
Cette féconde règle n’eft pas moins néceiTaire
pour nos Récits, que la première. Les perfbnnages
^ui les font font dans une fùuation extrêmement
violente ; & ce que le poète leur fait dire , doit
être une peinture exaâe de leur- fituation. Le tumulte
des paillons qui les agitent ne les rend
eux- mêmer attentifs , dans le détordre d’un premier
mouvement, qu’aux traits les plus frapants de
ce qui s'eil paiié fous leurs ieux. Je dis, dans le
défor du d'un premier mouvement, parce que , ce
qu’ils racontent venant de fe palier dans le moment
même j i l feroit abfurde de fuppofer qu'ils
euiïènt eu le temps de la réflexion; & que le
comble du ridicule feroit de les faire parler comme
s’ils avoient pu méditer, à loifir , l ’ordre & l ’art
qu il leur faudrait employer pour arriver plus sûrement
à leurs fins. C'eft pourtant fur ce modèle,
fi déraifonnable , que font faits la plupart des Récits
de nos tragédies ; & on n’en connoît guère qui
ne pèchent contre la vraifemblance.
La troiflème règle, eft que les Récits foient
rapides; parce queles defcriptions pathétiques doivent
être prefque toujours véhémentes, & qu’il
n'y a point de véhémence fans rapidité. Nos Récits
font encore aflervis à cette règle ; mais i l ne
paraît pas que la plupart de nos tragiques la con-
noiffeut, ou qu’ils fe foucient de la pratiquer. Si
leurs Récits font quelque impreflion au théâtre,
e lle efr l ’ouvrage de l’aâeur , qui fupplée par-
fon art à ce qui leur manque : mais deftitués de
ce iecours dans la lefture , ils font prefque tous
d’une lenteur qui nous affomme, & qui nous refroidit
au point^ que , fi dans le cours de la pièce
notre trouble s'eft augmenté de plus en plus ,
comme cela fe devoit, nous nous fentons auffi tran-
quiles , en achevant fa lecture , que nous l ’étions
en commençant. Le flyle le plus v if & le plus
ferré convient à nos Récits ; les circonftances doivent
s’y précipiter les unes fur les autres ; chacune
doit être préfentée avec le moins de mots qu’il eil
poflîble.
Voilà les règles efFencielles d’après lèfquelles
on doit juger les Récits de nos tragédies ; & c’ell
d’après ces mêmes règles qu’on trouvé que le
fameux Récit de la mort d’H ippolyte, par Thé-
ramène, pèche en général contre les caractères
des paflions dont le perfonnage qui parle doit être
agite. Mais ce n elt point a Racine , comme poète,
que l ’on fait le procès dans fon Récit : c’eft à Racine
fefant parler Théramène ; c’eft à Théramène
lui-même, qui ne peut pas plus jouir des privilèges
accordés aux poètes, qu’aucun perfonnage
de tragédie. La première partie du Récit de Théramène
répond à ceux que les anciens ont fait de
la mort d’Hippolyte. Racine en avoit trois devant
les ieux , celui d’Euripide, celui d’Ovide, & celui
de Sénèque i l les admira ; & , félon toute apparence
, les fautes qu’on lui reproche ne viennent
que de la noble ambition qu’i l a eue’ de vouloir
lurpafler tous ces modèles. Au relie, on a difcuté
ce beau morceau avec la dernière rigueur, dans la
derniere édition de Defpréaux , à caufe de l ’excellence
de l ’auteur ; mais les critiques qu’on en a
faites , toutes bonnes qu’elles puiffent être, ne
tournent qu’à la gloire des talents admirables d’un
illuftre écrivain , q u i, dès l ’inftant qu’il commença
de donner fes tragédies au Public , fit voir que Corneille
, le grand Corneille, n étoit plus le feul poète
tragique de la France.
Récit épique , Épopée. C’eft l’expofition d’une
aétion héroïque , intéreflante , & merveilleufe. Ses
qualités effencielles font la brièveté , la clarté ,
& le vraifemblable poétique ; fes ornements font
dans les penfées , dans les exprefiions, dans le s
tours, dans les allufions, dans les allégories, dans
les images, en un mot dans toutes les chofes qui
conftituent le beau, le pathétique , & le foblime
de la Poéfie. Voye\ Poème épique.
