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» la Souabe ^ de l'Autriche , & de la Thu-
»-ringe ».
L a Poéfie n’étant point alors , comme aujour-
dhui , l ’amufement d'un petit nombre de perfonnes
fenfibles, dont le génie, excité par les beautés
des Poètes grecs & romains, qu’ils ont apris à
connoître en fefant leurs Humanités , fe propôfe
de les imiter : elle étoit, comme l ’exige fa nature
, une occupation réelle, à laquelle les moeurs
du temps donnoient lieu , & qui à fon tour in-
fluoit fur les mêmes moeurs. L a collection de Min-
nelïnger, dont nous avons fait mention, ne contient
à la vérité prefque que des pièces galantes ;
mais la galanterie n’etoit pourtant pas alors l ’unique
objet de la Poéfie: i l nous eft parvenu des
productions poétiques de ces temps-là dans divers
autres genres ; des fables , des moralités, & même
des morceaux épiques fur les exploits de chevalerie.
En général, il paroît que la Poéfie d’alors
étoit tout a fait dans le goût de celle des Poètes
provençaux , dont les recueils françois fourniffent
quantité de monuments , & fur laquelle Jean
Noftradamus , frère de l ’aftrologue de ce nom,
a donné des détails afiez circonftanciés. Les ouvrages
épiques que ces Poètes ont enfantés, révoltent
, i l eft vrai , par l ’abfurdité du merveilleux
dont ils font remplis ; la fuperftition y règne auffi
dans toute fa force : mais le caractère des personnes
qu’on y fait parler & agir , & le génie
du Poète , ne fauroient être des objets indifférents.
Dès le commencement du quatorzième fiècle,
les Poètes fouabes baifsèrent beaucoup ; & dès le
milieu , ils avoient prefque entièrement dégénéré ,
de forte qu’il ne refta prefque aucune trace de
bonne Poéfie. L a foule des maîtres - chantres' qui
parurent dans les quinzième & feizième fiècles,
ni en particulier l ’auteur de l ’énorme ouvrage dramatique
du dernier de ces fiècles, ne méritent aucune
place dans l’hiftoire de la Poéfie. Mais la
réformation vint influer favorablement fur une branche
intéreflante de la Poéfie : on a des cantiques
de cette date , qui ont exactement le langage &
le ton qui conviennent à cette forte de Poéfie;
cependant le nombre en eft trop p etit, par ra-
port à ceux d’un ordre fubalterne , pour faire époque
dans l ’hiftoire de la Poéfie allemande, q u i,
depuis les Poètes fouabes jufqu’au feizième fiècle j
parut éteinte, malgré la foule innombrable de
rimeurs que produifit cet intervalle de temps.
Les moeurs & le goût de la nation paroiffent
avoir été alors en contrafte avec la Poéfie ; on
aimoit mieux fie livrer à l ’amertume des difputes
théologiques , qu’aux agréments des objets de l’imagination
& du fentiment. Les deux ftrafbourgeois
Jean Fifchard & Sébaftien Brand , qui vécurent
ÿers la fin du quinzième fiècle & au commencement
du feizième, quoiqu’ils fufient l ’un & l ’autre
véritablement' doués du génie poétique, ne firent
aucune impreflîon fur leurs contemporains ; & leur
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exemple prouve fuffifamment que tout étoit alors
contraire a la Poéfie : les gens du grand monde ne
s en foucioient plus ; elle avoit été abandonnée à la
merci du peuple, qui l ’avoit cruellement défigurée
& mife dans l ’état ou on la voit encore dans les
oeuvres de Hans Sachfe.
Dans la première moitié du dix-feptième fiècle
parut Martin O p itz , que les Poètes récents de
1 Allemagne regardent comme le père de la Poéfie
renouvelée : non feulement il avoit le génie d’un
P o è te , mais il connoifioit fuffifamment les anciens
pour fe former fur eux; & avec cela , il
favoit fa langue de manière à joindre, à la pureté
& à la force des expreflïons, l ’harmonie & la cadence
des mots.
