
langue, font ceux qui fe conforment le plusexac-
tement a toutes les nuances de eette progreffion
quelconque. Les femmes du grand monde font ordinairement
les plus exailes en ce point, fans y
mettre du pédantifme. Cicéron ( De Orat. III. z i J
en fait la remarque fur les dames romaines, dont
i l attribue le fuccès a la retraite où elles vivoient.
Mais fi l ’on peut dire que la retraité conferve plus
sûrement les imprefïions d’une bonne éducation ,
on peut dire aufïï qu’elle fait obftacle aux impref-
fions de l ’Ufage, qui e'ft, dans l ’art de parler, le
maître le plus sur, ou même l ’unique qu’il faille
fuivre : nous voyons en effet que des Savants très-
profonds s’expriment fans exa&itude & fans grâce ,
parce que , continuellement retenus par leurs études
dans le filenee de leur cabinet, ils n’ont avec le
monde aucun^ commerce qui puiffe re&ifier leur
langage; & d’ailleurs les fuccès de nos dames, en
ce genre , ne peuvent plus être attribués à la même
çaufe que ceux des dames romaines, puifque leur
manière de vivre eft fi différente. L a bonne raifon
celle qu allègue l ’abbé d’Olivet (p a g . 9$) 3 c’eft
quelles o n t, d’une part, les organes pins délicats
que nous , & par conféquent plus fenfibles, plus
fufceptibles des moindres différences ; & de l ’autre ,
plus d’habitude & plus d’inclination à difcerner &
3 fuivre ce qui plaît. A peine diftinguons - nous
dans les fons_ toutes les différences appréciables •
pos dames y démêlent toutes les nuances fenfibles :
nous voulons plaire , mais fans trop de fiais • &
rien ne coûte aux dames, pourvu quelles piaffent
plaire. *
,S i l avoit fallu tenir un compte rigoureux de
tous les' degrés fenfibles ou même appréciables de
Quantité , dans la ver/ification métrique ou dans
les combinaisons harmoniques du rhy thme oratoire •
les difficultés de l ’art * exceflives ou même infur-
montables, l’auroient fait abandonner avec juftice
parce qu’elles auraient été fans un jufte dédommagement
: les c h e f-d ’oeuvres des Homère, des
Pindare, des Virgile , des Horace, des Démof-
thène., des Cicéron, ne feraient jamais nés 5 &
jces noms illuftres, enfevelis dans les ténèbres de
l ’ôubli qui eft dû aux hommes vulgaires, n’enrichiraient
pas auj'ourdhui les faftes littéraires. I l
a dojic fallu que l ’art vînt mettre la nature à notre
portée, en réduifant à la fimple diftin&ion de
longues & de brèves toutes les fyllabes qui com-
pofent nos mots. Ainfi, la Quantité' artificielle
regarde indiftin&ement comme longues toutes les
fyllabes longues, & comme brèves toutes les fy llabes
brèves , quoique les unes foient peut - être
plus ou moins longues , & les autres plus ou moins
grèves. Cette manière d’envifager la durée des fons
ifeft point'contraire à la manière dont les produit
la nature ; elle lui eft feulement inférieure en pré-
(Cifion, parce que plus de précifion ferait inutile ou
puifible à l ’art.
Les fyllabes des mots font longues ou -brèves , ou
par nature on par ufage.
i . Une fyllabe d’un mot eft longue ou brèire
par nature, quand la voix qui la conftitue dépend
de quelque mouvement organique que le mécha-
nifme doit exécuter avec aifance ou avec célérité ,
félon les lois phyfiques qui le dirigent.
C eft par nature que de deux voyelles confécutives
dans un même mot, l ’une des deux eft brève , 8c
furtout-la première 3 que toute diphthongue eft
longue, foit qu’elle foit ufuelle ou qu’elle foit
faéficej que, fi par licence on décompofe une diphthongue
, l ’une des deux voix élémentaires devient
brève , & plus communément la première. Voyez
H i a t u s .
On peut regarder encore comme naturelle une
autre règle de Quantité, que Defpautère énonce en
deux vers :
Dum poftponuntur vocali conforta bina
A u t duplex , longa efl pofitu . .