Récit fabuleux en profe ou en vers. Le
mérite principal de ces petits contes fe trouve' dans
la variété & la vérité des peintures , la finefle de
la plailanterie , la vivacité & la convenance du
ftyle , le contraire piquant des évènements. I l y
a cette différence entre le Conte & la Fable, que
la Fable ne contient qu’un- feul & unique fa it,
renfermé dans un certain èfpace déterminé- & achevé
dans un feul temps , dont la fin eft d’amener quelque
axiome de Morale & d’en rendre la vérité
fenfible : au lieu qu’i l . n’y a . dans le Conte ni
unité de temps, ni unité d’adion , ni unité de lieu ,
& que fon but eft moins d’inftr.uire que d’amufer.
L a Fable eft fouvent un monologue ou une ftène
de comédie ; le Conte eft une fuite de co’médies
enchainées les unes aux autres. La Fontaine excelle
dans les deux genres, quoiqu’i l ait quelques fables
de trop & quèlques contes trop longs. ( Le chevalier
DE J A U CO U R T » )
* R É C ITAT IF , f . . m. Poéfie lyrique. Mufi*
que. Du côté du muficien , le R é c ita tif eft l ’efpèce
de chant qui approche le plus de l ’accent naturel
de la parole ; & du côté du poète , c’eft la partie
de la fcène deftinée à cette elpèce de chant.
Lorfqu’en Italie on imagina de noter la déclamation
théâtrale, l ’objet de la Mufique Tut, comme
celui de^ la Poéfie , d’embellir la nature en Limitant;
c’eft à dire, de donner à la déclamation
chantée une mélodie plus agréable pour l’oreille ,
& , s i l etoit poflïbie , plus touchante pour l ’âme
que l ’expreflion naturelle de la parole, fans toutefois
contrarier 'ni trop altérer celle - ci ; en forte
que la reflemblance embellie fît encore fon illu -
non.
Le principe de tous les arts qui fe propofent
d’imiter la nature , eft que Limitation luit quelque
chofe de reflemblant, & non pas de fem-
blable.
L ’imitation eft donc un menfonge, foit dans
le moyen, foit dans la manière dont elle fait iUufion j
ce qu’i l y a, de Singulier , ceft que le témoignage
confus que nous nous rendons a nous-memes
que l’art nous trompe, eft la caufe du plaifir fenfible
& délicat que nous éprouvons à être trompés.
I l doit donc y avoir dans Limitation une reflemblance
, afin que l ’âme y foit trompée : mais i l doit
y avoir en même temps une différence fenfible , afin
que l ’âme s’aperçoive & jouïffe* confufément de fon
erreur,.
Ce n’eft pas que la nature même préfentée fur
un théâtre avec toute fa vérité ,> comme dans les
combats de gladiateurs ou d’animaux, ne put faire
une forte de plaifir, fi en elle - mêrtie elle étoit
affez belle ou aflez touchante : mais ce plaifir
feroit l ’effet direct de la réalité, & non l ’effet de
la furprife que l ’art nous caufe quand nous admirons
fon adrefle, & que, femblable à Galathée,
i l fe cache & fe laiffe encore apercevoir en fe car
chant.
Alternativement lavoir & oublier que Limitation
eft un artifice ; fentir à chaque inftant lé mérite
de l ’a rt, en le prenant pour la nature ; jouir par
fentiment des aparences de la vérité , & par réflexion
des charmes du menfonge : voilà le compofé r é e l,
quoi qu’ineffable , du plaifir que nous font les arts
d’imitation.
J’ai dit que le menfonge étoit tantôt dans le
moyen, tantôt dans la manière dont.s’opéroit l ’il-
lufion : dans le moyen, lorfque , par exemple ,
la peinture, avec une toile & dés couleurs, imite
des contours., des reliefs, des lointains, &c ,• dans
la manière, lorfque le moyen de l’art & celui de
1# nature font les mêmes, & que l ’art ne fait que
le modifier d’une manière qui lui eft propre, &
qui donne de l ’avantage à Limitation fur le modèle.
C’eft ainfî que la Tragédie fait parler en vers
& d’un ton plus-èlevé que ne le fut jamais le ton
de la nature ; c’eft ainfi que la Comédie réunit
dans un feul cara&ere plus de traits de ridicule, &
dans une feule aétion plus d’incidents & de rencontres
fingulières , que le même efoace de temps
ne nous en eût fait voir dans la réalité ; c’eft ainfî
enfin que , dans l ’Opéra , on a permis de porter
la licence de la fiétion jufqu’à faire parler én chantant.
