
Mais que nous connoillions parfaitement ou non
le Samskret, ce qu’on nous en a dit fuffit pour
nous diriger dans la tentative du projet que j’ai
propofé : projet, non d’une écriture univerfelle,
qui peiudroit les objets des id.ée's au lieu des Tons ,
comme notre numération en chiffres arabes, comme
le thinois avec Tes 80000 caractères hiéroglyphiques
, comme la langue univerfelle que le célèbre
Le ibniz imaginoit ; mais d’une langue véritablement
parlée ou propre à l ’être, comme celle qu’avoit
inventée Wilkins, évêque de Chefter, & comme
paroît être le Samskret.
Je crois que cette langue faCtice peut être plus
difficile à compofer que l ’Écriture univerfelle ;
mais je fuis perfuadé auffi qu’elle auroit de bien
plus grands avantages. Plus on auroit aporté de
foins, plus pn auroit eu d’embarras & de peines
à en conftruire le fyftême général, à en affortir
en détail toutes les pièces, à en fixer analogiquement
toutes les familles de mots , à en Amplifier
les règles de fyntaxe ; plus on auroit augmenté la
facilité de l ’aprendre , le défir d’en faire ufage ,
& l ’utilité qui en réfulteroit. I l n’en feroit pas de
même d’une écriture fymbolique : la multitude
prodigieufe decara&ères qu’elle fuppofe ,1e danger
perpétuel de confondre les uns avec les autres ,
préfentent d’abord une quantité effrayante de difficulté
« bien propres à en dégoûter 5 & l ’exemple
des chinois , chez qui on ne trouve pas un lettré
qui puiffe s’affûter qu’ il connoît tous les caractères,
ne confirme que trop l ’idée qu’on doit prendre de
cette manière de peindre les objets.
Je crois, i° . que l ’alphabet de la langue factice
doit adopter les caractères de notre alphabet ;
d’ abord parce que toute l ’Europe y eft accoutumée
, que c eft en Europe qu’i l y a le plus de
lumières, & que . c eft principalement pour l ’Europe
que la nouvelle langue feroit compofée ; en-
fuite parce que ces cara«Stères ont des formes fèn-
fibles & diftinétes , plus difficiles à confondre que
plufieurs caractères de certains autres alphabets. Je
ne veux pas dire pour c e la , qu’il faille conferver
à nos lettres la lignification qu’elles ont aujourdhui,
car je voudrois qu’on adaptât l ’analogie des lignifications
â celle des figures; que, par exemple,
les confonnes foibles fuflent marquées par b , d, m, n}
h y &c , & les fortes, par p , q , vj.,. u , y , &c; :
que les voyelles fuffent défignées par des caractères
qui n’euffent point de correlpondants en figure, comme
a 9 e , c, o , r , x , &c.
11 feroit convenable auffi que l’alphabet pré-
fentât d’abord les voyelles , dans l ’ordre de la génération
phyfique des voix qu’elles repréfenteroient ;
puis les confonnes félon l ’ordre de leurs claffes , &
la foihle immédiatement avant la forte. Voye\
V o ix , V oyelles, Consonnes , &c.
I l conviendroit auffi que les voyelles y fuffent
réfentées d’abord dans leur état primitif, qui eft la
rièveté; puis avec l ’accent de longueur & enfin
£vee un accent de oafalité*
Je crois a0, que le choix des premiers radicaux
de la langue factice ne doit être autre chofe que
le choix des confonnes, ou feules ou combinées
par deux ou par trois, conformément aux vues
indiquées par les obfervations de Wallis dans fa
Grammaire angloife ( 'chap. 14) , par celles du
préfident de Broffes dans fon Train de la forma-
mation méchanique des langues ( chap. 6 ) , &
par celles de M. Court de Gèbelin dans fon Monde
p rim itif analyfé & comparé avec le monde moderne.
Je renvoie à ces ouvrages , pour ne pas entrer
ici dans dès détails qui y feroient peut-être jugés
fuperflus.
