
faire quelques obfervations, que je crois néceflaîres >
fur cet objet.
Notre grammairien philofophe dit que la Proportion
eft un aflembiage de mots q u i, par le
concours des différents raports qu'ils ont entre eux ,
énoncent un jugement ou quelque confidération particulière
de 1 efprit, qui regarde un objet comme
te l : i l me femble qu'il y a quelque inexaétitude dans
cette définition.
Le foui mot latin moriemur, par exemple, eft
une Propojition entière, & rien n'y eft foufen-
tendu ; la terminaifon indique que le fujet eft la
première perfonne du pluriel ; & dès qu’il eft déterminé
par l à , on ne doit pas le fuppléer par
™os p parce que ce feroit tomber dans la périffo-
lo g ie , ou du moins introduire le pléonafme : or
la conftruéfcion analytique, loin de l'introduire ,
a pour objet de le fupprimer , ou du moins, d’en
faire remarquer la rédondance par raport à l'intégrité
grammaticale de la P ropojition. Si donc
moriemur eft une P ropojition pleine, on ne doit
point dire que la P ropojition eft un aflembiage dè
mots.
L auteur ajoute qu’elle énonce un jugement ou
quelque confidération particulière de l'efprit, qui
regarde un objet comme tel : i l prétend par là
indiquer deux fortes de Propofitions ; les unes
directes, qui énoncent un jugement j les autres indirectes,
qu'il nomme .fimplement énoiïcîatives y
& qui n’entrent, d it - il, dans le difoours que pour
y énoncer certaines vues de l'efprit. Tout cela, fi
je ne me trompe , eft véritablement quid unum &
idem en voici la preuve.
Nous parlons pour tranfmettre aux autres hommes
nos connoiffances ; & nos eonnoiflances ne
font autre chofe que la perception de l ’exiftence
intellectuelle des êtres, fous telle ou telle relation
à telle ou telle modification. Si un être a
véritablement en foi la relation fous laquelle il
exifte dans notre efprit, nous en avons une con-
noiflance vraie : s'il n'a pas . en foi la relation fous
laquelle il exifte dans notre efprit, la connoiflance
-que nous en avons eft fauffe : mais vraie ou fauffe,
cette connoiflance eft un jugement, & l'expreflion
de ce jugement eft une Propojition. « I l n'y a
» autre chofe dans un jugement , dit s’Gravefande
Ihtrod. à Là Philof. l i v . i i , chap. 7 , 7z°. 401),
» qu’une perception » : & i l venoit .de dire (n°. 400),
que la perception- de la relation qu'il y a. entre
deux idées , s’appelle jugement. » Pour qu'un
» jugement ait lieu, dit - i l encore, deux idées
» doivent être préfentes à notre âme . . . . dès
» que les idées font préfentes , le jugement fuit ».
Je ne diffère de ce philofophe que par l'expreflion:
i l dit deux idées , & je détermine, moi , l'idée
d'un fujet & celle d’un attribut $ c'eft un peu plus
de précifion : i l dit que les deux idées doivent être
préfentes à notre âme, & moi , je dis que ,1e fujet
^xifte dans notre efprit fous une relation ^ quelque
modification : on verra ailleurs pourquoi j'aime
mieux dire exiftence intellectuelle, que préfence
dans notre âme. ( Voye\ Verbe )$, il fuffit ici
que l'on fente que ces expreffions rentrent dans le
même fens. .Quant au fonds de la doCtrine qui nous
eft commune, c’eft celle des meilleurs logiciens
ou métaphyficiens j & fi on lit avec l’attention
convenable les deux premiers chapitres du premier
livre de la Recherche de la vérité’, & le troifïème
chapitre de la fécondé partie de Y A r t de p enfer, on
n’y trouvera pas autre chofe.
Cela étant, je le demande , quelle différence
y a-t-il entre un jugement qui eft la perception
de l ’exiftence intellectuelle dun fujet fous telle
relation à telle manière d'être ,. & ce queg du
Mar fais appelle une confidération particulière
de V 'e f p r i t qui regarde un objèt comme tel ?
L ’efprit ne peut regarder cet objet comme tel
qu'autant qu'il en aperçoit en foi-nlême l ’exiftence
fous telle manière d'être ; car ce n’eft que par là
qu'un objet eft tel. Ainiï, il faut convenir qu'il
n'y a en effet qu’un jugement qui puifle être le
type ou l ’objet d'une P ropojition ; & je conclus qu'il
faut dire qu’une Propofîtion eft l ’expreflion totale
d’un jugement.
