
L a P réoccupation fe décèle d’une manière bien
fenfible , dans les perfonnes à qui il fuffit qu’une
opinion Toit populaire pour qu’ils la rejettent. Les
opinions fingulières ont feules le privilège de captiver
leurs eiprits; foit que l'amour de la. nouveauté
ait pour eux des appas invincibles ; foit que leur
efprit, d’ailleurs éclairé, ait été la dupe de leur
coeur corrompu; foit que l ’irréligion foit l’unique
moyen qu’ils ayent de percer la foule, de fe dif-
tinguer, & de fcrtir de l ’obfcurité a laquelle ils
paroilfent condannés. Ce que la nature leur refufe
en talents , l ’orgueil le leur rend en impiété. Ils
méritent qu’on les méprife a lle z , pour leur lailfer
cette eftime flétrilfante qu’ils ambitionnent comme
leur plus beau titre , d’hommes linguliers. ( A non
ym e . )
( ^ Un homme fujet à fe lailfer prévenir, s’il
ôfe remplir une dignité ou féculière ou eccléfiaf-
tique, eft un aveugle qui veut peindre , un muet
ui s’eft chargé d’une harangue, un fourd qui juge
'une fymphonie. Foibles images, & qui n’expriment
qu’imparfaitement la misère de la Prévention
! I l fauc ajouter qu’elle eft un mal défelpéré ,
incurable ; qui infeCte tous ceux qui aprochent du
malade ; qui fait déferter les égaux , les inférieurs,
les parents, les amis , jufqu’aux médecins : ils font
bien éloignés de le guérir; s’ils ne peuvent le
faire convenir de fa maladie ni des remèdes , qui
feroient d’écouter, de douter, de s’informer, & de
s’éclaircir. Les flatteurs, les fourbes, les calomniateurs
, ceux qui ne délient leur langue que pour
le menfonge & l ’intérêt, font les charlatans en
qui il fe confie, & qui lui font avaler- tout ce qu’il
leur plaît ; ce font eux auffi qui l ’empoifonnent & qui
le tuent. ) ( L a B ru yère , ch. x i). )
Les Préjugés, (dit Bacon, l ’homme du monde
qui a le plus médité fur ce fujet ) font autant de
Ipeéfres & de fantômes, qu’un mauvais génie envoya
fur la terre, pour tourmenter les hommes :
mais c ’eft une efpèce de contagion, qui , comme
toutes les maladies épidémiques, s’attache fiirtout
au peuple, aux femmes, aux enfants, aux vieillards,
$c qui ne cède qu’à la force de l ’âge & de la raifon.
(L e chevalier d e J a u c o u r t . )
(N .) PRÉPOSITIF , IV E , adj. Qui feit à être
tnis avant, ou a la tête du mot.
Dans les Diphthôngues, on appelle prépositive
la première des deux voix qu’on y prononce en une
feule émiffion ; comme i dans Dieu } u dans lui , ou
dans ouate, &c. /^byqrDiPHTHONGUE.
Parmi les Particules , il y en a de prépojitives ,*
& ce font celles qui fe mettent à la tête du^mot
çompofé ; comme a dans, anéantir ( réduire a
néant ) , ço dans coopérateur , dé dans défaire ,
mé dans médire, par dans p a rfa it, pré dans pré-
p o fé , pro dans projeter, re dans revenir, ré dans
réhabiliter , fo u dans foulever, fu r dans furvenir,
fràns, dans tranfmettre , &ç» P~oye^ Particule.
( M. B eAUZÉE, )
* PRÉPO SITION , f. f. Les Prépofitions font
des mots qui défignent des raports généraux , avec
indétermination de tout terme antécédent & confé-
quent.
( ^ Qu’il me foit permis ici d’emprunter un
langage , étranger fans doute à la Grammaire ,
mais qui peut convenir à la Philofophie ; parce
que de droit elle s’accommode de tout ce qui peut
mettre la vérité en évidence. Les calculateurs difent
que 3 eft à 6 , comme 5 eft à 10, comme 8 eft
a i 6 , comme 25 eft à 50, &c. Que veulènt-ils
dire ? Que le raport de 3 à 6 eft le même que le
raport de $ à 10 , que le* raport de 8 à 16 , que
le raport de 2 J à 50 : mais ce raport n’eft aucun
de ces nombres ; & on le confidère fans détermination
d’aucun terme , quand on dit que 2 en eft l’ex-
pofant.
