
De s perfonnages des Satires. S i , dans les commencements
, les pièces fatiriques n’avoient pour
aCteurs que des Satyres ou des fylènes , les chofes
cliangèrent enfuice. Le Cyclope d’Euripide , les
titres des anciennes pièces fatiriques, & plufîeurs
auteurs nous aprennent que les dieux ou demi-
dieux & des héroïnes , comme Omphale , y trou-
voient leur place 8c en fefoient même le fujet
principal. Le férieux fe mêla quelquefois parmi
le burlefque des atteurs qui feioient le rôle des
fylènes ou des Satyres. En un mot , la Satirique
, car on la nommoit aufli de ce nom , tenoit
alors le milieu entre la Tragédie & l’ancienne
Comédie. E lle avoit de commun avec la première
la dignité des perfonnages qu’on y fefoic entrer,
comme nous venons de voir , & qui d’ordinaire
étoient pris des temps héroïques ; & elle parti-
cipoitde l ’autre par des railleries libres 8c piquantes,
des expre filons burlefques , & un dénoûment de
la fable , dénoûment le plus fouvent gai & heureux.
C ’eft ce que nous aprend le grand commentateur
grec d’Homère , Eufthathius- 'C’eft le propre du
Poème fatirique , nous d it - il, de tenir le milieu
entre le Tragique & le Comique. Voila prefque
le Comique larmoyant de nos jours , dont l'origine
eft toute grèque , fans que nous nous en fuflions
douté.
Différence entre les pièces fatiriques & comiques.
' Quelque raport qu’il y eût entre les pièces
fatiriques 8c celles de l’ancienne Comédiey--je ne
crois pas qu’elles ayent été confondues par les
auteurs anciens. Il reftoit des différences affez
grandes qui les diftingüoienc , foit à l ’égard des
Sujets , qui ,. dans les pièces fatiriques , étoient
pris d’ordinaire des fables anciennes & des demi-
dieux ou des héros , foit en ce que les Satyres
y intervinrent avec leurs danfes ISc dans l ’équipage
qui leur eft propre , foit de ce que leurs
plaifanteries avoient plus tôt pour but de divertir
& de faire rire, que de mordre & de tourner en
ridicule leurs concitoyens , leurs villes, & leurs
pays , comme Horace- dit de Lucilius, l’imitateur
d’Ariftophane & de fes. pareils. J’ajoute que la
eompofîtion n”en étoit pas la même , & que l ’ancienne
Comédie ne fe lia point aux vers 'fambl-
ques, comme firent les pièces fatiriques des grecs.
Concluons que ce fut aux poèmes dramatiques ,
dans lefquels intervenoient des Satyres avec leurs
danfes & leurs équipages , que demeura attaché ,
parmi les grecs, le même nom de Satire-, celui de
Satiriquesj ou de pièces fatiriques} (rarv^oiy o-ccrvpiKct
D e s Satires romaines. Ce fut parmi les romains
que le mot de S a tire , , de quelque manière qu’bn
l ’écrive, Satira, Satyra, S a tura, ou quelque
origine qu’on, lui donne, fut appliqué à- des com-
pontions différentes & d’autre nature que les poèmes
fatiriques des grecs, e’eft â dire qui n’étoient ,
comme ceux-ci , ni dramatiques , ni accompagnés
de Satyres , de leurs équipages, & de leurs, danfes>
ni faites d’ailleurs dans le même but. On donna
ce nom à Rome, en premier lieu , à un poème
réglé & mélé de plaifanteries, & qui eut cours
avant même que les pièces dramatiques y fufient
connues, mais qui cefia ou y changea de nom , 8c
fit place à d’autres paffe-temps, comme on l ’aprend
de Tite-Live.
On communiqua enfuite le nom de Satire a
un poème mél-é de diverfes fortes de vers , 8c attaché
à plus d’un fujet, comme le furent les Satires
d’Ennius , ou , comme Cicéron l ’appelle, Poéma vàrium & elegans, en parlant de celles de-Var-
ron , qui étoient tout enfemble un mélange de vers
& de pièces de Littérature 8c de Phiiofophie , dont
il nous aprend lui-même , dans cet orateur * le but
& la variété.
