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frivole après honteux eft pire que fuperflu.
Mais au moindre tcversfunejle , le ma (que tombe , l’homme relie.
moindre affoiblit l ’idée de revers, & il eft placé :
june jle fait tout le contraire.
Ce n etoit pas ainfi qu’ëcrivoic Horace. Dans le
ftyle, fi,coloré , fi harmonieux de fes odes, la pré-r
cifion & l ’énergie font le défefpoif de tous les trat
ducteurs.
•Æquam memento r^pus. in arduis
Servare mentent' non ficus in bonis,
A b infolenci temperatam
Xoe;iîi4j monture Dell'u
Cela eft riche & plein , mais préçis, y il n’ y a pas-
tin moi qu’eut rejeté Tacite»
De même ici : -
Eheu fugaces, Pojlume, Pojlume r
Rugis & in flan « fenedce
A jfe r e t, indoniitæ^ue morti,
Labuntur anni : nec pistas morant
De même r
Aurum per medios ire fateïlitcs ,
E t perrumpere ornât faxa potentius.
I 3u Jhlmineo
De même :
Qualem minijlrum julminls alitem .. .
Olim juventas & patrïus vigor
Nido laborum propulit infcium ;
N une in réluctances drdcones
E g it amor dapis atque pugna,
É P I
En général, la néeeflité de- la rime .dans nos
petits vers & de la inelitr'e dans' les grànds, Tcf-
Frayante difficulté d’y réunir la pré’cilton & l ’harmonie
, la négligence des écrivains „ & l ’ambition
dé par ortie pompeux en exprelfions lorfqu’ils
font pauvres, en idées , leur a fait porter à l’excès
1 abus- des Épithètes ; & l’une des eau les- qui ren-
dént Te vers, dramatique- infiniment pins difficile
que le vêts épique ou didactique, c’eft que le naturel
de la Toélie? pathétique n’acbnet pas autant
dfe =ces mots ac'ccffoires & pris-de loin, que la liberté
illimitée de la; Poéfie deferiptive. On trouve
fréquemment dans Corneille cent beaux vers de
fuite ou il n’y a pas une Épithète ; & dans Racine
, elles font ptfefque toujours fi utilement employées
, fi artiftëment enchâffées-, q.u’on ne les
aperçoit prefque pas- ;
Songé , fonge, Céphife , à cerre nuit cruelle ,
Qui- fut pour- tout un peuple une nuit éternelle :'
Figure-toi Pyrrhus., les ieux étincelants,
Entrant- à la lueur de nos palais brûlants^ *■
Sur tous mes frères morts fefefanc un paflage.
Et de fang tout couvert . échauffant le carnage :
Songe aux cris dès vainqueurs-, fonge aux- cris dés mou-
. rapts ,,
Dans la flamme étouffés , fous- le fer expirants ::
Peins-coi dans ces horre urs Andromaque éperdue.
Voilà comme Pyrrhus vint s’offrir, à nia vue.
On-peut voir que dans Cje tableau il n’ y a.pas
un trait qu’un, habile peintre, voulut laiffer échaper.
T e l eft l ’heureux emploi, des Épithètes : en Poéfie
comme en Eloquence, leur véritable ufageeft.de
contribuer à l ’effet de la penfëe,, de l ’image ou
du fentiment : & fi quelquefois la Poéfie a droit
de demander qu’on lui paffe une Épithète foible
ou froide à caufe de la rimé ou de la mefure dit
vers, le poète doit fe fouvenir que cette licence eft une
grâce,, afin de n’en pas abufer. j_M» M a RM O h t e l . )
F r
F I G
I G U R E S , C. f. pl. Prefque tout eft figuré
dans la partie morale & métaphytique des langues:
& comme.le Bourgeois Gentilhomme .fefoit de là
profe fans le favoir ; fans le lavoir auffi & fans
nous en apercevoir , nous fefons continuellement
des Figures de mots & des Figures de penfées.
