
P O È M E , f. m. Poéfie. Un Pointe eft une
imitation de la belle nature, exprimée par le discours
mefuré.
L a vraie Poéfie confiftant eflenciellement dans
Limitation, c’eft dans l ’imitation même que doivent
fe trouver fes différentes divisions. :
Les hommes aquièrent^la connoiflance de ce
qui eft hors d’eux-mêmes par les ieux ou par
les oreilles , parce qu’ils voient les chofes eux-
mêmes , ou quils les entendent raconter par les
autres. Cette double manière de connoître produit
la première divifion de la Poéfie, & la partage en
deux efpèces , dont l ’une eft dramatique, où nous
entendons les difcours diretts des perfonnes qui
agiffent, l ’autre épique , où nous' ne voyons ni
n’entendons rien par nous - mêmes directement, où
tout nous eft raconté.
A.ut agitur res in fcenis , aut acla refertur.
Si de ces deux efpèces on en forme une troifième
qui foit mixte , c’eft à dire, mélée de l ’épique 8c
du dramatique , où il y ait du fpeCtacle 8c du
récit ; toutes les règles de cette troifième efpèce
feront contenues dans celles des deux autres.
- Cette divifion , qui n’eft fondée que fur la manière
dont la Poéfie montre les objets, eft fuivié
d’une autre qui eft prife dans la qualité des objets
mêmes que l ’on traite dans la Poéfie.
Depuis la Divinité jufqu’aux derniers infeétes,
tout ce à quoi on peut fuppofer de l ’aétion eft
fournis a la Poéfie , parce qu’il l ’eft à ■ l ’imitation.
Ainfi , comme i l y a des dieux , des rois , de
fimples citoyens, des bergers y des animaux , & que
l ’art s’eft plu à les imiter dans leurs avions vraies
ou vraifemblables ; il y a aufli des opéra , des tragédies
, des comédies , des paftorales , des apologues
: & c’eft la fécondé divifion j dont chaque
membre peut être encore foudivifé , félon la
diverfîté des objets, quoique dans le même genre.
Ces diverfes efpèces de Poèmes ont leur ftyle
& leurs règles particulières, dont il eft parlé fous
chaque article ; c’eft affez d’obferver ici que tous
les Poèmes font deftinés à inftruire ou à plaire,
c’ eft à dire que , dans les uns l ’auteur fe propofe
principalement d’inftruire, 8c dans les autres, de
p la ire , fans qu’un objet exclue l’autre. L ’utile domine
dans le premier genre ; l ’agrément, dans le
fécond : mais dans l ’un, l ’utile a befoin d’être paré
de quelque agrément, & dans l ’autre l ’agrément
doit être foutenu par l ’utile ; fans quoi le premier
' paroît dur , fec, & trifte j l ’autre fade, infipide, 8c
vide. ( Le chevalier DE 3AU c o u r t , ) -
Qbfcrvfitions fu r les caractères propres àu ftyle
. ordinaire , à celui dé VÉloquence, & à celui
de la Poéfie.
II y a bien long temps que l ’on cherche à
donner une définition du Poème, & a tracer les
limites exa&es qui féparent les perfeélions de
l ’Eloquence de celles de la Poéfie. Suivant Arif-
tote , la mefure des vers ou le ftyle profaïque ne
diftingue pas fufHfamment l’hiftorien dû poète ;
c a r , dit ce philofophe , quand on mettroit Hérodote
en vers , on ne feroit pas de fon ouvrage
un Poème. Ces deux efpèces de productions diffèrent
eflenciellement, en ce que dans les unes
on raconte les chofes comme elles ont été , &
dans les autres comme elles auroient pu être.
(Arift. poe't.) Depuis que ce doCte Grec a mis
cette queftion fur le tapis 8c l ’a réfolue le mieux
qu’il a pu , on l’a renouvelée des milliers de
fois ; & cependant elle eft prefque toujours demeurée
, au moins en partie , indécife. Ceux - la
peut- être ont touché le plus près du but, qui
ont dit que le Poème eft un difcours parfaitement
propre à exciter le fentiment, ou, comme s’exprime
M. Baumgarten , Poema eft fenfitiva oratio per-
fecla. Cependant cette définition rt’eft pas com-
plette , & ne détermine pas fuffifamment le caractère
diftinCtif du Poème , parce qu’il refte quelque
chofe de trop indéterminé 8c de trop vague
dans l ’idée de ce qu’on nomme parfait.
