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chercher dans les langues modernes , dans des langues
fans prolodie , 6c privées de i'inverfion ?
Quant à la prolodie , il n’eft: aucune langue qui
n’en ait une plus ou moins décidée , 6c dont un
habile écrivain ne puifle tirer. avantage. Pour Pin-
ver fion j j’avoue que, du cô:c de l'harmonie , elle eft
d’un prix ineftimable ; mais dans les langues où i ’o-
. rateur n’a pas le choix de la place des mots, il a
du moins le choix des mots eux-mêmes, & des
tours qui, dans la fyntaxe, font les plus dociles
au nombre : c’eft avec ces deux feuls moyens de façon*,
ner l'expreflion, que Racine & que MaiSllon ont
fu la rendre harmônienfe. Ceux donc qui regardent
comme puéril ou infîu&ueux le foin dé fe former
l ’oreille au choix du nombre, du mouvement, de
la coupé du ftyle indiquée par la nature, n’ont
quà lire attentivement & les vers de Racine & la
profe de Mafiillon , comme Maflillon 6c Racine
lifoient Cicéron & Virgile.
4°. L ’incife & la Période feront placées parla'
nature même , c’eft à dire , en raifon de leur analogie
avec l ’image ou le fentiment, avec l’impul-
fion donnée au ftyle par les affc étions de l ’àme ,
par la fuccelfion des idées, & par le mouvement
plus lent ou plus rapide , plus foutenu ou plus entrecoupé
, qu’elles impriment au difcours.-
Dans des harangues, dont le genre, eft modéré,
tranquile, fans contention , fans paflion, le ftyle
périodique eft naturellement placé ; & lors même
que l ’artifice en eft fenfible , il ne nuit point à l'o rateur.
Nam quum is efi auditor, qui non vereatur
ne compojitoe orationis infidiis fua fides attente
tur , gratiam quoque habet brcitori voluptati
aurium fervienti. < / ; , r
Dans l ’Éloquence du Barreau , le ftyle périodique
ne doit point dominer. S i enim femper utare% quum
fatietatem affert, tum quale f it etiam ab impe-
ritis agnofcitur; detrahit proeterea aclionis do-
lorem , aufert humdnum Jenfum actorhs , tollii
fuîiditàs veritatem & fidem. Mais i l n’en doit pas
être exclu. Dans la louange, où il s?agit d’amplifier
avec magnificence , -dans une narration qui demande
plus de pompe & de dignité que de chaleur
& de pathétique, dans l'amplification en général,
la Période eft d’un ufage plus convenable & plus
fréquent. Sape etiam an amplificandâ re, con-
ceffii omnium, fanditur numerofè & yolübiliter
or&tio. Id aiLtem tune va let, quum is qui audit
ab oratore jam obfejfus efi ap tenetur. Mais nulle
part il ne faut négliger de varier les môuvements
du f t y l e& lors meme qu’il eft le plus fbfceptible
des dèvelopements de la Période, comme dans les
péroraifons , Cicéron recommande d'y mêler des
inçifes.
Le ftyle coupé , ou en incifes , convient à.l'énumération
, a la-gradation, aux deferiptions animées ,
à l’accumulation, à l’argumentation prenante, aux
mouvements 'palfionoés : Hat: enim ( incifa ) m
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verts caufis maximum partent orationis ohtinenl.
Mais Cicéron demande, aufli qu'aprés un certain
nombre de ces phrafes coupées, il en fuccède une
qui ait plus ' de confiftance • & qui leur ferve de
Capture & d'appui. Deinde omnia, tanquam cre-
pidine quâdam, comprehenfione longiore fu f ii-
nentur. s
Quant a la facilité de palfer de la Période a
l ’in ci fe , le moindre exercice là donne. Il fuftit de-
retrancher le terme qui exprime le raport & la
liaifon des parties de la Période : alors chacune
d'elles fera un fens fini. H is igitur fingulis ver-
fibus ( hexametrorum infiar) quafi nodi apparent
continuationis, quos in ambitu conjungimiis.
•Sin membratim volumus dicere, infifiimus : idquey
quum opus e ft, a b ifio curfu invidiofo facile nos
& foepe disjungimus.