Lemoyen, pat exemple, de parler de raftion ,
des facultés, des qualités de l ’âme , de fes affections,
fans y employer des mots primitivement
inventés pour exprimer les objets fenfrblesî Lorf-
qnon s eft fait des idées'abftraites, & qué d’une
foule de perceptions tranfmifes par les fens &
ilolees a leur naiflauce,. on a formé fuccellivement
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le fyftëme de la penfée j on ne s’ eft pas fait une
nçuvelle langue pour exprimer chacune de ces
■ conceptions. On a pris au befoin, & par analogie,
1 exprëlfion de l ’objet qui tomboit fous les fens ,•
& I on en a revêtu l ’idée pour laquelle on man-
i quoit dé terme. Cet ufage des Métaphores-, ou
transfiations de mots-, eft devenu fi familier, fi
naturel par l ’habicude , que Rollin, en recommandant
de ne pas s en fervir trop fréquemment ,.
en ,a fait une à chaque ligne. Il eft vrai qu’il ne
; comptoit pas celles, qui avoientpaffédans la langue
. ufuelle ; & en effet celles-ci font au nombre des
J mots fimples & primitifs.
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L ’indigence a donc été la première caufe de ces
franflations de mots , dont oa a fait un ornement de
luxe. Voye\ Image.
La négligence & la commodité- ont fait prendre-
un na-ot pour un autre ,. comme la caufe pour
Teffêt le ligne pour la chofe, l’inftrument pour
l’ouvrage T &c.- Ain fi , l ’on dit qu’un homme eft
dans le vin , pour dire qu’il eft dans livre fie
on. dit la plume & le pinceau , pour i 'écriture &
la peinture ; on dit la charrue & Y épée, pour le
labourage & la guerre-, on dit des voiles, pour
des vaijfeaux 6t cela s’appelle Métonymie. On
fait donc une Métonymie en difant, tant par tête ,,
tant par homme, tant par feu , tant par mai],on ;
tant de charrues pour tant de terre- : car Métonymie,
en François , veut dire changement de nom»
Eft venue enfuite la déiieatefle r qui ,. pour
adoucir des idées indécentes ou dcplaifantes, a
évité le mot obfcène , le mof dur & choquant ,
8c a pris un détour. C’eff ainfî qu’on a dit avoir
vécu , pour être mort j n être pas jeune, pour ,
être vieux; qu’on dit d’un homme qu’il a Églée ,
qu’il vit avec. Glicère , qu’il efi bien avec Sem-
p r o n ie q u ’il a féduit, charmé Lucrèce, qu’il a
déjdrmêfa rigueur , qu’il èn a triomphé,. Scc. C eft
ce qu’on appelle Euphémifme , ou vulgairement
beau Langage.
La parefte ou l ’impatience de s’exprimer eu
peu de mois a introduit YEllipfe. Elle a fai t
auffi qu’on eft convenu de s’entendre lorfqu’on
diroit,. en parlant des efpèces colledfivement prifes,.
U homme , le cheval , le lion , le, chè'ne , la
vigne , Y ormeau-, lorfqu’on diroit , en parlant des
peuples , Le Fran± o is, Y A n g la is, le Germain ,
la Seine, le Tibre, l ’Euphrate ; ou lorfqu’en
parlant dès armées , on ne feroit que nommer
leur Général, ou l ’État, où le roi qu’elles auroi-ent
fervi. Céjar défit Pompée, , Rome conquit le
monde , Louis X I E prit Namur. Ce tour s-’ap-
pelle Synecdoque, réunion de tous en un feul.