Je crois 30. que, dans cette première provifion
de radicaux , on trouvera aifément ceux qui devront
fervir en fous-ordre à titre d’inflexions & de ter-
minaifons. Les vues qu’ on aura en les joignant au
radical primitif , indiqueront le choix qu’il en
faudra faire ; & l ’ordre dans lequel on concevra
ces idées acceffoiues, marquera celui que l ’on devra
fuivre dans le raprochement des radicaux fecon-
daires : l ’idée primitive & fondamentale fera donc
toujours exprimée par le premier radical ; les idées
acceffoires , par les radicaux fecondaires ; & les
idées purement relatives aux vues de la Syntaxe,
idées de genre , de nombre , de cas , de perfonries,,
dé temps, de modes, & c , par les- derniers radicaux ,
qui formeront les terminaifons.
Par exemple, dans la langue latine f u , originairement
iu , qui fe .prononçoit iou , paroît avoir
été le figne primitif de l’égalité, parce que ces
deux voyelles coulent auffi aifement l ’une que
l ’autre : le figne même de l ’égalité entre .des objets
différents, puifque les deux voyelles font différentes
: de là l ’idée de la juftice due à chacun
indifiinCtement. Mais comment peindre cet attachement
à la volonté de rendre à chacun ce qui
lui eft dû ? Les deux confonnes j l , dont la pre-,
mière , comme fifflante, marque une progreffion
libre, •& la fécondé, comme dentale , préfente un
obftacle à cette progreffion , ont paru propres ,
par leur réunion , â marquer la fixité , la confiance :
en raprochant les deux radicaux , on a eu le fy rabote
d’une idée totale iujl ou ju j l . De là font
nés, par l ’addition des terminaifons, l ’adjeCtif ju jl-u s ,
le nomabftrait ju jl- it ia , &c. Du radical primitif
j u , font nés de même j u s , juris ( ce qui doit
être donné également ) ; ju -d e x , qui dit ce qui
apartient à chacun , juge ; ju-dic-ium ,' ce qui fe
dit fur cela; jugement; ju -d iç -a r e, dire ‘activement
fur l ’ égalité , juger ; &c. Voygz(Art. T emps)
comment à. jud ic on a ajouté les inflexions & les
terminaifons relatives aux temps ? aux perfonnes,
aux nombres , aux modes.
Je crois 40. qu’il peut être u tile , dans cette
langue faCtiçe , de donner aux noms & aux adjeCtifs
autant de cas, que l ’on pourra imaginer de raports
différents que io n pourroit exprimer par des pré- -
pofitions ; mais que cela ne doit point exclure les
prépofitions, parce qu’i l doit y'avoir en effet de
la différence , par exemple, entreprudemment &
avec prudence. Cet exemple, meme indiqueroit
que le figne d’un raport ne dort pas elre le même
dans la terroinaifon & dans la prépofition , afin que
la différence des expreflions fort plus lenfible ;
cependant il peut être avantageux que ce forent
quelques éléments de la prépofitron qui laUent la
terminaiftn, pour défigner que des deux cotés il
s'agit du même raport.
I l fuit, ce me femble, de ce qui précède , que
les adverbes de cette langue ne fc formeront pas,-
eomme dans celles que nous eonnoiffons, du mot
adje&if ; l’adverbe n’y fera plus qu un cas particulier
du nom : mais chaque nom fournira autant de
cas adverbiaux, qu’i l y aura de raports differents
exprimés ou exprimables par des prepofitions.
Je crois 50. qu’il feroit avantageux de n’admettre
qu’une feule déclinaifon des noms , ou de ne^ la
différencier que par raport aux genres, qui feroient
le genre comm’fïi pour marquer 1 efpece fans dil-
tin&on de fexe > le genre mafculin , le genre
féminin, & le genre neutre : cela donneront lieu
au plus à quatre déclinaifons des noms,, & à quatre
différences d^ns la- déclinaifon unique des adjectifs.
