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le p lus de fom m ités brillantes &' d'évèncmènfs
iiuccptibles d un in térêt univerlel. \J Hijîoire des!
révolutions aura toujours cet avantage. M ais-s’il
le b o rn e , pour être u tile , à raconter fidèlem ent
ce 5 u . t a vit de p rè s , on doit s’attendre qu’cn-
écnvant 1 Hijîoire de fon (iècle, il n’aura n i la
prec i(i°n ni la rapidité d’un écrivain qui , dans
1 é lo ig n em e n t, ne cherche que des points éini-
nents a tracer & que de. grands- tableaux à
peindre. , ...
E nfin, dans 1 h ypothèie la p lus com m u n e, il
p eu t arriver que le nom bre des objets im portants
dont 1 Hifloueeft chargée ; que la difficulté de
les lie r enfemble , de les d iftribuer, de les m êler
tans , les confondre^ que la difficulté p lu s grande
encore de donner à chacun to u te fon étendue ,
tans ralen tir , fufpendre, intervertir le cours &
l ’ordre des événements ; en un m o t, que § 3 comp
licatio n de m machine p o litiq u e obligé 1 'Hif-
toire a la decom pofer, a Ce divifer e lle - même
en autant de parties q u e lle a d’objets divers : &
5 \ 1 * *.c , ce 3 J* e^ie a fa it fouvent. A infi, la guerre ,
le s finances , le c om m erce, les arts , les lois
le s m égçciations ; ont eu le u r ' Hljïoitè diftin âe \
6 de cette divifipq riait la différence des fty le sco n -
vèhàblès a leu r objet.
Lj art m ilitaire » la marine i économie ,
commerce , les - lois ont une langue févèremént
exaéle. Celle de la Politique e i i .plus .affilée &
pius fubtile : dans les affaires de cabinet, elle
réfervée , Montaigne-
oi^it- CiiUttleufe, -Celle des in fri gues\cfe Cour -eft
pluf flexible. Mais W o B
^e.S * ,a^ i°ns > les troubles domeftiques les
révolutions , les dqfaftres, on a . de grands caractères
a dçveloper , de grandes pafHcns à faire agir y
de grandes ; frêne? • a .décrire 3 la! langue de YH if-
tone devient p^e/q.ue celle de, TÉloquençe ou dé
la Poéfîe.. Voyez , dans Tacite , hiVc'endle * de
Rome 3 dans Tite-Livé , le combat,}'des Horac.es
& la conjuration -des Graccbés, • dans Plutarque ï
le triomphe de Paul-Émile : c'efl to-.ur à tour Ho-
mere ou -Corneille qu’on, croit, entendre- ~ ■
Ainfi, lors même que l ’écrivain s'impofe la tâche
pénible d’embrafter d’un i coup d’oeil tout ce
qu’unjlècle lui préfente d’intérefiant pour l ’avenir ,
& qu’il eonfidere- le ' corps -politique , dont il
décrit les révolutions, comme une machine dont
le mouvement eft le réfultat d’une foule d’im-
pi.ilflous données par différents r efforts liés & combines
enfemblé 3- alors même , non feulement il
-n eft pas permis a fon ftyle d’être uniforme, mais
i l a befoin d être fouple & varié plus que jamais.
Une négociation, une cam pagne militaire, une
inlrigue de Cour , une conspiration , un détail
important de police ou de disciplineun code de
législation, demandent un efprit & une plume
differente > & I hijlorien, dont le génie auroit
cette heureuie facilité à recevoir l ’empreinte des
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objets qui s’offriroient a fa m ém oire feroit p e u t-
être de tous les écrivains le plus rare & le pius merv
eilleux dans fa pçrfe&ion*
P o ur en aprocher autant qu’il eft pofiîble , le
vrai m oyen , a- ce qu’il m e femble , eft de n’af-
iètfter aucun ftyle , de ne jamais fe tendre & fe
roidir , & de livrer fon efprit & fon âme à l ’im-
preffion des objets qui doivent, fuccelîivement. agir
fur la penfée , modifier le fentinaent, & s’approprier
i’expreflion.