Mais, dans quelque genre d’Éioquence qu'on employé
le ftyle périodique , il faut que la nature
lemble elle-même l’avoir placé Ôc en avoir marque
le nombre. Compofitione ita firucta verba fa i t ,
ut numerus non quesfitus, fed fequutus effe videa-
tur. Cicéron veut que le nombre foit leur dans
les éxpofitions, rapide dans les contentions. Curfum
oohtentiones' ma gis requirunt ; expofitiones rerum,
tarditatem : & il indique les différents moyens de
précipiter ou de ralentir la Période. ,
Il eft quelquefois néceflaire d’abréger la phrale
ou de l'étendre, uniquement pour contenter l ’oreille.
Scepe accidic ut aut citiüs infifiendum f it , aut
longiàs' procedendum , ne brevïtas defraudajfr
aures yideatur, aüt longitude obtudijfe ; & il n’ y
a perfonne qui n’ait fenti cette véri:é en écrivant:
mais ce ne dbit jamais être en employant des
mots parafites 8c luperflus. Ne verba trajiciamus
apertè , quo meliùs aut cadat aut volvatur
oratio.
Cicéron n’eft point de. l’avis de ceux qui pen-
foient que c’étoit affez que le nombre fut fenfible-
à là chute des. Périodes ; & l'on voit que non
feulement il s’appliquoit a fraper l ’oreille en
débutant, & à la fatisfaire en terminant fa phrafe'
par une chute harmônienfe, mais qu’à tous les
fens fufpendi’s il plaçoit un nombre marqué. PUrique
cenfent cadere tantum numerofè oportere ,
terminarique fententiam. E fi autem , ut içL maxime
deceat ; non id fo tum........... quare , quum
aures extremum femper.expédient, in eoque aç-
quiefeant y id vacare numéro non oponet; fed ad
hune exitum tamen à principio fitr i debex ver-
borum illa comprekenfio., & totaàcapite ita fluere,
ut ad extremum veniens ipfa c^nfiflat*
Il recommande fin guM ère ment de varier les de-
finences : In oratione prima pauci cernunt, pof-
trema plerique : quee quoniam apparent & intel-
liguntur, varianda funt j ne aut animorum judi-
cïis repudientur, ne aurium fatietate. .
Tels font, à l’égard du ftyle périodique * les
préceptes de l ’un des plus harmonieux écrivains ea
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éloquence ; & dans toutes les langues il eft poilible
de profiter de fes leçons.
Si l ’on veut avoir fous les ieux la formule de
la Période françoife en voici des exemples.
Période a quatre membres. •
Pourquoi voudriez vou$ être refpeclé dans vos
malheurs ; pourquoi voudriez-vous que Von fu t
fenfible à vos peines ,• vous qui , dans vos prof-
pérités , avl\ montré tant d iiifolencej vous qui
r i avez jamais accordé une larme , un regard aux
infortunes ?
Période à trois membres.
Pourquoi voudriez vous être plaint & refpeclé
dans vos malheurs ; vous qui , ôçc.
Période à deux membres.
Pourquoi voudriez-vous être refpeclé dans vos
malheurs ; vous q u i, dans vos profpérités, avez
montré tant d'hifotence ?
Rompez la liaifon, & ditez : Vous r i avez montre
que de Vorgueil dans vos profpérités. Vous
r i avez pas droit de. prétendre qu’on refpecle votre
infortune. Alors vous aurez des incifès.
Il y avoit, du temps de Cicéron, des hommes,
©u. févères ou envieux, qui trouvoient trop d artifice
dans le ftyle périodique. Nimis enim infi-
diarum, difoient-ils , ad capiendas aures, adhi-
heri videtur, f i , etiam in dicendo, numeri ab
oratore quâeruntur.
Il y en avoit d’autres qui n’y voyoient que de
l ’art, & qui n’en fentoient point l’agrément & le
charme. C’èft de ces ennemis d’un, ftyle harmonieux,
périodique , arrondi, nùmerofoe & aptes orationis ;
c’eft de ces artifans d’un ftyle informe & raboteux
( ipfi infracla & amputata loquuntur), que Cicéron
difôit : Quas aures habeant, autquid in his
hominis fimile f it nefeio. « Mais quelques oreilles
» qu’ils aient, les miennes fe plaifent, ajoutoit-il.