La chofe ne fauroit, après tout, être autrement ;
car le difcours ordinaire , tel que l ’orateur l ’emploie
, & celui qui eft mis en oeuvre par le poète,
produifent des ouvrages qui diffèrent plus tôt en
degrés , que par des caractères éflenciels qui en
faflent des'efpèces réelles. Or dans des fujets
de cette nature on ne -fauroit marquer les limites
où les efpèces commencent , & celles où elles
ceffent : cela eft aufli impoflible que de dire
quelle eft l’année où le jeune homme entre dans
l ’âge v i r i l, & celle où l ’homme fait paffe à la
vieillefle. Ainfi, l ’on ne doit pas être étonné,
s’i l exifte des ouvrages fur lefquels on eft embar-
raffé de dire s’ils apartiennent à l ’Éloquence ot|
à la Poéfie'.
Nous allons cependant eflayer d’indiquer, avec
autant de précifion qu’il nous fera poflible , les
caraClères propres au ftyle ordinaire , à celui de
l ’Éloquence, & à celui de la Poéfie.
L e difcours ordinaire eft un fimple récit des
chofes pour les préfenter telles; que nous le
penfons : il n’y eft queftion que d’exprimer clairement
& fans détour ce qui eft préfent à notre
efprit ; & nous fommes contents des expref-
fions , pourvu qu’elles foient déterminées & intelligibles.
L ’Éloquence veut plus de circonfpeCtion
& d’aparat : fon but n’ eft pas Amplement de fé
faire Comprendre, mais de procurer la réuffite de
quelque deffein qu’elle a en vue ; & pour cet effet
elle pèfe attentivement tout ce qui peut concourir
à cette réuffite : parmi les différentes idées qui fè
préfentent, elle choifit les meilleures & lès plus
convenables 5 elle les arrange de manière à aug-
| menter leur force > elle emploie les expreffions les
plus heureufes ; elle cherche à donner au difcours
une force perfuafive, une énergie propre à faire
prendre aux auditeurs la réfolution que l ’orateur
veut leur’ infpirer ; il fait.ufage pour cela du ton
& de la cadence des mots, en un mot il ne perd
pas un inftant de vue les auditeurs fur lefquels i l
veut produire des effets. La Poéfie au contraire
s’applique plus tôt à exprimer vivement les objets
qu elie fe repréfente, qu’à produire certains effets particuliers
fur les autres. Le poète eft lui-même vivement
touché ; fon objet lui infpire de la paflion , ou
du moins le met en verve j il ne fauroit réfifter
au défît qu’il a de manifefter ce qui fê paffe au
dedans de lui , i l eft entraîné : ce qui l ’occupe
principalement, c’eft de peindre,avec énergie l ’objet
qui l’affeCte , & de manifefter en même temps
l ’impreffion qu’i l fait fur lui j il parle , quand
même perfonne ne devroit l’écouter , parce qu’il
ne dépend pas de lui de fe taire dans ’ i ’émolion
qu’il éprouve : cela donne à ce qu’ il dit un air
extraordinaire , un ton fanatique , tel qu’eft celui
de tout homme qui , au fort de quelque paflion,
s’oublie eu quelque façon lui - même , & fe conduit
en pleine compagnie comme s’il étoit fe u l,
ne raportant fes “difcours & fes aCtions qu’à fes
idées & à fes fentiments.'