On donna enfin ce nom de Satire an poème de
Lucilius, qui, au raport d’un de fes imitateurs,
avoit to'ut le caractère "de l ’ancienne Comédie y
h inc omni s pendet Lucilius ,* c’eft à dire, parla
même licence qu’il s’y donna d’y reprendre, non
feulement les vices en général , mais les vicieux
de fon temps d’entre fes citoyens, fans y épargner
même les noms des magiftrats & des Grands de
Rome.
Ce fut là , fi on en croit Horace & bien d’autres
, la première origine & le premier auteur
de ce Poème inconnu aux grecs, à qui le nom
de Satire demeura comme propre & attaché parmi
les romains , & tel qu’il l’eft encore aujourdhui
dans l ’ufage des langues vulgaires. C’eft aufli fur
ce modèle que furent formées enfuite , comme orale
fa it , les Satires du même Horace , de Perfe ,
& de Juvénal, fans toucher ici au caractère particulier
que chacun d’eux y . aporta, fuivant fon
génie ou celui de fon-iîèçle ; & c’eft enfin fur ces
grands exemples que les auteurs modernes fran-
çois , italiens , anglois , & autres ont formé les.
poèmes qu’ils ont publiés fous ce même nom de
Satires. .
Je laiffe maintenant » juger de- la conteftatiom
de deux favants Critiques du fièele paffé ; dont
l ’un , Cafaubon , prétend que la Satire des romains
n’a rien de commun avec les pièces fatiriques desgrecs,
ni dans l ’origine & la fignification du mot,
mi dans la cfiofe , c’eft à dire , dans la manière &
dans la forme; & dont l ’autre, Daniel Heinfius ÿ:
au contraire, y croit trouver une même origine,
une même matière , une même forme, & un même-
but; I l eft certain qu’il y a des différences trop
effencielles entre les unes & les autres pour les
confondre j & par conféquent l ’on doit plus tôt
s’en raporter au fenciment de Cafaubon, qui a le
premier débrouillé cette matière dans le Traité qu’il
en a mis au jour. Je vais expofer en peu de mots
ces différences , parce que le Traité de Cafaubon-
eft latin , & que jufqu’à ce jour on n’a rien publié:
en françois fur.cette matière, même dans les Mémoires
de l ’Académie des Infcriptiona, pour la dé-
cifionde cette dlfpute.,
Différence entre les Satires des grecs, & les
Satires latines. La preniière différence, dont'on
ne peut difeonvenir , -C eft que les Satires ^ ou
Poèmes fatiriques des grecs , étoient des pièces
dramatiques ou dé théâtre : ce qu’on ne peut pas
dire des Satires romaines prifes dans aucun genre.
Les latins eux-mêmes, quand ils font mention de
la Po’éfîê fatirique des grecs, lui donnent le nom
de Fabula , qui fignifie le Drame des grecs, &
n’attribuent jamais ce mot aux Satires latines.
L a fecônde différence vient de ce qu’i l y a
même quelque diverfité dans le nom : car les grecs
donnoient à leurs poèmes le nom de Satyrus pu
Satyri , de Satyrique , de pièces fatyriques , à
caufe des Satyres, ces hôtes des, bois & ces compagnons
de Bacchus , qui y jouoient leur rôle ;
d’od vient qu’Horace appelle ceux qui en étoient
les auteurs du nom Satyrorum_ inferiptores : au
lieu que les romains ont dit Satira ou Satura, -
en parlant des premiers Poèmes. Cicéron appelle
Poéma varium, les Satires de Varrôn; & Juvénal
donne le nom de Farrago à ces Satires.
La troifième différence, eft que l ’intfoduCtion
des fylènes 8c des Satyres qui compofoient les
choeurs des poèmes fatyriqiîes dés grecs, en conf-
ti tuent l ’effence , tellement qu’Horace s’arrête à
montrer de qu’elle manière on doit y faire .parler
les Satyres, & ce qu’on leur doit faire éviter ou
confçrver. On peut y ajouter l’a&ion de ces mêmes:
Satyres , puifque les danfes étoient fi fort de
l ’effence de la pièce, que non. feulement Ariftote
les y joint, mais qu’Athénée; parle nommément
des trois différentes fortes - de danfes attachées au
Théâtre, la Tragique , la Comique , & la Satyri-.
que.