C’eft la même chofe d’une Prépofition ; c’eft,
pour ainfi dire, l ’expofant d’un raport confîdéré
d’une manière abftraite & générale, & indépendamment
de tout terme antécédent & de tout terme
conféquent. De là vient que l ’on peut employer
la même Prépofition avec différents mots , comme
le même expolànt défigne le raport de différents
nombres : nous difons la main DE D ie u , la colère
DE ce prince, les défirs DE Pâme; & de
même, contraire a la p a ix , utile A la nation,
agréable A mon père ; & encore , penfer AVEC
jufiejfe, parler a v e c vérité, écrire AVEC netteté,
i &c.
Les grammairiens appellent analogues les phra-
fes de cette forte , qui renferment la même Pré?-
pofition appliquée à des mots de même efpèce :
ainfi, les trois premières font analogues , parce
que la même Prépofition DE y eft appliquée aux
noms' appellatifs main , colère , défit ,* les trois
fuivantes font pareillement analogues, parce que
la même Prépofition A y eft appliquée aux adjectifs
phyfiques contraire, utile, agréable ; il en
eft de même des trois dernières, parce qae la même
Prépofition AVEC y eft appliquée aux verbes
penfer , parler, écrire.. C ’eft le pur langage des
mathématiciens, qui difent que les nombres 3 & 6 ,
5 & 10, font proportionnels , parce que le raport
des deux premiers eft égal à celui des deux der*
niers : car Analogie & Proportion c’eft la même
chofe, félon la remarque même de Quintilien
( Irifi. ordt. j 6 ) ; Analogia proecipuè , quam „
proximè esc græco trans fe r ente s in latinum, P ro-
portionem vocaverunt.
Tout ceci doit faire entendre comment les Prépofitions
défignent avec indétermination de tout
terme antécédent & conféquent. Ce n’eft pas à dire
que cette efpèce de mot doive conferver dans le
difcours l’indétermination qui en fait le cara&ère ;
ce n’eft qu’un moyen d’en rendre l ’ufage plus gé^
néral, par la liberté d’appliquer l’idée de chaque
raport à tel terme, foit antécédent foit confé-
quent, qui peut convenir aux vues de rénoncia-'
tion. Il
I l réfulte 'de- la que nulle Prépofition ne peut
«entrer dans la ft ru dure d’une phrafe, fans etre actuellement
appliquée à un terme antécédent, dont
e lle détermine le feus général par 1 idee accefïoire
du raport dont elle- eft le ligne : & ce terme antécédent
ne peut être qu’un nom appellatif, un
adjeétif phyfique , un verbe, ou un adverbe ; parce
nue ce font les feules efpèces de mots qui foient
fufceptibles d’être modifiées par des idées accelToires
de rapprt.
I l réfulte encore de là qu’une Prépofition' ne
peut être employée fans être fuivie d’un terme conféquent,
qui achève d’individualifer le raport indiqué
d’une manière vague & indéfinie p z iH Prépofition.
Or un raport ne peut avoir pour terme
qu’un être , foit .réel foit abftrait ; & par çonfé-
iquent une Prépofition eft néceffairemenc fuivie
d’un mot qui' puifle préfenter à l ’èfptit un être
déterminé, c’eft à dire, d’un nom ou d’un • pronom,
à quoi fe raportent encore les infinitifs
des verbes, qui font de véritables noms. Voy.e\ Infinitif.
L e terme conféquent, fervaht à compléter l’idée
totale du raport individuel que l ’on fe propofe
d’énoncer , eft appelé, dans le langage grammatical
, Complément de la Prépofition. Ainfi,
dans Ces phrafes, La main de D ieu , Avantageux
en s o i , Travailler pour V IV R E ; le nom
Dieu , le pronom fo i , & l ’infinitif vivre, font
les Compléments des Prépofitions D E , EN &
P O U R . )
Il y a des langues, comme le grec , le latin ,
l’allemand, l ’arménien, &c , dont les noms &
les autres efpèces de mots analogues ont reçu des
cas , c’eft à dire , des terminaifons différentes qui
fervent à préfenter les mots comme termes de
certains raports : en latin , par exemple , ' le cas
nommé G én itif préfente le nom qui en eft revêtu
comme terme conféquent d’un raport quelconque ,
dont le terme antécédent eft un nom appellatif ;
fortitudo R E G I S , raport d’une qualité au fujet
qui en eft revêtu ; puer EGR EGIÆ i n d o l i s ,
raport du fujet à fa qualité ; creator M U N D I ,
raport de îa caufe à 1 effet ; Ciceronis opéra,
raport de l’effet à la caufe; 6 te. Vqye£ Génitif,
Cas , & chacun des cas en particulier.