Il femble que ce foit précifément ce ton fanatique
, plus ou moins fenfible dans le langage du
poète , qui fait le caractère propre de tout Poème,
& qu’il faille aller chercher la fource de la Poéfie
dans ce défbrdre de l ’âme qu’on nomme Enthou-
fiafme, où la préfence de certains objets jette les
imaginations vives , les génies ardents. L e filence
des paffions , le calme de l ’âme , n’enfanteront
jamais rien de poétique. Il eft vrai que , depuis
ue la Poéfie eft devenue un art, l ’imitation eft
mule de la nature ,* & le poète feint des mouvements
& des fentiments qui n’exiftent point au
dedans de lu i , ou du' moins qui y font beaucoup
Îdus foibles : ainfi, l ’on foupçonne aifément que
es poètes ne penfent 8c ne fentent pas toujours
•ce qu’Ms difent , & que ce n’eft point malgré
eux que le coeur force la bouche à parler. Il en
eft comme de la Danfe, qui*, dans fon origine , étoit
une marche impétueufe dont les pallions régloient
les pas j encore aujourdhui les peuples fauvages,
qui n’ont jamais appris à danfer , ne danfent que
dans le tranfjport de quelque paflion : mais dans
les lieux où 1 art de la Danfè eft cultivé , on danfe
-de fang froid , en feignant cependant de fuivre
les impulfîons de quelques mouvements plus forts
que ceux de la fimple nature. Que la Poéfie &
la Danfe ayent cette affinité, c’eft ce qui réfulte encore
du befoin qu’elles ont l ’une & l ’autre d’être
fécondées par la Mufique : celle - ci entretient le
fentiment & échauffe de plus en plus l ’imagination
; c’e ft, pour ainfi dire , un chant qui berce
le poète & le danfeur , de façon qu’ils s’oublient
eux-mêmes & demeurent entièrement dépendants
du fentiment qu’ils éprouvent.
Gramm. et Littérat, Tome III,,
.En dèvelôpant ainfi l’origine de la Poefie, on
parvient toujours mieux à en affigner le vrai caractère.
Quiconque réfléchit fur la fîtuation où
l ’âme doit fe trouver, pour que le difcours prenne
un ton aufli extraordinaire que l ’eft celui du Poème,
s'appercevra que c’eft de cette fîtuation même que
dérive principalement ce qu’il y a de propre &
de caraCtériftique dans le langage poétique : &
voilà par conféquent où i l faut chercher 1 eflenco
de la Poéfie.
D ’abord le ton du difcours eft analogue au caractère
du fentiment. Le poète ne fauroit parler
d’une ’manière aufli aifée & aufli naturelle qu’on
le Hit dans le difcoursordinaire', où le fentiment
eft toujours uniforme. Mais quand un fentiment
plus v if l ’anime , on en remarque le mouvement
par une forte de rhythme ou de cadence qui en
eft l ’effet immédiat ; & tant que le même fentiment
dure , fans accroiffement ou diminution trop
fenfibles, le rhythme ne varie point. Celui qui
fait des fauts de joie, fautera tant que fa joie
durera ; fi quelque chofe l ’augmente, i l fautera,
plus fort ; fi elle fe ralentit> fes fauts fe raient
tiront &' finiront avec l ’émotion qui les caufoit.
I l en eft de même des parties du difcours 8c des
termes qui les expriment : leur ton & leur cadence
correfpondent au fentiment intérieur j 8c
comme ce ton influe fur les fens en ébranlant les
organes, il entretient & fortifie à fon tour le fentiment.
C’eft par ce moyen qu’on peut Ce faire
quelque idée de l ’origine des vers, qui d abord ont
fans doute été fort mal tournés , mais auxquels
enfui te l ’art a donné toutes les formes 8c façons
dont ils font fufceptibles. Suivant cela on peut
dire que la Verfification a une liaifon naturelle
avec la Poéfie.
Cependant, comme la cadence rhythmique n’eft
pourtant qu’un des effets particuliers de la verve
poétique, & que , fans les règles auxquelles l ’art
a depuis 'affujetti la conftru&ion des vers , toute
forte de difcours peut avoir fon rhythme ; le defaut
d’une verfification régulière nous met en droit de
refufer à un difcours Amplement rhythmique le
nom de Poème , parce qu’il lui manque encore
un des caractères diftinCtifs de la Poéfie. Avouons
néanmoins qu’il fe trouve infailliblement, dans
tout difcours qui eft le fruit d’une verve poétique
, quelque arrangement périodique tout autre
que celui du • difcours ordinaire , 8c meme
de.s morceaux d’Éloquence : ainfi, la profè poétique
a toujours des tours & des tons par lefquels elle
fe diftingue. Il s’enfuit clairement delà que depuis
que la Poéfie eft devenue un a r t , les règles
de la verfification doivent être obfervées dans tout
Poème ; mais que malgré cela le défaut de cette
obfervation ne tire pas , de laclafle des ouvrages
poétiques , ceux qui ont d ailleurs les caraCteres
propres à la Poéfie.
Néanmoins la verfification n’eft pas la le ù k
&