.A in fi, Y Hijîoire diffère d’e lle - même par les
tons, fes couleurs, fes caractères différents, félon
les objets qu’e llè exprim e. Q u elqu’un a dit q u e ,
pour Yhiftorien , le m eilleur ftyîe étoi-t celui- qui
reffem bloii à une eau lim pide. Mais s’il n’a point
de couleur à foi , il préndra n aturellem ent celle
dé fon f u je tc o m m e le m ifîeau prend la teinture
du fable qui forme fon- lit.- UHijîoire p olitique
& m orale , la plus féconde en réflexions3 VHijîoire
des C o u rs, la plus curieufe dans fes détails 3 celle
des révolutions, la plus dram atique de toutes 3
Y Hijîoireg é n é ra le , ou celle d’un pays 3 -celle
d’un Em pire 'ou d’un règne 3. des annales ou des
M ém oires demandent plus rou moins de de vélo-
pem ent ou de préçiflon^ d’am pleur ou de rapidité
de P h ilo fopliie ou d’Éloquerice : & prefcrire à
Yhijtoriéffd’avoir toujours un mêm e ftyle , ce feroit
comme prefcrire au p eintre de n’avoir jamais qu’un
mêm e pinceau.
Je n’ajouterai plus qu’une ohfervati-on qui in té -
reffe les- écrivains modernes 3 c’eft q u ’on fe méprend
quelquefois au caractère de fim plicité & de
gravité , qni convient en effet ad ftyle de YHif-
toire. Simple & grave , dans ce fe n s -là fig n ifle
éloigné de toute affectation dans la manière , de
to u te recherche dans la parure. Mais comme en
P ein tu re, en S culpture , l’exprefiiprt de la force ,
de la fierté, de la jhajefté , peut être fim ple , &
c’eft réellem ent lorfqu’elle a toute fa beauté. 5 il
en eft de -même dans Part d’écrire. L a gravité
n’exclut que les mouvem ents paffionnés-. C^eft dans
le four cil de Ju p ite r, c’eft dans le regard, de N e p tu
n e , que. la c o lè re 'e ft exprimée 3 c’eft ;dans..ies;
traits,,, non dans le gefte , que l ’artifte fera fendr
le cara&èrê ou de C aton ou de B ru tu s, & l a
fituation de leur âme , foit au m om ent que l’un a
réfoiu fà m o rt,, foit au moment- que l ’autre délibère
d’affaffiner fon a m i, p e u t- être fon p ère.
T e lle eft l ’expreffion, prefque im m obile','du ftyle
grave. Aucun des grands mouvem ents oratoires ne
lu i convient 5 mais dans fa chaleur concentrée &
retenue , il a fon énergie : n u lle enaphafe, nulle
figuré , nu lle ép ithète ambitieufe 3 mais le m ot p ro pre,
le plus v if & le plus p én étran t, lu i com m unique
fâ vigueur.
L e tribun qui vient de poignarder Meffaline
p aro ît devant C laude au m om ent qu’il eft à tablé.,
& lu i dit qu’e lle eft morte. T acite., en traçant le
tableau de cette fcène , n’y ajoute rien qui marque
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l’imprefilon qu’elle fait fur lui f Sc fans l ’énoncer,
tout l ’exprim e. Nuùciatum Claudio epulanti pe-
rîjfe Mejfalituim , non diftincïo fuà an aliéna
manu : _ nec ille quoefivit ; popofcitque poculum,
& folita convivio celebraviu Nec fequmis quidem
àiebus, odii, gaitdii , iroe, , trijîitioe , ullius
denique humani ajfèBûs figna dédit, non quum
louantes accufatores afpiceret , non quum Jilios
moeremes {ï}.
L e même hijlorien nous p ein t le deuil de R om e
à la m ort de Germ anicus 3 & fans, qu’un m ot de
plainte ou de reg ret indique la triftefle dont ce
tableau T affecte, on voit qu’il en eft pénétré. Confutes.