& que 1 on trouve rendue par ces deux vers françois
dans la Méthode latine de Port-Royal :
La voyelle longue s’ordonne
Lorfqu’après fuit double confonne.
Ceci doit s entendre du fon repréfenté par la voyelle}
& fa pofition confifte â être fuivi de deux articulations
prononcées , comme dans la première fy llabe
de Carmen, dans la fyllabe p o j l , dans at
fuivi de p iu s , at pius Æ n e a s , &c. C’eft que
l ’onne tient alors aucun compte des fyllabesphy-
fiques qui ont pour âme Te muet qui fuit nécef-
fairement toute, confonne qui n’eft pas avant une
autre voyelle j & qu’en conféquence on rejette fur
le compte de la voyelle antécédente le peu de
temps qui apartient à l ’e muet que la première
des deux confonnes amène nécefiairement, mais
fourdement. Ainfi, la prononciation ufuelle ne fait
que deux fyllabes de carmen, quoique l’articulation
r y introduife néceflabrement un emuet, & que
1 on prononce naturellement ca-re-mè-ne : cet e
muet eft fi bref, qu’on le compte abfolument pour
rien 3 mais il eft fi réel, que Ton eft forcé d’en
retenir la Quantité pour en augmenter celle de la
voyelle précédente.
L ’auteur de la Méthode latine ( Traité de la
Quantité » réel, IV j.obferve que , pour faire qu’une
fyllabe foit longue par pofition, il faut au moins
qu’i l y ait une des confonnes dans la fyllabe même
qu’on fait longue. C a r , d it- il, fi elles font toutes
deux dans la fuivante , cela ne la fait pas longue
d’ordinaire, Cette remarque eft peu philofophiquej
parce que deux confonnes ne peuvent apartenir â
une même fyllabe phyfique , & qu’une cohfonne
ne peut influer en rien fur une voyelle préçédente.
(V o y e \ H ). Ainfi, que les deux confonnes apar-
tiennent au mot fuivant, ou qu’elles foient toutes
deux dans le même mot que la voyelle précédente,
ou. enfiu que Tune foit dans le même mot que 1<|
.Voyelle & l ’autre dans le mot fuivant j il doit
'toujours en rëfulter le même effet profodique ,
puifque c’eft toujours la même chofe. Le vers qu’on
nous cite de Virgile ( jEnéid, I X , 37) :
Ferle citi ferrum , date tel â . fcandite müros ,
eft donc dans la règle générale, ainfi que l ’ufàge
ordinaire dès grecs a cet égard , & ce que l ’on
traite d affectation dans Catulle 8c dans Martial.
} On peut objeCter fur cela, que la liberté que
1 on a , en grec & en latin , de faire brève ou longue
une voyelle originairement brève , quand elle
fe trouve par hafard fuivie d’une muète d’une
liquide j Semble prouver que la règle d’alonger
la voyelle fituée devant deux confonnes n’eft pas
diCtée par la nature , puifque rien ne peut dif—
penfer de fuivre Timpreffion de la nature. Mais il
faut prendre garde que Ton fuppofe, i° . qu’origi-
,nairement la voyelle eft brève, & que pour la
faire longue, il faut aller contre la règle qui
1 avoit rendue brève 3 car fi elle étoit originairement
longue , ffoin de la rendre brève , le concours
de la muète & de la liquide ferait une raifon
de plus pour ia longe r: z°. il faut que, des deux
confonnes , la fécondé foit liquide, c’eft â dire
quelle s allie fi bien avec la précédente qu’elle
paroiffe n’en faire pius qu’une avec elle ; or dès
<îu e , Paraît n’en faire qu’une, on ne doit fentir
que 1 effet d’une , & la brève a droit de demeurer
brève ; fi on veut appuyer fur les deux , la voyelle
doit devenir longue.
On objeCtera encore, que .l’ ufage de notre Orthographe
eft diamétralement oppofé à cette prétendue
loi de la nature , puifque nous redoublons
la confonne d après une voyelle que «nous voulons
rendre breve. Nos pères , félon l ’abbé d’Olivet
\Pa§ ' 2^ î) ?j ont été fi fidèles â notre Orthograp
he, que fouvent ils ont fecoué le jo u g d e l’éty-
•mologie , comme dans couronne, perfonne 7 où
ils redoublent la lettre n , de peur qu’on ne faffe
la penultieme longue en françois, ainfi qu’en latin.
