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de fes\ conquêtes, & le bjrçuif ,de, fa .réputation
de Tes armes. Les bommes'pour rordinaiïe ne font
capables, de comprendre que les chofes qui entrent
dans lelprit par. lés fejns; pour leur faire concevoir
ce qui eft fpirituel, i l faut fe fervir de compar-
rallons fenfibles, qui font agréables, parce quelles,
ioulagent lelprit & l’exemptent de l ’application
qu il faut avoir pour découvrir ce qui ne tombe
pas fous les, fens. C e ft pourquoi les exprelfions-
métaphoriques, prifes des çhofes fenfibles , font
tres-frequentes dans les faillies Écritures. Lorfquè
les prophètes parlent de Dieu, ilsfe fervent continuellement
de Métaphores tirées dé chofes ex-
pofées a nos fens . . . Ils donnent a Dieu des
bras, des mains , des ieux ; ils l ’arment de traifs ,
de carreaux, de foudres ; pour faire comprendre
au peuple fa puiffance invilible & fpirituelie, par ;
dés-chofes fenfibles & corporelles. S. Âuguûin dit
pour cette raifon . . . . . . Sapientia JOei cum
zrifantià. nofira Parabolïs & Similitudinibus quo*-
dammodo ludere noh dedignàta efi ;prophetas vo-
luit humano more de divinis loqui r ut hébétés,
nommum animi divines & coelefiia. terreftrium
Jimïhtudine intelligerent. (M. B e au zé e . V
3°; Les Tropes- ornent le difeours. M. Fléchier ,
voulant parler de l ’infiruélion qui difpofa M. le
duc de Montaufier à faire abjuration de l ’héréfie,
au lieu de dii*e Amplement qu’i l fe fit inftruke >
que les miniftres de Jéfus-Chrift lui apprirent les.
dogmes de la religion catholique & lui. découvrirent
les erreurs de l ’héréfie , s’exprime en ces
termes r Tomber tom b e V o i le s importuns,, qui
lu i couvre? la vérité 'de nos myfières : & vous
Prêtres de Jéfus-Chrifi.,, préne\le glaive de la
parole, & coupe£ fagementju/qu’aux racines de
l erreur que la îiaijfanee & Téducation avoient
jfair croître dans fon âme. Mais par combien
de liens éioit-il retenu Z
Outre l ’Apoûrophe , figure dè penfée, qui fe
trouve dans ces paroles , les Tropes en font le
principal ornement : Tombe\ ,, Vo ile s ,, couvreÛ ,
prenez le g laive, c<xtpe% jufq it aux racines r croi
tre y . liens , retenu ; toutes, ces- exprelfions font
au tan t d e Tropes qui forment des images dont
1 imagination, eft agréablement occupée. ( D u Mar -
Sa i s . )
Par le moyen des Tropes , dit encore le P. Lamjr
(lo c . cit. ) , on. peut diverfifier le difeours, Par-
laut long temps fur un même- lu jé tp o u r ne pas
ennuyer par la répétition fréquènte - dés: mêftles.-'
mots, i l eft bon d’emprunter les noms des chofes'
qui ont de la, liaifon avec celles qu’on traite,. &
de les. lignifier ainfi par des Tropes qui fournire
n t le moyen de dire une même choie en mille
manières différentes. La plupart de ce qu’om appelle
expreflions choisies.., tours élégants y ne
font que des Métaphores , des Tropes , mais ft naturels
& lt clairs-, que les mots propres ne le fe^
loient pas davantage. Aufli no tre. langue., quiaime
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la clarté- la naïveté, donne' toute liberté dé's’èa
fervir & on y eft .tellement accoutumé, qu'à;
: peine les diftingue-t-on des. exprelfions propres ,,
commei-l .paroît dans celles-ci, qu’on donne pour
;! des exprelfions chollïes : IL fa u t que la cOmplai-
fiince ôte à la fév.érité ce qu elle a d’amer, &
que la févérité donne quelque çhofe de piquant,
; a la çomplaifance-, -&c. L a fagejfe la p in s o u f
tère ne tient pas long temps contre lè s grandes
’ largeffes ,v & les âmes vénales f e laijfem éblouir
par II éclat de V Or .. ., ». Ces Métaphores- font un
grand ornement’ dans le difeours.. ( M . B EA u -
Z é e . )
4°. Les Tropes rendent le dilepurs plus noble :•
les idées communes , auxquelles nous lommes accoutumés,
n’excitent point en nous ce fentiment
d’admiration, & de furprife qui, élève l’âme ;; en
ces qccà fionson a recours aux idées acceffoires,
qui prêtent, pour ainfi dire , des habits plus nobles,
à ces idées communes. Tous les hommes meurent
également; voilà une penfée commune. Horace a
; dit ( I. Od. 4 ) r P a llida mors cequo pulfat
pede pawperüm taberhas regumqtte turres. On fait
la paraphrafe fimple & naturelle que Malherbe &
faite <fe ces vers :
•’ La nicn't a dés rigueurs à nulle autre -jarèillès
On a beau la prier ,
La cruelle qu’elle eft fe bouche les oreilles.,.