. . . & Senaïus y ac magna pars populi
viam complevêre , dïsjecîi , & , ut cuiquam
libitum , fientes ; aberat quippe adulatio , gruiris
omnibus Ldet am Tiberio Germanie i mortem male
djjîmulari. Tiberius atque Augujîa publico
abjîinuére ■ injerius mayejiate fuâ rati Ji palani
lamentarentur an ne omnium ~oculïs vtdtum
eomm femtantibus ‘fa lji iruelligerentur ,. . . . .
Dies quo.reliquiae. lumulo Augujii injerebantuiy .
modo per, Jilentiuni vajlus , modo ploratïbus
inqui.es, : plena iirbis , itinera y conlucentes' per ■
campum JYïards fa c e s : il lie. miles cum armis,
fine infignibus rpàgijî rat us , populus per tribus,
cecidiiie rempul?lieafii , n ihii fpei reliquum cia-
mitabant ; prompit its apertiùjque qu-am ut me-
minijfe imper i tan t ht m crederes. Nihil tamen
Tiberium mugis penetrdvit quam jîudïa homi-
11 uni qccenfa in Agrippinam ; quùm déçus pa-
tr-iae , fblum A ugufti fanguinem-, umeum am iqui-
tatii? fpecim en appellarent, ver fl que ad CoeLum
ac deos~ integram ilii fo b o lem , ac fuperfti té m
i n i qüo r u m - p recar en tur' (z). V o ilà le modèle du
. (1) Claude étoit encore à table lorfqu’on vint lui annoncer
que Meflaline étoit m o r t e . fans. lui dire. fi elle
avoir péri- de fà propre main ou. de celle d’un autre ;• & i f ne s’en, informa . poin-t. Ii demanda, à boire 5 & il
acheva f comats de coutume , fon repas avec fes - convive-:.
Les jours fuiyants , il ne donna aucun figue de haine , ni
de joie, ni de jbôlère, ni d’afilidion , ni d’aucun feati-r
ment humain; foit en voyant les .accufateurs de Mefiaüne
fe ré jou ît, foit en voyant la douleur Sc les larmes de fes
enfants.
(2 ) « L e s c o n fu l s , le S é n a t , & la p lu s g r a n d e p a r t ie
»> d u p e u p le r em p lir e n t le c h em in o ù le c o n v o i d e v o i r
« i p a f i e r , d ifp é r fe s ç à oc - l à fa n s .o r d r e , & p le u r a n t to u s
» e n l ib e r té ; c a r i l n ’ y â v o i t d a n s le u r d o u le u r au c u n e
« e fp s e e d ’a d u la t io n , t o u t le in o n d e é t a n t b ie n in f lr .if c
»> e u e la m o re d e G e rm a n ic u s é to i t a g r é a b le à T ib è r e ,.
» T ib è r e & L t v i é s ’ a r aH n ie n t d é fe m o n t r e r , fo ie q u i l s .
» crufjTen't in d ig n e d e la m a je f t e d e fe lamen ter-..en p u b li c ,
n fo i e d e p eu r q u e t a n t d e r e g a rd s p é n é t r a n t s , o b T e r v a n î
» le u r v i f a g e v n ’ y d é c p u v r i f ie n t la fa u f le t é d e leur" a ffi ie -
>» t io n . . . . L e jou r- q u e le s 'r e f t e s d e G e rm k n ic â s^ fu r e n c
« p o r té s d a n s !,e' t.QpjbeciU; d ’A ü g u f t e j o n v i t R o m e ,
» l a u c ô t f em b la b le à u n e fo l i tu d e o ù r è g n o i t u n v a f t e
*» f iie n c e , t a n t ô t ," em p l ie q p t r o u b le & d e g én a iffem en ts :
» to u te s le s n i e s d e là " v i i î é c r o i e n t r em p lie s ; d é s f ia r h -
» b e a u x fu n è b r e s é c la ic o ie n c . i e c h am p d e Mars -: le s fo ld a t s
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ftyle grave , & toutefois d’un fty le fi pittor.efque
& fi haut en couleur , que le p o è te , avec <. les
hardieffes , & l ’o ra te u r, avec fes figures, atteindroient
difficilement à ce degré d’exprefiion. O r il m e
