
P A R P A R
' " P a r t e r r e , C. m. Belles-Lettres. C ’eft ,
dans nos fa lies de fpeCtacle , Taire ou l ’efpace
qu'on laifie vide au milieu de l ’enceinte des
lo g e s , entre l ’orcheftre & l ’amphithéâtre , & où le
fpeCtateur eft placé moins â fon aife , & â moins
de frais.
( ^Ues anciens appeloient Orckefire ce que'nous
nommons Parterre. Cet orcheftre étoit , chez les
grecs, la place des musiciens; chez les romains,
celle des fénateurs & des veftales ).
Ce n’ eft pas fans raifon qu’on a mis en problème
s’il feroit avantageux ou non qu’à nos Parterres ,
comme à ceux d’Italie, les fpeCtateurs fuflent aflis.
On croit avoir remarqué qu’au Parterre on l ’on
eft debout, tout eft lai.fi avec plus de chaleur ;
que l ’inquiétude, la furprife, l ’émotion du ridicule
& du pathétique , tout eft plus v if & plus rapidement
fenil ; on croit, d’après ce vieux proverbe ,
anima fedens f i t fapientior, que le fpeétateur
plus à fon aife feroit plus froid, plus réfléchi, moins
îufceptible d’illufîon , plus indulgent peut - être ,
mais aufii moins difpofé à ces mouvements d’ivrefle
& de tranlport qui s’excitent dans un Parterre où Ton
eft debout.
Ce que l ’émotion commune d’une multitude af-
femblée 8c preflee ajoute à l’émotion particulière,
ne peut fe calculer- : qu’on fe figure cinq-cents
miroirs fe renvoyant Tua à l ’autre la lumière qu’ils
réfléchirent, ou cinq-cents . échos le même Ion ;
c’eft l ’image d’un Public ému par le ridicule ou
par le pathétique. C’eft là furtout que l ’exemple
eft coutagieux 8c puifiant : on rit d’abord de l ’im-
preflïon que fait l ’objet rifible, on reçoit de même
l ’impreflion directe que fait l ’objet attendriffant ;
mais de plus, on rit de voir rire, on pleure aufli
de voir pleurer, 8c l ’effet de ces émotions répétées
va bien fouvent jufqu’à la convulfîon du rire, juf-
qu’à l ’étouffement de la douleur. Or c’eft furtout
dans le Parterre , & dans le Parterre debout ,
que cette efpèce d’éleCtricité eft foudaine , forte, &
rapide ; & la caufe phyfîque en eft dans la fitua-
tion plus pénible & moins indolente du fpeCtateur ,
qu’une gêne continuelle & p i flottement perpétuel
doivent tenir en activité.
Mais une différence plus marquée entre un Parterre
où l ’on eft aflis, & un Parterre oâ Ton eft
debout, eft celle'des fpe&ateurs mêmes. Chez nous,
le Parterre ( car on appelle aufli de ce nom la
partie de l ’aflemblée qui occupe l ’efpac^prdont
nous avons parlé ) eft compofé communément des
citoyens les moins riches , les moins maniérés,
les moins raffinés dans leurs moeurs ; de ceux dont
le naturel eft le moins p o l i , mais aufli le moins
altéré ; de ceux en qui l ’opinion Sf le fentiment
Gramm. e t IjItt ér at , TomJIIi
tiennent le moins aux fantaifies pafiagèrés de la
mode , aux prétentions de la vanité, aux préjugés
de l ’éducation ; de ceux qui communément ont là
moins de lumières, mais peut - être aufli le plus
de bon fens , & en qui la raifon plus faine 6c la.
fenfibilité plus naïve forment un goût moins délicat
mais plus sûr , que le goût léger & fantafque d’un
monde où tous les fentiments font factices ou empruntés.
Dans la nouveauté d’une pièce de Théâtre, le
Parterre eft un mauvais juge , parce qu’il eft:
ameuté , corrompu', & avili parles cabales : mais
lorfque le fuccès d’une pièce eft décidé , & que la
faveur & l ’envie ne divifent j>lus les elprits ; le
meilleür de tous les juges , e eft le Parterre. On
eft furpris de voir avec quelle vivacité unanime 6c
foudaine tous les traits de fineffe, de délicalefle ,
de grandeur d’âme, & d’héroïfme , toutes les beautés
de Racine, de Corneille, de Molière , enfin tout
ce que le fentiment , l ’efprit v le langage , le jeu
des aCteurs, ont de plus ingénieux & de plus exquis,
eft aperçu , faifi dans l ’inftant même par cinq-cents
hommes à là fois ; 8c de même avec quelle fagacité
les fautes les plus légères & les plus fugitives
contre le goût, le naturel , la vérité, les bien-
féances ,' foit du langage, foit des moeurs, font
aperçues' par une clafle d’hommes , dont chacun
pris féparément femble ne fe douter de rien de
tout cela. On ne conçoit pas comment, par exemple
, les rôles de Viriate , d’Agrippine , & du Méchant,
font fi bien jugés par le peuple; mais i l
faut favoir que dans le Parterre tout n’eft pas ce
qu’on appelle peuple, & que , parmi cette foule
d’hommes fans culture j il y en a de très-éclairés-
Or c’eft le jugement de ce petit nombre qui forme
celui du Parterre : la multitude les écoute , 8c
elle n’a pas la vanité d’être humiliée de leurs le çons
; au lieu que dans les loges chacun fe croit
inftruit, chacun prétend' juger d’après foi même.
Une différence qui , a certains égards , eft à
l’avantage des loges,- mais qui ne lai fie pas de
décider en faveur du Parterre, c’eft que dans celui-
ci n?y ayant point de femmes, i l n’y a point de
féduétion : le goûtdu Parterre en eft moins délicat ,
mais aufli moins capricieux , & furtout plus mâle 8c
plus ferme.
Au petit nombre d’hommes inftruits qui font répandus
dans le Parterre, fe joint un nombre plus
grand d’hommes habitués au fp eâa cle, & dont c’eft
Tunique plaifîr : dans ceux - ci un long ufage a
forme le goût ; & ce goût de comparaifon eft bien
fouvent plus sûr qu’un jugement plus raifonné ;
c’eft comme une efpèce d’infiinct qu’a perfectionné
l ’habitude. A cet égard le Parterre change lorf-
qu’un fpeCtacle fe déplace , & que les habitués ne