Que plufieurs mots foient réunis pour cela , ou
qu’un feul, au moyen des idées accefloires que
l ’ufage y aura attachées , fuffife pour cette fin ;
rexpreflion eft totale , dès quelle énonce l'exif-
tence iotelle&uelle du. fujet fous telle relation à
telle ou telle modification. De même encore , que
le jugement énoncé foit celui que l'on fe propofe
directement de faire connoître, ou qu’il foit fu-
bordonné d’une manière quelconque à celui que
l'on envifage principalement j c'eft toujours un
jugement, dès qu’il énonce l'exiftence intellectuelle
du fujet fous telle relation à telle modification 5
& l'expreflion totale , foit du jugement direCt, fojt
du jugement indireCt & fubordonné, eft également
une Propofition.
Je réduis à deux chefs les obfervatiofts que la
Grammaire eft chargée de faire fur cet objet,
qui font la matière & la forme de la Propofition.
I. La matière grammaticale de la P ropojition t
c'eft la totalité' des parties .intégrantes dont elle peut
être compofée, & que l ’analyfe réduit à deux, favoir
le Sujet & l'Attribut.
Le Sujet eft la partie de la Propofition qui exprime
l ’être dont l'efprit aperçoit l’exiftence fous
|elle ou telle relation à quelque modification ou
manière d'être, j
L'Attribut eft la partie de la Propofition qui
exprime l'exiftence intellectuelle du fujet fous
cette relation à quelque manière d’être.
Ainfi , quand on dit Dieu ejl ju fle , c’eft une
Propofition qui renferme un Sujet, D ieu , & un
Attribut, ejl ju jle . Dieu exprime l'être dont l'efprit
aperçoit l'exiftence fous la relation de convenance
avec la juftiee ; eft ju jle en exprime l ’exiftence
fous cette relation ; e f t , en particulier, exprrme
l ’exiftence du Sujet ; ju jle en exprime le raport
de convenance à la juftice. Si la relation du Sujet
à la manière d'être eft de difconvenance , on met
avant le verbe une négation ,- pour, indiquer le
contraire de la convenance, Deus n o n ejl men-
dax.
L ’Attribut contient ejjenctellement le verbe f
dit du Marfais, parce que le verbe ejl dit du
Sujet, « Si l’Attribut contient eflenciellement le
» verbe , i l s'enfuit, dit l'abbé Fromant ( Suppl,
a u x chap. 13 & 14 de la I I partie de la Gram,
génér. .) » que le verbe n'eft pas une fimple liai-
» fon ou copule ,. comme la plupart des logi-
» ciens le prétendent ; il s’enfuit qu'il n’y a point
» de mot qui foit réduit à ce feul ufage. Ainfi,
» quand on dit Dieu ejl tout-puijfant j ce n'eft
» pas la toute-puiflance feule que l'on reconnoît
» en Dieu, c’eft l ’exiftence avec la toute-puiflance :
» le verbe eft donc le figne de l'exiftence réelle
» ou imaginée du fujet de la P ropojition auquel
» i l lie cette exiftence & tout le refte ». I ln ’étoit
pas poffible de mieux dèveloper les conféquences
du principe de du Marfais, & je ne fais même fi
ce philofophe les avoit bien envifagées j car partout
où il parle du verbe, il femble en faire principalement
confifter la nature dans rexpreflion d’une action.
( Voye\ Accident, Actif, Conjugaison. ; Il eft
vrai que l ’abbé Fromant tourne ces conféquences en
objection, qu’i l croit que le verbe fubftantif ne
fignifie que l'affirmation , & que la définition que
MM. de Port-Royal donnent du verbe eft tr-ès-jufte.
