La Roèfie dramatique en général avoit donc
quelque autre avantage à s’impoferla contrainte du
vers j & cet avantage etoit commun à l’oreille & à la
mémoire : c’étoit pour l’une & l’autre un befoin
plus tôt qu’un plaifir.
La plus grande incommodité des grands théâtres
eft la difficulté d’entendre ce qui elt prononcé de
fi loin : la bouche des mafques en porte-voix , &
les vafes d’airain qu’on avoit placés de manière
a réfléchir le Ton, prouvent le mal par le remède.
Or les vers , dont la mefure eft connue & auxquels
l’oreille eft habituée , donnent la facilité de fup-
pléer ce que l’on n’entend pas, ou de corriger ce
que l’on entend mal. Le feul efpace du mot l’indique
, & l’auditeur remplit le vide des fons qui
lui font échapés. Il en eft de même pour la mémoire.
Ainfi, foit pour entendre les paroles foit
pour les retenir , la marche régulière des vers étoil
d’un grand fecours ; & cela feul l’eût fait préférer à
la profe.
Dans nos petites falles de fpe&acles, la difficulté
n’eft pas fi grande pour l’oreille , nuis elle
eft la même pour la mémoire ; & c’en ferait affez
encore pour qu’on donnât la préférence aux vers,
dont un hémiltiche amène l’autre, & dont la rimé
feule nous rappelle le fens. Voyc\ V e rs &
R im e .
Dans la Comédie , où il y a communément peu
de chofe à retenir , on a été-difpenle d’écrire en
vers; mais dans la Tragédie, dont les détails font
précieux à recueillir & inléreflants à rappeler , le
versa paru néceflaire. On diftingue même , parmi
les ..cpmédies, celles qui méritent d’être écrites en
vers, comme le Mïfanthrope, le Tartufe , les
Femmes fuyantes , le Méchant, la Métromanie ; & celles : qui n’auraient rien perdu à être écrite's
en-profe ; comme Y Étourdi , le Dépit amoureux ,
Y École des femmes, Y École des maris. Il en
eft de même chez les Anciens : on fent qu’Arifto-
phane & Plaute n’avoient aucun befoin de la me-
îure de l’ïambe; on fent que Térence, & vraifem-
blablement Ménandre ? fon modèle , auraient beaucoup
perdu à ne pas exprimer en vers tant de détails,
fi délicats, fi vrais, que l’on aime à fe rappeler.
Mais il y a une raifon plus intéreffante pour
les poètes . d’écrire en vers la Tragédie, & quelquefois
la Comédie,; & cette raifon étoit la même
pour les Anciens que pour nous. Tout n’eft pas
également vif dans le „Comique ; dans le Tragique
, tout n’eft pas également paflionné. Il y a
des éclairciffements, des dèvelopements , des pafi-
fages inévitables d’une fituation à l’autre ; il y a
des récits , des harangues, des délibérations tran-
quiles , en un mot , des. moments. de calme , où ,
n’étant pas. affez émue par l’intérêt de la chofe ,
l’âme demande à être occupée du charme de l’ex-
preffion pour ne pasceffer de jouïr. C’eft alors
que le coloris de la Poéfie doit enchanter l’imagination
, que l’harmonie du vers doit, enchanter
l ’oreille ; & c’ eft un avantage que Racine & Voltaire
ont très-bien fenti, & que Corneille a méconnu.
Les pièces de Racine les mieux écrites
font les plus foibles du côté de l’aflion, comme
Athalie & Bérénice. Dans Voltaire ., comme dans
Racine , les fcènes les moins pathétiques font
celles où il a le ' plus foigneufement employé la
magie des beaux vers : voyez le premier a été de
Brutus i voyez la fcène de Zopire & de Mahomet;
voyez les fcènes de Céfar & de Cicéron, dans Rome
fauvée j voyez de même l’expofition de Bajayet ,
la grande fcène de Mithridate avec fes deux fils ,
& celle d’Agrippine avec Néron , dans le quatrième
aéfce de Britannicus. Corneille a auflides
fcènes tranquiles de la plus grande beauté $ c étoit
même là fon triomphe : mais obfervez qu il y étoit
porté par la grandeur de fon objet, & que toutes
les fois qu’il n'a que des chofes communes a dire,
i l femble dédaigner le foin de les parer & de les
ennoblir. Racine & Voltaire n’ont rien de plus
foio-né que ces détails ingrats ; ils sement des
fleurs fus le fable. Corneille ne fait jamais de fi
beaux vers , que lorfque la fituation l ’infpire, &
qu’elle s’en pafferoit : dès que fon fujct l.abandonne,
il s’abandonne auffi lui meme, & utombe
avec fon fujet. Les deux autres', tout au contraire,
ne s’élèvent jamais fi haut par lexpreffion , que
lorfque la foibleffe de leur fujet les avertit de. fe
foutenir & d’employer leurs propres forces. Tel efl
le grand avantage des vers.