De même tous les arts d’imitation ont leur s données,
& les feules conditions qu’on leur impofe font l ’il-
lufîon & le plaifir.
S’il eft donc vrai que le chant, conime les vers,
iembellifie Limitation de la parole , lans détruire
l ’illufîon; on auroit tort de fe refufer au nouveau
plaifir qu’il nous caufe : ce ne fera jamais un peuple
doué d’une oreille fenfible qui fe plaindra qu’on lui
parle en chantant.
Les italiens ont trouvé dans cette licence
une fource intariflablé de fenfations délicieufes ;
& leur imagination, aflez vive pour être encore
feduite par une imitation éloignée de la nature ,
ti a prefque pas mis de bornes à la liberté accordée
$u muficien.
Les françois jufqu’ici ont été plus févères ,
Par la raiion peut-être que leur imagination eft
moins vive, ou leur organe moins fenfible.
C ep e n d an t, chez les italiens m êm e , l ’a r t , timide
dans fa naiflance , fe tin t le plus près qu’il
lu i fut poflible de la nature. L e Récitatif c’eft
à d ire , une déclam ation notée & non m efuréc, ou
quelquefois feulem ent accom pagnée par la fym -
phonie , & avec e ile foum ife aux lois de la m efure
& du m ouvem ent , fut d’abord to u t ce qu’on ôfa
fe perm ettre : dans la fu ite , on fut p lu s hardi.
O r de favoir s’il fa llo it s’en tenir à cette p re m
ière fim plicité , ou jufqu’à q uel p o in t l’art pourvo
it s’étendre & s’éloigner de la v é rité , à condition
de l ’em bellir ; c’eft un problèm e que la fpé-
culation ne p eu t réfoudre , mais dont l’expérience &
le fe n tim e n t, chez les différents peuples du monde ,
nous donnent la jo lu tio n .
L a fcène déclam ée eft ce qu’il y a de plus refî-
fem blant au to n n atu rel de la p aro le : la fcène
bhantée fans accom pagnem ent & fans m efure , eft
ce qui aproche le p lus de la déclam ation le récit
obligé s’en éloigne un peu davantage, foit parce
qu’il eft accom pag n é, & que cette allian ce de la
fym phonie avec la voix n’a p o in t de m odèle dans
la n a tu re , fo it parce q u ’il eft mefuré & que l’e x -
preflion natu relle de nos penfées & de nos fenti-
m ents ne l’eft pas : enfin , l ’air eft encore une
im itatio n p lu s altérée , p lus éloignée de la vérité j
car la ro n d eu r, la fym m étrie, & l ’unité du chant ne
reflem blent que de très-loin aux m odulations libres
& n aturelles de la voix.
S i donc on ne cherchoit dans l ’expreflion mu»
ficale que la vérité de L im itation , & f i , pour
produire l’illufion , il fa llo it que l ’im itation fu t
fidèle; il n’y au ro it aucun doute que la M ufique
la p lu s parfaite feroit le fim ple R é c ita tif, & ce
R é c ita tif lu i-m êm e , m oins naturel que la déclam atio
n , n’en eût pas dû prendre la p lace. ,
M ais dans L im itation , on ne cherche pas feulem
ent la v é rité; on y d é fire , com m e je L a i
dit , la vérité em b e llie , c’eft à dire , une im p ref-
fîon plus agréable que celle de la vérité m êm e ,
ou de fon exa&e reflem blance : il s’ag it donc ici
d’un calcul de plaifirs.
N e demandez-vous qu’à être émus p a r le tableau
le p lus frapant d’une aétion pathétique? fuyez
lo in du T h éâtre où l ’on ch ante, & a lle z à celui
où des aéteurs habiles donnent aux paflions le u r
accent n atu rel : une voix étouffée , une voix déchirante
, les gém iffem ents , les c ris, les fan g lo ts
d’un B rifard , d’une D u m e fn il, vous feront p lu s
d’illufion & une im preflion plus profonde, que le s
éclats de voix d’une L e M a u re , ou que les fons
m élodieux d’une F auftine ou d’un F a rin e lli ; & à
l’avantage de l’expreflion fe joindra celui d’un
p o èm e où le g én ie, n’étant géné fur rien, n’a eu rien
àfacrifier. Voye\ Lyrique.
Mais voulez - vous joindre, au plaifir d’être ému