» C a r , d it - il, quand je dis Dieu ejl tout-puif-
» fian t, c'eft là toute-puiflance feule que je re-
» connois , que j'affirme en Dieu pour le moment
» préfent : il ne s’agit point de l'exiftence, elle
•» eft fuppofée & reconnue j le verbe e jl ne fignifie
» que la fimple affirmation de l'Attribut pout-
» p uijfant, qu’il lie avec le Sujet Dieu ». Ce
qui trompe ici le favant Principal de Vernon,
c’eft l'idée de l’exiftence : il n'eft pas queftion de
l ’exiftence réelle du fujet, mais de fon exiftence
intellectuelle, de fon exiftence dans l'efprit de
celui qui parle, laquelle eft toujours l'objet d'une
propofition , & que je ferai voir être le caraCière
eflenciel du verbe. ( Voye\ V erbe.) Ainfi, loin
d’abandonner le principe de du Marfais , à caufe
des conféquences qui en fortent, je les regarde
comme une confirmation du principe, vu qu elles
tiennent d'ailleurs à ce qu’une analyfe rigoureufe
.nous aprend de la nature du verbe. Difons donc avec-
nôtre grammairien-philofophe , que l'Attribut commence
toujours par le verbe.
Le Sujet & l'Attribut peuvent être , 10. Amples
ou compofés, 2.0. incomplexes ou complexes.
i 0- Le Sujet eft fimple, quand il préfente à 1 efprit
un être déterminé par une idée unique. Tels
font les fujets des Propofitions fuivantes : Dieu
eft éternel ,* les hommes font mortels ; la gloire
qui vient de la vertu a un éclat immortel ; les
preuves dont on appuie la vérité de la religion
chrétienne font invincibles j craindre Dieu ejl le
commencement de la fagejfe. En effet ^ D ieu exprime
un Sujet déterminé par l'idée unique de la.
nature individuelle de l'Etre fuprême ; les hom-
mes} un fujet déterminé par la feule idée de la
nature fpécifique commune à tous les individus de
cette efpèce; la gloire qui vient de la vertu-, ua
Sujet déterminé par l ’idée unique de la nature générale
de la gloire reftreinte par l ’idée de la vertu
envifagée comme un fondement particulier j les
preuves dont on appuie les■ vérités de la religion,
chrétienne , autre Sujet déterminé par l'idée unique
de la nature commune des preuves reftreinte pat
l'idée de l'application à la vérité de la religion
chrétienne ; enfin ces mots, craindre Dieu , pré-
fentent encore à l ’efprit un Sujet déterminé par l ’idée
unique d’une crainte a&uelle reftreinte par l'idée
d’un objet particulier, qui eft Dieu-
Le Sujet au contraire eft compofé, quand il comprend
plufieurs Sujets déterminés par des idées différentes.
Ainfi, quand on dit, La f o i , Vefpérance ,
& la chanté fo n t trois vertus théologales ; le Sujet
total eft compofé, parce qu'il comprend trois
Sujets déterminés , chacun par l'idée caraâériftique
de fa nature propre & iudividuelle. Voici une
autre Propofition dont le Sujet total eft pareillement
compofé en apparence , quoiqu’au fonds il
foit fimple : Croire à VÉvangile & vivre en païen,
ejl une extravagance inconcevable ,* il femble
que croire à VÉvangile foit un premier Sujet partiel
, & que vivre en pdien en foit un fécond z
mais l'Attribut ne peut pas convenir féparément à
chacun de ces deux prétendus Sujets, puifqu'on ne
peut pas dire que croire à VÉvangile ejl une
extravagance inconcevable ; ainfi, i l faut convenir
que le véritable Sujet eft l'idée unique de la réunion
de ces deux idées particulières , & par conféquent
que c'eft un Sujet fimple.
Ge que j’appelle ici Sujet compofé, du Marfais
le nomme Sujet multiple; & c'eft, dit-il, lorfque ,
pour abréger, on donne un Attribut commun à plufieurs
objets différents.
Malgré l ’exa&itude ordinaire de ce favant grammairien
, j’ôfe dire que l'affertion dont i l s’agit
eft une définition fauffe ou du moins hafkrdée,
puifqu’elle peut faire prendre pour Sujet multiple
ou compofé un Sujet réellement fimple. Quand on
d it , par exemple ,• Les hommes fon t mortels , on
donne , pour abréger , l ’Attribut commun fon t mortels
à plufieurs objets différents ; & c’eft au lieu
de dire Pierre e jl mortel, Jaques ejl mortel, Jean
ejl mortel, &c : on pourçoit donc conclure de la
définition de du Marfais , que le Sujet les hommes
eft multiple ou compofé, quoiqu’il foit fimple &
avoué fimple par. cet auteur : Un 'Sujet fimple,
dit-il, ejl énoncé en un feu l mot ; le foleil eft le vé,
Sujet fimple au fingulier 9 les aftres brillent, Suje$
fimple au pluriel.
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