Mais à cet avantage on oppofe le charmé de la
vérité & du naturel, qu’on ne fauroit difputer à
la profe. Dans aucun pays du monde, dit-on,
dans aucun temps , les hommes n ont parle
comme on les fa i t parler fur la Scène ; les vers
font un langage j allie e & maniéré. ^ J en conviens
; mais eft-cc la vérité toute nue qu on çherche
au Théâtre? On veut quelle y foit embellie ; &
c’eft cet embeliiffement qui en fait le charme &
l ’attrait. On fait qu’on va être trompé, & lo a
eft difpofé à l’être , pourvu que ce foit avec agrément
& le plus' d’agrément polfible. C eft donc
ici le moment de le rappeler ce que j’ai dît
de l’illufion : elle ne doit jamais être complété;
& fi elle l’étoit,' le fpe&acle tragique ferait pénible
& douloureux. Les acceftoires de l ’aaion en
doivent donc tempérer l’effet : or ,1 un; des jaccei-
foires qui tempèrent l ’illufion en mêlant le men-
fonge avec la vérité , c’eft l ’artifice du langage ,
-artifice matériel, qui n’eft fenfibl-e q u a i oreille,
& qui n’altère point le naturel de la penfee &
*-du fentiment ; car au fpeétacle il faut bien obferver
que tout doit être vrai pour l ’efprit & pour l’âme ,
& que le menfonge ne doit être fenfible que^pour
.l’oreille & pour les ieux. lien eft donc de la forme
des vers comme de là forme du théâtre; les ieur
& les oreilles font avertis par là que lé fpe&acle
eft une feinte -, tandis que. Tefprit & l ’âme fe 1>
.vient à la vraifemblancé parfaite des f i f c u a t i o n s ,
des moeurs, des fentiment« &' des peintures. Quelle
çft donc en nous, cette duplicité de perception?
C’eft une énigme dont le mot eft le lecrec de la
nature ; mais , dans le fait, rien de plus réel. Voye\
I l l u s i o n .
J’ai déjà fait fentir combien la différence des
deux Théâtres eft à l’avantage du nôtre du côté
de la déclamation & de l ’aétion pantomime. Chez
les Anciens, les accents de la voix, l ’articulation ,
le gefte , tout devoit. être exagéré. Le jeu du
vifage, qui chez nous eft auffi éloquent que la
parole , étoit perdu pour eux; leurs mafques &
leurs vêtements étoient quelque chofe de monf
trueux ; leur ufage de taire jouer les rôles de
femmes par des hommes., prouve combien toutes
les fineffes, toutes les délicateffes de l ’imitation ,
leur étoient interdites par cet éloignement de la
fcène qui en fauvoit les difformités.
C’eft donc une bien vaine déclamation, que les
éloges prodigués à ces grands théâtres ouverts,
où l’on avoit, dit-on, l ’honneur d’être éclairé par
le ciel , chofe auffi incommode dans la réalité
que magnifique dans l ’idée ; à ces théâtres , dis-
je , qu’on n’auroit pas manqué de lambriffer , s’il
eût été poflible , & qu’à Rome on couvrait, faute
de mieux , de voiles foutenues par des mâts & par
des cordages. F o y e ^ T h é â t r e .
• Les grecs avoient tout fait céder à la néceflité
d’avoir un vafte amphithéâtre ; voilà le vrai. Pour
nous y loin nous plaindre d’avoir des_ théâtres
moins vaftes, où la parole & l ’a&ion foient à la
portée de l ’oreille & des ieux , nous devons nous
en applaudir, & tirer de cet avantage, du côté
de l ’aéteur comme du côté. du poète, tout
ce-qui peut contribuer àu charme de l ’illufion.
L’ afteur de Racine ne doit pas être celui d’Ef-
chyle ou d’Euripide ; & autant le poète françois
eft plus délicat, plus correôt, plus varié, plus
fin , autant le comédien doit l ’être ( Voye\ D é c
l a m a t i o n ) . Ainfi, la Tragédie moderne, au
lieu d’être , comme l ’ancienne , une efquiffe de
Michel-Ange , fera un tableau de Raphaël.