Je crois 6°. qu’il feroit utile de ne point recourir
aux verbes auxiliaires & de ne conjuguer tous les
temps des verbes que par des inflexions & terminaifons
: qu’il faudroit à peu près comme les hébreux,
mais en plus grand nombre , admettre , pour
les verbes qui en fe r o n t fufceptibles , différentes
voix : quatre voix aCtives pofitives, la Ample ,,
aimer ; l’inceptive , commencer à uzmer ; la défi-
tive , ce f e r d'aimer ; la caufative , faire aimer
( rendre objet d’amour ou d’amitié ) : quatre voix
aCtives graduelles ; la dkninutive, aimer peu ;
l ’augmentative , aimer beaucoup ; la contingente ,
aimer rarement ; la fréquentative, aimer fouvent :
quatre voix aCtives comparatives ; celle d’égalité ,
aimer autant ; celle de fupériorité, aimer plus ; celle
d’infériorité , aimer moins ; la fuperlative , aimer
le plus : enAn , douze voix paffives , corretpon-
dantes , fous les mêmes dénominations, aux douze
voix aCtives qui viennent d’être expofées ; être
aimé, commencer à être aimé, cejfer d'être aime ,
être fa i t aimé ( être rendu objet d’amour qu d’ami-
f-ie ) , être aimé peu , être aimé beaucoup , être
aimé rarement , être aimé fou v ent, etre aime
autant, être aimé p lu s , être aimé moins, être aimé
le plus.
Cela feroit, fous un feul fyftême de conjugai-
fon , vingt quatre jvoix; & il feroit aifé d’en augmenter
le nombre. Par. exemple , fi les caractères
de l’inceptive , de la défîtive , & de la caufative
étoient une lettre ou une (yllabe prépofitive , en
mettant la même particule devant les voix graduelles
& les "voix comparatives , on en formeroit
de nouvelles voix qui les rendroient elles-mêmes
inceptives, déûtives, & caufatives : ce qui donneroit
vingt quatre nouvelles voix aCtives , & autant
de paffives;. & la totalité monteroit à foixante &
dopze.
Ce nombre ne doit pas effrayer ; les caractères
diftinCtifs de chaque voix toujours les mêmes,
toujours placés de la même manière, toujours
affujétis aux mêmes lois , ne manqueront pas de
présenter un enfemble facile à concevoir & à retenir:
mais c’eft peut - être un des plus sûrs moyens de
donner à la nouvelle langue une grande & précieufe
énergie.
Je crois 70. que la grande variété des cas don-
neroit bien de la facilité & de la netteté à la
fyntaxe de régime ; & d’un autre côté , que la
deftinalion précife & diftinClive de chaque cas
donneroit à la nouvelle langue la liberté de fuivre ,
ou à fon gré ou au gré des circonftances , une
marche tantôt analogique & tantôt tranfpofitive :
les inverfions font libres en latin, elles (ont fou-
rnifes à des règles de circonftance en allemand.
Je m’arrête ic i, & peut-être aurois-je dû le faire
plus tôt. Ceux qui ne fentiront-pas , comme moi,
l’utilité de la langue que je propofe , ou qui la
fentant feront effrayés de la peine de l’aprendre ,
regarderont peut - être ce projet comme une chimère
; & quant à l’exécution , ils ne fe tromperont
peut-être pas , quoique le Samskret exifte. Quant
a ceux qui feroient dilpofés à entrer dans mes vûes,
& qui auroient les lumières qu’exigera l’exécution ;
je les ai mis fur la voie, & cela doit me fuffire.
( M . B e a ü z é L . )
( N. ) SAPHIQUE , adj. C’eft ainfi qu’on prononce
ce m ot, & que l’écrit l’Académie, & non
Sapphique , comme il fe trouve dans la première
Encyclopédie. On appelle S a p h i q u e dans la
Poéne grèque & latine , un vers dont on croit que
Sapho fut l’inventrice.
C’eft un vers hendécafyllabe , ou de onzefyllabes
formant cinq pieds, dont le premier eft un chorée
ou trochée., le fécond un fpondée, le troifième un
daâyle , les deux derniers des chorées.
I l eft de règle qu’il y ait une céfure après le fécond
pied, comme dans ce vers d’Horace ;
K u llu s argento color eft , avaris :
ou s’i l refte deux fyllabes au lieu d’une, que la
fécondé'foit élidée par la voyelle initiale du mot
fuivant, comme dans cet autre vers j
Oderit curare y & amara lato.
L ’ufage ordinaire du vers faphique eft d’en réunir