L a quatrième différence réfulte des fujets afiez
divers des uns & dés autres. Les Satyres des grecs
prenoient d’ordinaire le leur de fujets fabuleux ;
des héros, par exemple , ou des démi->dieux des ■?
fiècles paffés. Les Satires romaines s’attachoient
a reprendre les vices , ou les erreurs de leur fièele
& de leur patrie; à y jouer, des particuliers de-
Rome , un Mutius entre autres , & un Lupus dans
Lucilius; un Milonius, un Nomentanus dans Horace;
un Crifpinus & un Locutius dans Juvénal.
Je ne parle point ici de ce que ce dernier n’y
épargne pas Domitien , fous le nom de Néron ;
8c qu’après- tout, il n’y avoit rien de feint dans ces
perfonnages & dans les aétions qu’ils en étalent , ou
dans les vices qu’ils en raportent.
L a cinquième différence paroît encore dans la
manière dont les. uns 8c ies autres traitent leurs
fujets , & dans le but principal q-a’ils s’y propo-
fent. . Celui de la Poéfie fatyrique des grecs, eft
de tourner en ridicule des a&ions férieufes , de-
travefti: pour ce. fujet leurs dieux ou leurs héros,
den changer le caractère félon le befoin , en un
mot, de rire & de plaifanter ; de. forte que de tels
ouvrages s’appellent en g rec, des je u x & des
jouât s , j o c i , comme dit Horace ; & c’eft à quoi
contribuoient d’ailleurs leurs danfes & leurs pof*
turcs : au lieu que les Satires romaines, témoin s
celles qui nous reftent & auxquelles ce nom
d’ailleurs eft demeuré comme propre , avoient moins
pour but de'- plaifanter , que d’exciter de la haine ,
ae l ’indignation , ou du mépris; en un mot, elles
s’attachent plus à reprendre & à mordre, qu’à faire
rire ou à folâtrer. Les auteurs y prennent la qualité
de cenfeurs , plus tôt que celle de bouffons.
Je ne touche pas la différence qu’on pourroit
encore alléguer de la compofition diverfe des unes
& des autres par raport à la vérification ; les Satires
romaines, du. moins celles qui nous ont été’
confervées jufqu’à ce jour, ayant, été écrites le?
plus généralement envers héroïques, &les poèmes
fatyriques des grecs en vers ïambiques. Cette réflexion
eft cependant d’autant plus remarquable,
qu’HoraGe: ne trouvé point d’autre différence entre-
l ’inventeur des Satires romaines 8c les auteurs de
l ’ancrenne Comédie , comme Cratinus & Eupolis,
finon que les Satires du premier étoient écrites-’
dans un autre genre de vers.
Enfin il y a lieu , ce nie femble , de s’en tenir
au jugement d’Horace , de Quintilien , & d’autres
auteurs anciens , qui affurent cjue l ’invention de
la Satire , à qui ce nom eft demeuré particulièrement
appliqué chez les romains , & depuis dans
les langues vulgaires; que Cette invention, dis-je,
èft tout entière à Lucilius ; que c’eft une forte"
_ dé Poéfie purement romaine , comme il y paroît ,
8c totalement inconnue aux grecs:" d’où je conclus
\ hardiment, qu’on ne peut aujourdhui être là - deffus'
d’aucune autre opinion.
Ce n’eftj pajs., après tout , que les Satyres des
grecs , leurs danfes , & leurs railleries n’ayent été
connues des romains ; on fait que , dans leurs fetes
& dans leur s” proceflîons, il y avoit entre autres
des choeurs de fylènes & des Satyres , vêtus &
parés à leur mode , 8c qui , par leurs danfes- &
le(urs fingeriés, égayoient ieS'ïpeétateurs. La même
çhofe fe praliquoit dans la pompe funèbre des
gens de qualité , & même dans les triomphes; &
ces vers licencieux & ces railleries piquantes , que
les foldats qui açcompagnoient la pompe chan-
toient contre les triomphateurs , montrent que ces
fortes de jeux fatyriques , fi l’on me permet cette
expreflion , furent bien connus des romains.
Mais il eft temps de venir à l’hiftoire particulière
de la Satire chez les romains, & de peindre les
différents caractères de leurs poètes célèbres en ce
genre.
Caractères des poètes fatiriques romains. Ce
furent les tofeans qui aportèrent la Satire à Rome ;
& elle n’étoit autre chofe alors qu’une forte de
chanfon en dialogue , dont tout le mérite confif-
toit dans la force & la vivacité des reparties. On
les nomma Satires, parce que , Jit-on, le mot
latin Satura fignifiânt un baftic dans lequel on