Les Figures de penfées ne font guère moins
familières : ce font ,pour ain.fi dire , les attitudes ,
les-mouvements de i’efprit & de l ’âme.: & comme
l ’ame & l’efprit en âdfion varient, s’en s’en apercevoir
, leurs mouvements & leurs attitudes , &
d’autant plus qu’ils font plus libres & plus vr\re-
inent affedtés il a du naturellement arriver ce
que le philofophe Dumarfais a obfervé dans foir
livre des Tropes, que les Figures de Rhétorique
ne font nulle part fi communes que dans les
querelles des halles. E Hayons de les réunir toutes
dans le langage d’un homme du peuple j & pour
l'animer, fuppofons qu’i l eft en colère contre fa
femme.
» Si je dis o u i , elle dit non ; foir 8c matin,
F I G t r i
» nuit & jour elle groncfe ( Antkhhefe ). Jamais
» jamais de repos avec elle ( Répétition ). C ’elt
» une furie, un démon ( Hyperbole). Mais, mal-
» heureufe , dis-moi donc ( Apoflrophe ) : que
>? t’ai-ie fait ( Interrogation ). I O ciel 1 quelle
» fut ma folie en t’époufant ( Exclamation) t
» Que ne me fuis je plus tôt noyé ( Optât ion') t
» Je ne te reproche ni ce que tu me coûtes1, ni
» les peines- que je me donne pour y fufüre {P r e -
» térition ). Mais je t’en prie , je t’en conjure y
» laiffef moi travailler en paix ( Obfécration ). Ou
» que je meure fi . . . tremble de me pouffer
» à bout ( Imprécation & Réticence). Elle pleure !
» ah , la bonne âme ! vous allez voir que ce fl:
» moi qui ai tort ( Ironie ). Eh bien , je fuppofe
» que cela foit. O u i , je fuis trop vif, trop fen-
» ' fibie ( Conceffion ). J’ai fouhaité cent fois que
» tu fufles laide. J’ai maudit r détefté ces ieux
» perfides cette mine trompeufe qui m’avoit af-
» folé ( Afiéifme , ou lpuange en reproche ):. Mais
» dis-moi. fi par la douceur il ne vaudroit pas
» mieux me ramener ( Communication ) T Nos
» enfants , nos amis , nos voifînsÇ tout le monde
» nous voit faire mauvais ménage ( Enumération ).
» 11^ entendent tes.cris, tes plaintes, les injures
»■ dont tu m’accables ( Accumulation) ils t’ont
» vue, les ieux "égarés r le vifage en feu , la-
» tête échevelée , me pourfuivre me menacer
« ( Defcription). Ils en parlent avec frayeur j la
» voifthe arrive , on le lui raconte : le paffant
» écoute,, & va le répéter ( Hypotypofe ). Ils
» croiront que je fuis un méchant,. un brutal, que
» je te laiffe manquer de tout , que je te bats y
» que je t’affomme ( Gradation ). Mais non , ils
rr favent^bien que je t’aime, que j’ai bon coeur v
» que je délire de te voir tranquile & contente.
» ( Correction ). Va, le monde n’eft pas injufte ; le
» tort relie à celui qui l ’ a ( Sentence ). Hélas !
» ta pauvre mère m’avoit tant promis que tu lui
» reffemblerois ! Que diroit-t-elle ? que dit-elle?
» car elle voit ce qui le paffe. Oui, j’efpère qu elle
» m’écoute , & je l ’entends qui te reproche de me
» rendre fi malheureux. Ah ! mon pauvre gendre ,
» dit-elle , tu méritois un meilleur fort ( Profo-
» popée ) »..
Voilà toute la théorie des rhéteurs , fur les
Figures de penfées-, mife en pratique fans aucun
art j & ni Ariflote, ni Carnéade , ni Quintilien, ni
Cicéron lui-même n’en favoient davantage. Ce font
des armes que la nature nous a mifes dans les mains
pour l ’attaque & pour la défenfe. L ’hommepaflionné
s’en fert aveuglément & par inftinéfc ; le déciamateuir
s’en eferime ; l ’homme éloquent a l ’avantage de les
manier avec force, adreffe, & prudence , & de «’en
fervir à propos.