» au fentiment'du nombre & à la-forme reguliere
» & complette de la Période , & ne peuvent s ac-
» coutunier m à des phrafes eftropiées, ni à des
» phrafes redondantes : Niées quidem & perfeclo
» completoque vefborum ambitu gaudènt , &
.» curta fentiunt , nec amant redundantia.
» Ces détracteurs de la Période, pourfuivoit Ci-
» céron, trouvent plus beau un ftyle dur , rompu,
p & mutilé; mais fi la penfée & i’expreflîon-ne
» perdent rien de leur juftefle à rouler enfemble
» jùfqu’à leur repos, pourquoi vouloir que le ftyle
» boite, ou s’interrompe à chaque pas ? m n probes
» res , lecld verba , quid efi pur claudicare aut
» infifiere oratione m malint, quam cum fententia
» pariter excùrrere ? Cette Période, qui leur eft
» odieufe , ne fait autje chofe que d’embraffei 1^
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» penfée’dans un cercle de mots régulier & corn-,
» plet. Hic enim invidus numerus nihtl affert
» aliud, nifi ut f it aptis verbis comprehen Jajen-
»» tentia ».
Par parenlhèfé , il eft affez plaifant que cet invidus
numerus ait fait dire à quelqu’un , que la
Période eft fille de l ’envie. Mais continuons de-
coûter Cicéron. v ''
a Nos anciens s’occupèrent, dit-il, de la penfee
» & de l ’èxpreffion avant que de longer au nombre ;
» car ce qu’il y a de plus néceffuire & de plus
» facile én même temps , eft ce qu’on invente d a-
» bord. Nam qtiod O fa à liu s eft & magis necej-
» farium, id femper amc cognofcieur. Mais des
D quon eut trouvé la Période , tous les grands
» Orateurs l’adoptèrent : q u i inventa omnesujos
» magnos Oratores viiemus. Que fi les détracteurs
O ont des oreilles affez inhumaines, affez fauyages
» pour en méconnoître le charme , n y a-t-iL au
» moins rien qui les ïrape dans l’ezerople S c lm -
» torité des plus favanti maîtres de lArt? t^uod
..» f i aures tam inhurnanaf tamque agreftes hait
’bent 1 ne doéliffimorum quidem virorum eos
» movebit aucloritas ? Ces cenfeurs blâment ceuic
» qu’ils ne peuvent pas imiter & ce qu ils n ont
>, point l’art de faite ; eos vitupérant qui aptd Ce
» finlta pronunciant : 8c il ne leur lu (fit pas quon
» s’abitienne de méprifer leur impuiffance , ils ezl-
» vent qu’on l ’aplaudlffe : qttod qui tion pojfunt ,
» non eft eis fa tis non contemni, la u ian etiam.
n volunt.
» Mais qu’ils effayent de compofer quelques mor-
B ceaux d’une profe nombreufe; & s’ils excellent
b une fois dans ce genre d’écrire, on pourra croirei
B qu’ils n’y ont pas. renoncé, par defefpoir, mais
b qu’ils le blâment fmcèrement & le negligent a
B deffein : Atque ut plané genus hoc quoi ego
» laudo contempfife viieanmr pfinbant altqmd
b vel ïfooraiïco more, vel quo Efchmes aut JJe-
b mofthenes utitur ; cum illos esiftimabo, non
b defperatione formidavijfe genus hoc^, Jed quit
dicio refitgiffe. Et moi, de mon cote, je trou-
b verai, dit-il, quelqu’un qui fera de leur proie
» rompue St difperfée : fa c ilius eft enim apta dij-
b folvere, quam dijfipata conneBcreit.
Mettez la Période mufieale à la place de la
Période oratoire y tout ce que Cicéron a dit de
l ’une , fe trouvera convenir à l ’autre; & vous verrez
alors fi c’eft aux amateurs d’un chant periodiquei
te régulièrement deffiné , ou aux partifans d’un chant
' & t ' . .:id J -a fil n Aim 1 i'aifnn . fans
Du ,1-efte , le mot de Période, en fait de Mu-
fique, eft auffiufité qu’en parlant d’Élo.quençe ■ les
bons écrivains & les hommes inftruits n’appellent
pas autrement le cercle que décrit un chant, dont
les parties fe dèvelopent & fe renferment dans un P Fi