Il y a d’autres langues , comme l’hébreu, le
françois , l ’italien , l’efpagnol , &c , qui n’ont
point admis.cette Variété de terminaifons, & qui
ne peuvent exprimer les différents raports des êtres ,
des idées ; & des mots, que par la place qu’ils
occupent dans la conftruétion ufuelle, ou par des
Prépofitions.
Mais dans les langues mêmes qui ont admis
des ca s , on eft forcé de recourir aux Prépofitions,
pour exprimer quantité de raports dont l’expreftion
n’a point été comprife dans le fyftême des cas.
Gepèndant comme nous venons à bout, par les
Prépofitions ou par la conftruétion, de rendre
G r am m * e t L i t t é r a t . Tome I IL
avec fidélité tous les raports défignés par des cas
dans les autres langues.; d’autres idiomes auroient
pu adopter quelque fyftême , au moyen duquel
ils auroient exprimé par des cas les raports que
nous exprimons par la conftruéüon ou par des
Prépofitions : de manière que comme le françois,
l ’italien, l'efpagnol, &c , font fans cas , ces autres
langues feroient fans P répofitions.. Il n auroit fallu,
pour cela , que donner aux mots déclinables ua
plus, grand nombre de pas ; ce qui étoit très-pof-
fible.
Cette poffibilité fans doute auroit paru chimérique
à Sanftius, puifqu il prétend que la divifion
des cas latins en fix eft naturelle & doit être
la même dans toutes les langues : Quoniam hoec
cafuum partitio naturalis eft , in omni item.
icLiomate tôt çafus reperiri fuerit necejfe. ( Mi-
nerv. 7 , 6. ) Sans rien répéter ici des excellentes
preuves du contraire, déduites par Perizonius dans
fa Note fur ce texte , qu’il appelle Falfa & inanis
difputatio , il fuffit d’obferver que la Dialectique
de Sanétius eft démentie par l ’ufage des allemands
qui n’ont que quatre cas, des grecs qui n en ont
que cinq, des arméniens qui en ont dix , des lapons
qui en comptent jufqu’à quatorzë ; les fuédois
& les anglois ont un génitif bien caraéterife, &
c’eft l ’unique cas que ces peuples ayent admis.
( «f Mais la poffibilité d’une langue fans Pré pofitions
n’eft pas une hypothèfe fans réalité.^ La
•langue bafque, parlée par les bafques françois 8c
par les bifcaïeas d’Efpagne , peuples qui habitent’
les côtes autour du golfe de Gafcogne , eft abfo-
lument fans P répofitions . , 8c exprime par des
terminaifons differentes , qui fout de vrais cas,
tous les raports qu’on défigne ailleurs par des Prépofitions.
Par exemple , de jaun^ (, feignéur ) on
forme ja u n - d ( l e feigneur ) , jaun - arén ( du,
feigneur ) , jaun-ari ( au feigneur ) , jaun-aréquin
( avec le feigneur ) , jaun - agâtic ( pour le feigneur
) , jaun-agâbe ( fans le feigneur ) jaun-ârt
( dans le feigneur, , fur le feigneur ) , jaun-aga£
( pour le feigneur ) , &c. Je fépare ici les terminaifons
ajoutées, afin de les diftinguer du nom; car
elles en font réellement inféparables & dans la prononciation
& dans l’ écriture.
I l eft vrai que le P.de Larramendi, jéfuite, qui
en 1729 donna une Grammaire bafque écrite en
efpagnol, annoncée fous le titre pompeux E l im—
pojfible vencido : A rte de la lengua bafeongada,
& imprimée à Salamanque; il eft vrai-, dis - je ,
que ce jéfuite, prévenu-, comme Sanétius, de la
prétendue nécefhté d’admettre partout fix cas a
l’exemple des latins , n’a pas manque de les mon*
trer dans la déclinaifon : mais dans le chap. 9 d©
la IIe partie, il rappelle, fous le nom de Pofi-
poficion ( Poftpofition) , les mêmes terminaifons
dont i l s’eft'fervi pour décliner , & toutes - les autres
qui équivalent à nos Prépofitions j & il dit positivement
quelles entrent dans la cpmpofidon des