Après un auffi long efpace de temps, pendant
lequel la Poéfie allemande avoit été plongée dans
la barbarie , ce grand Poète étoit, non feulement
capable d’exciter par fon exemple d’autres beaux
génies a cultiver la vraie Poéfie, mais encore à
en infpirer le goût à toute la nation. Cependant
ni l ’un ni l ’autre n’arriva : i l fe pafia encore près
d’un fiècle , pendant lequel l ’Allemagne , quoiqu’elle
eût fous fes ieux les chef-d’oeuvres d’Qpitz»
remplis des penfées les plus heureufes & des ex-
prefîions les plus coulantes , produifit une, foule
de mauvais P o è te s , qui ne méritoient aucune
attention ni par le choix des fu jets ni par la manière
de les traiter : & bien qu’on entrevît par ci , par là
quelques étincelles de genie poétique , par exemple
, dans les petites pièces d’un Logau & d’un
Wernicke , cela n’empéchoit pas que toute la L ittérature
allemande ne fût infe<ftée d’un double vice ;
favoir, d’un coté, de l ’amour puéril du faux merveilleux
; & de l ’autre, d’un goût bas & tout à fait populaire.
Ce n’eft donc que vers le milieu de ce fiècle
qu’on a vu le génie le plus brillant s’élancer avec
véhémence à travers l ’épaiffeur de ces ténèbres, &
que l ’Allemagne a donné des preuves démonftra-,
tives qu’elle renfermoit dans fon fein des Critiques
& des Poètes du premier ordre. Bodmer, Haller,
Hagedorn ont été les premiers qui .ont levé de
deflus cette contrée l ’opprobre de la barbarie poétique.
Depuis trente ans, nous avons vu naître
les plus beaux génies , des Poètes également recommandables
par leurs agréments & par leur
force ; nous ne pouvons plus douter que le même
feu célefte, dont Homère, Pihdare, & Horace
furent animés , ne foie defeendu d’en haut fur l ’A l lemagne
: tout cela femble nous promettre actuellement
un beau fiècle pour la Poéfie allemande.
Mais l ’efprit & la façon de penfer de cette partie
de la nation, dont les-fuffrages pouvoient procurer
de la gloire aux Poètes & donner à leurs productions
une véritable influence fur le caractère
& les moeurs-des hommes ; cef efprit, dis-je , &
cette façon de penfer ne fe manifeftent pas encore.
Peut - on efpérer que ceux , fans le fecours
defquels la Poéfie demeurera toujours le fimple
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amufement d’un petit nombre d amateurs, feront
enfin ce que l ’on attend & ce que l ’on a droit
d’attendre d’eux? Verra-t-on le* temps où le fentiment
délicat du bon & du beau fe répandra &
prévaudra tellement chez la partie la plus confi-
dérable de la nation , qu’il remplacera l ’ancien
efprit de chevalerie & cette galanterie héroïque
qu’infpiroient autrefois les Poètes fouabes ?
Les Poètes allemands paroitront - ils enfin des
hommes importants aux ieux de cette partie de
la nation ? Exiftera-t-il des Poètes qui ne foient
pas Amplement excités, par la vivacité du génie &
par l ’ardeur de la jeuneffe, à l ’étude- & à l’imitation
des beautés qu’offrent les anciens , mais qui
feront vivifiés eux-mêmes par le génie poétique
qui infpira Homère , Sophocle , Euripide-, & fur
lequel roulent les magnifiques odes d’Horace au
peuple romaih ? ( Lib. m , odes v & vj > épod. vij
& xvj ). La Poftérité pourra répondre un jour à ces
queftions. ( M. DE S ulzer. )
P oète bucolique, Poéfie. Les Poètes bucoliques
font ceux ‘ qui ont décrit en vers la vie
champêtre, fes amufements, & fes douceurs. L ’ef-
fence de leurs ouvrages confifte à emprunter, des prés,
des bois, des arbres, des animaux, en un mot
de tous les objets qui parent nos campagnes , les
métaphores , les comparaifons , & les autres figures
dont le ftyle des Poèmes bucoliques eft fpéciale-
ment formé. L e fonds de ces eipèces de tableaux
doit toujours être, pour ainfi dire , un payfage
ennobli. Le leCteur trouvera les caractères des plus
excellents peintres en ce genre , aux mots E glo-
güë, Idylle , Pastorale. (Le chevalier DE Ja u -
c o u R t . ) -
P oète comique, A r t dramat. L a Tragédie imite
le beau , le grand ; la Comédie imite le ridicule :
de là vient la diftinCtion des Poètes tragiques &
comiques. Comme dans tous les temps la manière
de traiter la Comédie étoit l ’image des moeurs de
ceux pour lefquels on travailloit, on reconnoît,
dans les pièces d’Ariftophane, de Ménandre, de
Plaute, deTérence , de Molière , & autres célèbres
comiques, le goût du fiècle de chaque peuple & celui
de chaque Poète.