Et nous laiffe crier
Le Pauvre en fa cabane, où le chaume le couvre*
Eft fujer à fès lois y ^ ■
Ecla Garde qui veille aux barrières duLouvre.
N ’en d.éfend pas nos roki
; Au lieu dé dire que e eft un phénicien qui a in -
. venté les caractères de l ’écriture , ce qui leroit une
i exprellïon trop fimple pour la Poélie , Brébeuf a dit
( Pharf. liv. LLL ) :.
i C ’eft de lui que nous- vient- cet arc ingénieux'
D e peindre là'pafolé & de- parler-aux leux-f.
Et par les traits divers des figures tracées, '
, Donner de la couleur & du corps aux penfées,,
; ( D u Ma r s ai s. )
Ces quatre vers font fort eftimés , dit M, lé
cardinal dè Bernis ( Difc. à la tête de fes Poéfies
diverfes); cependant, ajoute l ’abbé Fromant {SuppL.
d e là Gramm. gén. Part. JT, c h a p . j f , le troi-
fième eft três^-fôible ,. & les règles exaftes de la.
: langue ne font point obfèrvées dans le quatrième r
i l faudroit dire, de donner de la couleur', & nom
pas donner Cette correéfion eft- très - exaéfe ; 8c:
l ’on auroit encore pu cenfurer , dans le troifième
vers , les traitsdivers de figures-, ainfi qu’on<
le trouve dans la plupart des leçons de ce paflage :
j’ai fous les ieux' une édition dé la P h a r f ale, faite
à Rome en i 66y , q.ui porte ,. comme je l ’ai déjà:
tra'nfcrit, par les traits diveri : des figures ; ce
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<qué jefcroîs plus régulier. Cependant l ’abbé d’O li- ]
vei a cônfervé de dans la conedion qu’il a faite dés
.deux élerniers vers, en-cette manière-: -
Qui par les traits divers de figures tracées ,
1 Donne de la couleur & du çorps jiux pçnfées» ‘ .
Lucain avoit enndbli â fa mànière la pénfée'fimplè
fdont il s’agit , '& l ’avoit fait avec encore plus de pré- 1
^i[ioix ( lià. I l l f zzo ) ; •
Pftamices primi, fumai fi çreditur, aujl
Manfuram rudibus vocem /ignare figuris,
[M. B eauzée., )
5°. Les Tropes Toot d’un grand ufage pour dé-
guifer le? idées dures,-défagréables., üiftes, o.u con-r
tçaires ^ là modeftie.
6°. Enfin les Tropes 'enr.ichifTènt une langue j en
multipliant Tufage d’un même mot J ils donnent à
un fflot une fignifiGation nouvelle, foit-parce qu’on |
l ’unit avec-d’autres mots auxquels fouvent -il ne
fcipeut joindre dans: le ' fens propre^1 foit parce
qu’on s’ en fert par exteafion & par reffemblancé .
pqur fupplée r aux- termes qûi -mariquent dans la langue.,
( D u M a r s a i s « ) 11
On peut donc dire dés Tropes en général cè
que dit Quintilien de la Métaphore en particulier
(ln.fi. V I I I vj ) : Copiam quoquë fermonis
aùget, permutando aut mutuandO qùod non ha- N;
bet : qUodquèi difficilïmum éfi , preefiat ne ulli
rei nomen deejfe videatur. ( Ml B e a Ij z é e .)
Mais i l ne faut pas' croire ;àvec quelques Savants
(Rbîlin -, Traité des' éludés , iom. I I , p. 42.6 ;
Çicéron' ,•v De ôratore , n°. ï 5 j , ' dlit. xxxviij j
V olfius , In f l . 0 rat. lib. iP~, cap. vij , ; n°. 14 ) ,
que les Tropes n’ayent d’abord été inventés qûè 1
par hécejjite, à caufe du défaut & de la di-
fette des mots prôprèi' j & qu’ils àyent contribué
depuis a la beâiuéfit à Tprnçmént dfdifeours
de niémé à peu près que/ les y éléments onp été
employés dans le commencement. J pour couvrir
le corps >& le défendre /contre Te fro id , & enfuite
ont feryi à Vembellir Ù à VOrner. Je ne crois
pas qu’il y ait un allez grand nombre de piots qui
fuppléenr à 'ceux qui manquent, pour pouvoir dire
<j.ue tel ait,été le premier & le principal ufage des
T^op&fî .D’ ailiéûrs ce’n’éft point là , ce mefembîe,
la: marche, pour-ainfi dire, de là nature ; l’imagination
a trop de part dans le langage & dans la!