» Quoique le fécond t foit muet dans tette,
» dans p a tte , c eft , dit-il (^pug. 23 ) une néceffité
» de continuer a les écrire ainfi, parce que le
» redoublement de la confonne. eft inflitué pour
» abréger la fyllabe, & que nous n’avons point
» d accent , point de figne qui puiffe y fiip—
i> pléer ».
L a réponfe â cette obje&ion eft fort fimple.
Nous écrivons deux confonnes â la vérité \ mais
, nous n’en prononçons qu’une : or la Quantité de
la voix eft une affaire de prononciation, & non d’Or-
thographe 3 fi bien que , dès que nous prononcerons
les deux confonnes , nous alongerons inévitablement
la voyelle précédente. Quant à l’intention
quont eue nos pères, en inftituant le redouble-
ment de la confonne dans les mots où la voyelle
précédente eft brève 3 ce n’a point été de l ’abréger
, comme le dit l ’auteur de la Profodiefrariçoife
, ma^s d’indiquer feulement qu’elle eft brève.
Le moyen étoit-il bien choifi ? Je n’en crois rien}
parce que le redoublement de la confonne , dans
l ’Orthographe, devrait indiquer naturellement l ’effet
que produit dans la prononciation le redoublement
de l’articulation, qui eft de rendre longue la fy llabe
qui précède. Nous n’avons point de ligne *
dit-on, qui puiffe y fuppléer. Duclos., dans les
Remarques manufcrites lui? çet endroit-là même *
demande s’il ne fiifnroit pas de marquer les longues
par un circonflexe, & les brèves par la privation
d’accent. Nous pouvons déjà citer quelques
exemples autorifés : matin, commencement
du jour, a la première brève, & il eft fans accent
j mâtin , efpèce de -chien , a la première
longue , & il a le circonflexe : c’eft la même
chofe de tache, fouillure , 8c tâche que Ton a
à faire 3 de f u r , prépofilion , & sû r , adje<ftif3 de
jeune d’âge, & jeûne , ' abftinence. Y aurait - i l
plus d’inconvénient â écrire il tète & la tête, la
pâte du pain , & la pâte d’un animal 3 vu furtout
que nous fommes déjà en poffefîion d’écrire
avec le circonflexe ceux de ces mots qui ont la première
longue l
. 20. Une fyllabe d’un mot eft longue ou brève
par l ’ufage feulement, lorfque le méchanifme de
la prononciation n’exige dans la voix , qui en eft
l ’âme , ni longueur ni brièveté.
I l y a dans toutes les langues un plus grand
nombre de longues ou de brèves ufuelles , qu’il
n’y en a de naturelles. Dans les langues qui admettent
la verfification métrique & le rhythme
calculé, il faut aprendre fans réferve la Quantité
de toutes les fyllabes des mots , & en ramener
les lois, autant qu’il eft poflible , à des points de
vûe généraux : cette étude nous eft abfolument né-
ceffaire pour pouvoir juger des différents mètres
des grecs & des latins. Dans nos langues modernes,
TUfage eft le meilleur & le plus sûr maître de
Quantité que nous puiffions confulter ; mais dans
celles qui admettent les vers rimés, il faut furtout
faire attention à la dernière fyllabe mafculine ,
foit qu’elle termine le mot, foit qu’elle ait encore
après elle une fyllabe féminine. C ’eft que la rime
ne ferait pas foutenable , fi les voix correfpondantes
n’avoient pas'la vaeroé Quantité : ainfi, dit Tabbé
d’O live t, ces deux vers font inexcufabies :
Un auteur à genoux, dans une humble préface,
Au leâreur qu’il ennuie a beau demander grâce•
C ’eft la même chofe de ceux-ci, j'uftement relevés
par Reftaut, q u i, en faveur de Boileau , cherche
mal à propos à excufer les précédents :
Je Tinftruirai de tout, je t’en donne paroCe,
Mais fonge feulement à bien jouer ton rôle»
(M . B eauzée.)