L e peuple d’Athènes étoit vain , lé g e r , ineonf-
tant, fans moeurs , fans refpeCfc pour les dieux ,
méchant, & plus prêt à rire d’une impertinence
qu’à s’inftruirè d’une maxime utile : voilà le Public
'a qui Arlfiophane fe propofoit de plaire. Çe n’eft
pas qu’il n’eût pu , s’il eût .voulu , réformer en
partie ce càraCtêré du peuple j en rie le flattant
pas également dans tous fes,vices ; mais l ’auteur
lui-même les ayant tous , il s’eft livré fans peine
au goût du Public pour qüi il écrivoit : il étoit
latirique par méchanceté, ordurier par corruption
de moeurs , impie par goût par defius tout cela ]
pourvu d’une certaine -gaîté d’imagination qui lui
fourniffoit ces idées folles -, ces allégories pifarres
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qui entrent dans toutes fes pièces, & qui en constituent
quelquefois tout le fonds. Voilà donc deux
caufes du caractère des pièces d’Ariftophane, lé goût
du peuple & celui de l ’auteur.
Le Gre c, ne moqueur, par mille jeux plaifants
Diftilla le venin de fes traies méditants ; Aux accès infolents d’une bouffonne joie, ,
La f a g e f fe l ’efprit, l’honneur, furent en proie.
On vit par le Public un Poète avoué
S.’enrichir aux dépens du même joué 5
Et Sociate par lui, dans un choeur de nuées,
D ’un vil amas de peuple attirer les huées.
Lé P lu tu s d’Ariftophane , qui eft une de fes
pièces les plus mefurées, peut faire fentir jufqu’à
quel point ce Poète portoit la licence de l ’imagination
& le libertinage du génie : il y raille le
Gouvernement, mord les riches, berne les pauvres ,
fe moque des dieux,,vomit des ordures ; mais tout
cela fe fait en traits & avec beaucoup de vivacité
& d’efprit , de forte que le fonds paroît plus fait
pour amener & porter ces traits, que les traits ne
(ont faits pour orner & revêtir le fonds.
Ariftophane vivoit 43 6 ans avant Jéfus - Chrift ;
les athéniens , qu’il avoit tant amufés , lui décernèrent
la couronne de l ’olivier facré. De cinquante
pièces qu’i l fit jouer fur le théâtre , i l nous en
refte onze, dont nous devons à Kufter une édition
magnifique, mife au jour en 17 10 , in-folio. L a
comédie d’Ariftophane , intitulée les Guêpes, a
été fort heureufement rendue par Racine dans les
Plaideurs.
Ménandre, un peu plus jeune qu’Ariftophane ,
ne donna point, comme lui , dans une fatire dure &
groflière , qui déchire la réputation des plus gens
de bien ; au contraire, il affaifonna fès comédies
d’une plailanterie douce , fine , délicate, & bien-
féante. La licence ayant été réformée par l ’autorité
desjnagiftrats,
Le Théâtre perdit fon, antique fureur ,
• La Comédie aprit à rire fans aigreur,
Sans fiel & fans venin fut inftruire:& reprendre,
Et plus innocemment dans les vers de Ménandre.
L a mufe d’Ariftophane j dit Plutarque , reflemble
à une femme perdue ; mais celle de Ménandre
reflemble à une honnête femme. De quatre-vingts
comédies que cet aimable Poète avoit faites , &
& dont huit furent couronnées, il ne nous en refte
que des fragments , qui ont été recueillis par le
Clerc. Ménandre mourut à l ’âge de 52, ans, admiré
de fes compatriotes.
Les romains avoient fait des tentatives pour le
Comique, avant que de connoître les grecs: ils
avoient des hilirions , des farceurs, des difeurs de
quolibets, qui amufoient le petit peuple; mais
ce netoit qu’une ébauche groflière de ce qui eft