conduite des hommespour avoir été prébédëe en
point par! la néceffitë. (D u M a r s a i s *. )
Je penfe bien autrement que ‘du Marfàis à cet
égard. Ce n’efi point là, d it- il, la marche de,
la nature : c’eft elle » même *, la.néceffité eft la
mere des arts , & elle les a tous- précédés. Il n’y
a pas , dit-on’ , un àffez grand nombre de mots
qui fùpplëéht a ceux qui manquent', pour pouvoir
dire que le premier'& le principal . u f a g e ’ dès,
Tropes ait été dé-cbïîipléc'&r--:là ‘ nomenclature des’3
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langues.Cette aïTërtion eft hafardée, ou bien l ’auteur
n’enténdoit pas affez ce qui! faut entendre ici par la
•difette des nlots propres.
Rien ne peut , dit Loké (E f la i, Livre I I I ,
'chap; ' f 'ftou!? !apprç>chér mieux de
Tbtigine de toutes pois; !nbtions & ‘cofinpifiances ,
■ que d’bbferve'r combien lé s 1 mots dont nous nous
fervons dép'endenl/dès’ idéés' fenfibles, 8C comment
'ceux -qu’bû emploie' p'our 'lignifier , dpjs aérions 8c
(dës:‘ Potions tout à fait éloignées dès‘ fens, tirent
leur origine de ces mêmes idées fenfibles, d’od ils
font transférés à des lignifications plus, abftrufes
pour exprimer dés i'dées^ qui ne tombent point
fous les fens. Ainfi, les mots fulyants , imaginer ,
'COTrfprendté, s’ attacher, Concevoir, &c, font tous'
empruntés des opérations dès chofes fenfibles, &
-appliqués'a certains modes de pènfer. Le mot
ejprit, dans la première lignification, c’eft 1 zfouffle ;
celui fange lignifié mejfigèr : & je ne doute point
què ,fi nbüs pouvions conduire tous les mots ju£-
qu’à leur fource , nous ne trouvalïlons que, dans
toutes les langues , les‘ mots qu’on ëmploie pour
lignifier dés chofes qui ne ;tombent pas, fous, les
fens, ont tiré leur première origine d’idées fenfibles.
Aux premiers exemples, cités par Loke , M. le
préfident de Broffes en ajoute une infinité d autres ,
qui marquent encore plus précifément comment les
hommes fe forgent ; 4es termes abftraits fur des
idées particulières,^ & donnent aux êtres, moraux
des, jnpm^ tirés des. objets phyfiques ; ce qui)x fup,-
pqiant analogie & comparaifon entre les objets des
deux genres, 'démontre l ’ancienneté & . la néeclfite
des Trop-es. dans la nomenclature des langues., ‘
>» En! langue latine , dit ce lavant magiftrat , •
» càlamitas & cerumna lignifient un malheur -y
» ùue inforïurie * mais , dans, fon origine, le pre-
» : mier i a ilignifiéjla difette des. grains, & le fe-
» .cbndf, ilk difette de l ’argent. Calamitas , de
» 'calamus-i grêle , tempête qui rompt les tiges
.du .blé ; aemmuaè^àèces : oeris. Nous appelons
« i en frabçois! terre en xhaum’e , une terre qui n’efi:
»; point enfemencée, qu’on lailfe repofer, dedans
» laquelle, après qu’on a coupé l ’épi , il nerefte
» plus que le tuyau ( calamus ) attaché à là racine :
» de là vient qu’on a dit chômer une fête, pour
» la célébrer i ne pas travailler ce jour là , fe
» repofer ». [ .Chaumer un champ , veut dire etr
arracher le chaume; & c’eft pour différencier ces
deux fens j que l ’on écrit chômer une'fête
». De là vient le mot calme pour repos , tran*
xk.quilitèi; Mais combien la lignification du mot
>» calme n’eft-elle pas différente du mot calamité,
» & quel étrange chemin n’ont pas fait ici les ex--
» prellions £c les idées des hommes !
».En là rtiêmè langue , ihcoîiirhis, fain & lauf
» Y àui eft f i n i t o Mm ha J ; e xpre ffio h tirée dé la
comparaifon d’unbâtiment qûi, étaht en bon état,
»ïti’à pas bëlbin d’étaie.
» Divifer (idividerô j vient de la racine celfiqud E e & e 2,