feirible que ce qu’un très -, grand nom bre d hijîo-
riens, parm i les modernes , o nt nég lig é de fê
donner, c’eft cette précifion nombreufe , cette fim p
licité énergique , cette plénitude de penfees &
d’affeéàions profondes , cette gravité plus éloignée
encore de la froideur que de l ’em portem ent. O n
a écrit Am plem ent Y Hijîoire ; mais tro p fouvent
cette fim plicité a. .été n égligée , inculte , & fans
nobleffe. T a n tô t on a voulu prendre un ftyle dè-
velopé 3 il a été foibLe , t ra in an t, & lâche : ta n tô t
un ftyle concis & ferré 3 & il a ele fèc & d u r:
tan tô t un ftyle abondant & pom peux , & il a été
em phatique : ta n tô t un ftyle fam ilie r, 8ç il a été
ram pant. O n s’eft dit que YHijîoire n’éto it pas
rÉ lo q u e n c e ; 011 s’eft trom pé : c’eft l’É loquence
' mêm e , mais retenue com m e un courfler fougueux
que le frein réd u ko it au p a s , & q u i, dans fon
allure , confcrvèroit encore & fa vigueur & fa
beauté# C ’eft' ainfi que , dans Thucydide , daiis
X é n o p h o n , dans T ite -L iv e , dans T acite , & p arm i
nous dans B ofluet & dans V o ltaire , on reconnoîc-
toujours une abondance qui fe m énage, une- chaleur
qu i fe tem père , Une force qui le contient 8c
qui règ le fes mouvem ents 3 au lieu que , dans- le s
écrivains à qui m anquent les nerfs & l a v igueur
de l’É loquence , ce qu’ils a p p elle n t fobriéte dans
l’expreffion n’eft que de l ’indigence, ce qu’ils
ap p ellen t retenue n’eft fouvent rien que m ollëfle 8c
langueur.
L e vrai1 m érite du ftyle de Y Hijîoire fera donc
de s’accom moder à fo n ’fujet & à fon objet. Ces
détails fi intéreffants des V ies de P lutarque feroient
infoutenables dans une Hijîoire générale de' la
G rèce ou de l ’Italie. C e tte b elle finiplicité des
C om m entaires de-C éfar auroit été de la sècherefle
dans lès Décades de T ite -L iv e . L a fom ptuofité
du langage de T ite-L iv e auroit été du faite ' dans
lès . Pvlémoires de C éîai. L e cardinal de R etz - eut
été ridicule ,. s’il eut pris le ton .'grave & fenten-
cieux du préfident de T h b u , ou s’il nous eut décrit
'l a Fronde du ftyle q u i'co nv ient aux révolutions romaines.
.
En un m ot , dans fon tiflu mêm e le p lu s uni ,
le ftyle de Y Hijîoire àod être fim ple avec d ig n ité ,
03 v é c o i e n t fo u s l é s - a rm e s ; le s m a g if îr a t s fa n s le s m a r q u e s
33 d e le u r d ig n i té . ; l e p e u p le i d.iyrfç p a r t r ib u s ; t o u s
* c r i o i e n t q u e la R é p u b l iq u e é to i t p e r d u e q u ’ i l n e r e f i o i t
03 p lu s d ’ e fp é t a n c e j & ce s cris é c la c o ie n t au ffi o u v e r t em e n t
33 Sc a u ffi l ib r em e n t q u e f i o n e u t .o u b li é q u e . ' l ’ o n a v o i r
' 33 d e s m a ît r e s . R i e n c e p e n d a n t ; n e . p é n é t r a fi v iv em e n t T i -
33 b è r e q u e le z è le e n f lam m é q u ’ o n t é in p ig n o i t p o u r A g r i p -
- 03 p în e : o n l ’ a p p e lo k l ’ u n iq u e r e ft é d u ’ fa 'r g d’ 'A u g u fte_ , le
33- fe u l e x em p le d e s m e eu r s a n t iq u e s , Sc , le s -b e u x le v é s ' a u
33 C i e l , o n fu p p l io i t le s d i e u x d e c o n s e r v e r f a r a c e & d e là
33 fa i r e fu r v iv r e a u x m é c h a n t s » ; -
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