurs
pourquoi charger l ’O riginal ? ce n’eft plus
le traduire , c’eft le commenter ; ce ,qu’on donne
pour uné copie n’gft qu’une charge ou une cari^-
cature.
Ajoutez que , dans fa prétendue Traduction,
L a Bruyère ne tient aucun compte de ces mots in
d i c e n d o qui font pourtant eflenciels dans l ’Ori*-
ginal, & qui y déterminent le fens des trois ad-
jïeétifs uberior y nervojiordulcior : car la conf-
truélion analytique, qui eft le fondement de la
Verfion & conléquemment de la Traduction y
fuppofe la phrafe rendue ainfi : Quis fu it uberior
in dicendo præ Platone ? Quis fuit nervojior
T R A
dicendo præ Arijlotele ? Quis fuit dulcior^ in
dièendo præ Theophrajlo ? Or dès qu’il s’agit
dexprefjion , il eft évident que ces adjeétifs doivent
énoncer les effets des caufes qui exiftoient dans
le génie des écrivains dont on parle.
Ces réflexions me porteroient donc â traduire ainfi le paflage de Cicéron : Qui a jamais eu
dans Jop élocution plus dy abondance que Platon 1
plus d’énergie qu Arijîote ? plus de douceur que
Thiophrajle t
VI. A ces cinq exemples j’ajouterai encore la Critique
de là Traduction que du Marfais a faite
( art. Synecdoque ) d’un paflage d’Horace ( III.
Od. j. 12.) : Somnus agreflium, &c. Du Marfais
eft trop au deflus des nommes ordinaires, pour
qu'il ne foit pas permis de faire fur fes écrits quelques
obfervacions critiques. La traduétion qu’il
donne ici du paflage d’Horace n’a pas , ce me
femble, toute l’exaétitude exigible j et je ne fais
s’il n’eft pas de mon devoir d’en remarquer les
fautes. » On peut toujours relever celles des grands
» hommes, dit Duclos ( Préface de VHiftoire de Louis X I ) j » peut - être font-ils les -feuls qui en
b feient dignes, & dont la Crjrtique foit utile ».
N ’aime point le trouble qui règne che\ les Grands •' il n’y a rien dans le texte qui indique ;
cette idée j c’eft une interpolation qui énerve le
texte au lieu de l’enrichir , et peut-être eft-ce une
faufleté.
Non fa jlid it n’eft pas rendu par i l fe plaît : le poète va au devant des préjugés, qui regardent
avec dédain l’état de médiocrité : ceux qui penfent
ainfi s’imaginent qu’on ne peut pas y dormir tran-
quilement; & Horace les contredit, en reprenant
négativement ce qu’ils pourroient dire pofitivement, non fa jlid it ; cette négation eft également nécef-
; faire dans toutes les Traductionsc’eft un trait carac-
tériftique de l’Original.
Les petites maifons de bergers : l’ufage de
notre langue a atta'ché à petites maifons, quand
il n’y a point de complément, l’idée d’un hôpital
pour les fous} & quand ces mots font fuivis d’un
complément, l’idée d’un lieu deftiné aux folies
criminelles des riches libertins : d’ailleurs le latin
humiles donios, dit autre chofe que petites maifons
i le mot humiles peint ce qui a coutume
d’exciter le mépris de ceux qui ne jugent que par
les aparences , & il eft ici en oppofition avec non [' fajlidit ,* l’adjeétif petit ne fait pas le même con-
! trafte.
Virorum agreflium) ne •'fignifie pas feulement
les bergers, mais en général tous ceux qui habitent
& cultivent la campagne, les habitants de
la campagne. Je fais bien que l’on peut ,'par la
Synecdoque même , nommer l’efpèce pour le genre ;
mais ce n’eft pas dans la Traduction d’un texte qui
exprime le genre , & qui peut être rendu fidèlement
fans forcer le génie de la langue dans laquelle on le
traduit.
T R A
Vombre d’un ruijfeau : c’eft un véritable bar-
barifme, les ruifleaux n’ont pas d’ombre ; um-
brofam ripam fignifie un rivage couvert d’ombre
: au furplus , i l n’eft ici queftion ni dçruiffeau,
ni de rivière , ni de fleuve ; c’eft effacer l ’Original
que de le furcharger fans befoin.
Zephyris agitata Tempe : i l n’y a dans ce
texte aucune idée d’arbres ; i l s’agit de tout ce
qui eft dans ces campagnes, arbres , arbrifîeaux s.
herbes, fleurs, ruifleaux, troupeaux, habitants,
&C i la copie doit préfenter cette généralité de
l ’Original. Il me femble aufli que, u notre langue
ne nous permet pas de conferver la Synecdoque
de l ’Original , parce que Tempé n’entre plus dans
le fyftême de nos idées voluptueufes, nous devons
. du moins en conferver tout ce qu’il eft poflible ,
en employant le fingulier pour le pluriel ; ce fera
fubftituer la Synecdoque du nombre à celle de
l'efpèce, & dans le même fens, du moins pour le
plus.
Voici donc la Traduction que j’ôfe oppofer a
celle de du Marfais. » Le fommeil tranquile ne
» dédaigne ni les humbles chaumières des habi-'
» tants de la campagne , ni un rivage couvert
» d’ombre, ni une plaine délicieufc perpétuellement
» careflee par les Zéphyrs ».
Ces remarques fufïiront fans doute pour faire
fentir tout ce qu’exige d’un Traducteur la fidélité
qu’il doit à fon Original, & avec quel fcrupule
il doit en conferver 1 ordre des idées , la propriété
des termes-, la précifion de' la phrafe. J’avoue que
! ce n’eft pas toujours une tâche fort aifee j mais qui
ne la remplit pas n’atteint pas le but.
( ^ J’ajouterai i c i , fans aucun commentaire ,
parce que cela feroit inutile , un extrait de la
d p é t r i ne du favant évêque d’Avranches fur la Traduction.
(Petr.Dan. Huetii , D e ïnterpretatione ;
l ib . i . ) , -
Sic ehim exjftimo , quicumque Interpretis fufi-
cipit partes * in eo proecipuè ipfius eniti debere
indufiriam i .non Ut facultatem dicendi ,fi qua.
f orte proeditus eft y exerceat y & orationis fu a v i-
tate auribus fucum fa c ia t ; fed ut auclorenz
cujus ïn t e r p r e t a t i o n em molitar, tanquam in fp e -
culo & imagine y fie in verbis fu is contuendunt
exhibeaty àjcititiumque omnem ornatum, quaji in-
tegumentum detrahat, vel quaji itiducîum nativ
o coloripigmentum abjlergat. ( pag. 4. )
Optimum ergo ilium ejfe dico interpretandi
modum , quum auctoris fententiæ primum, deinde
ipfis etiam , f i ita fe r t utriufque lingual fa cultas
, verbis arctiffîmè adhoeret Interpies , et na-
tivum poflremo auctoris chardeterem , quoad ejus
fieri p o te jl, adumbrat ; idque unum jlu d e t , ut
nullâ eum detractione imminutum , nullo ad-
ditamento auctum, fed integrum fuique omni
ex parte fimillimum perquam fideliter exhibeat.
Quum enim n ihil aliud ejfe videatur Interpreta-
t ip , quam exprejfa auctoris imago & effigies;
Z z z i