Quant à la partie hiftorique de la Tragédie ,
comme je l’ai traitée, fpécialement dans un Dif-
cours qu’on peut voir à la tête du premier volume
des Chef-d’oeuvres dramatiques, je me contente
d’y renvoyer ; & du côté même de l ’art , ce Dif-
cours fervira de fupplément à l ’article qu’on vient
de lire. (M . M arm On t e l . )
T R A N Q U IL IT É , P A IX , CALME. Synon.
Ces mots,, foit qu’on les applique à l ’âme , à la
République, ou à quelque fociété particulière ,
expriment également une fituation exempte de
trouble & d’agitation : mais celui de Tranquilité
ne regarde précifément que la fituation en elle-
même , &c dans le temps préfent, indépendamment
de toute relatioq ; celui de P a ix regarde cette
fituation , par raport au dehors & aux ennemis
qui pourraient y caufer de l’altération ; celui de
Calme la regarde par raport à l ’évènement, foit
pafl'c foit futur, en forte qu'il la défigne. comme
fuccédant à /une fituation agitée ou comme la précédant.
- / .. . -, , ' . . ■ ; -
On a la Tranquilité en foi-même, la i a txw tc
-les autres, & le Calme après 1 agitation.
Les gens inquiets n'ont point de Tranquilité
dans leur domeflique. Les querelleurs ne font g uccc
en- P a ix avec leurs-voifins. Plus la paffiona été ora-
geufe, plus on goûte le Calme. . .
Pour conferver la Tranquilité de 1 État, il faut
faire valoir l'autorite , fans abufer du pouvoir.
Pour maintenir la P a ix , il faut être en état de
faire la guerre. C ’eil encore plus par la douceur
que par la rigueur qu’on rétablit le Calme chez
un peuple révolté. ( L ’abbé GlRARD. )
■ ; N .) TRANSITIF, IV E , adj. Qui fert à faire
paifer , à tranfmettre. Terme de Grammaire. Les
grammairiens entendent communément , fous: la
dénomination de Verbes tranfittfs , lesverbes actifs
dont le fens met le fujet en relation avec un
objet eitérieur fur qui fe tranfrret^ 1 èfiet de 1 action
énoncée par le verbe '& produite par le lu|ef.
Dans ces phrafes , Pierre R A T P a u l, lierre
AIME Paul, les verbes bat & aime lont tran/t• '
tifs ; parce que l ’aûïon phyfique eiprimee par
le premier, & l'aétion morale énoncée par le le -
cond , produifent un effet qui paffe du fujet 1 terre
fur P aul.
Remarquez qu’il y a des verbes actifs, dont
l ’adîion ne paffe jamais fur un objet different du
fujet qui la produit; comme di’ier , fouper, mar- .
cher parler. » Néanmoins , dit la Gramm. gen.
-de P o r t-R o y a l, (Part, ÿ i ch. r8 )., » ces der-
n nières fortes de verbes neutres deviennent quel-
» quefois tranfitifs , lorfqu'on leur donne un
,» fujet, comme ambulare viam , ou le chemin
» eft pris pour le fujet de cette aâion. Souvent
» aufft dans le grec, & quelquefois auffi dans le
» latin, on leur donne pour fujet le nom même forme
» du verbe, comme pugnare pugnam , fervire je r -
» vitutem, vivere virant ». ....
I l paroît que c’ eft uniquement à caufe de l ’ac-
eufatif, que cet auteur regarde ces verbes comme
tranfitifs. Mais àuroit - il,conclu de ■ même en
parlant des verbes de ces phrafes , pugnare contrà
aliquem , loqui a i aliquem, ire in urbern , &c !
Oh non , parce que les accufatifs font ici ^complément
des prépofitions contrà, ad,in. S il s en
tient à c e la , fon opinion fur les veibes tranfitif s
n’eft pas -mieux étayée par les exemples qu U
allègue , qui au fond fe réduifent à ambulare per
viam , pugnare per pugnam , fervtre f er f cm -
tutem vivere per virant ; & j’ai prouvé ailleurs
( voye\ A c c u s a t i f ) , que ce cas eft toujourss
complément d’une prépofition exprimée ou fouf-
entendire. L ’a&ion exprimée par ces fortes^ de
verbes ne peut jamais produire un effet qui le
D d d d z