
S9 ° T U R
n a if fa n e e - a l a l a n g u e f r a n ç o i f e . ( Voye\ R o m a n e . )
Mem. des Info. t . x v . (L e chevalier D E J A U -
C O U R T . )
TU R LU P IN AD E , f. f. Abus des langues.
Une Turlupinade eft une équivoque infipide, une
mauvaife pointe* une plaifanterie baffe.& fade,
prife de 1 abus des mots. V a y e \ J eu d e m o t s ,
E q u i v o q u e , P o i n t e , Q u o l i b e t .
. -^Islgre notre jufte mépris des Turlupinade s ,
je n approuvçrois pas ces efprits prédieux que ces
lortes de pointes , dans la foçiété , irritent fans
celle , lors même quon les dit par hafard & qu’on
les donne pour ce qu’elles fonr. Il ne faut pas
touj’oujs vouloir refferrer, la joie de fes amis dans
lés bornes d un raiforinement févère ; mais je ne
laurois blâmer,un. homme d’efprit qui relève finement
la lottife de ces Turlupins, dont tous les dif-
cours ne (ont qu’une enchaînure de pointes triviales
& de vaines fubtilités. On fe trompe fort
dé croire, qu’on ne fauroit éviter les quolibets &
les fades plaiîanteries fans une grande attention
a tout ce que l ’on dit. Quand , dès fa jeuneffe,
on a tâché de donner un bon tour d fon efprit ,
on contracte une aiïfli grande facilité à badiner ju-
cicieufement, que ceux qui fe font habitués aux plailanteries
infîpides en; ont a railler fans délicateife &
fans bonfens. ( Le chevalier DE JÂ u c o u r t .)
T U T O IEM E N T , f. m. Belles-Lettr. Poéjïe.
Façon de parler à quelqu’un, a la fécondé per-
lônne du fingulier. La politeffe veut que, dans
notre langue, on faffe comme ïï la perfonne a
qui 1 on adreffe la parole étoit double ou multiple
, & qu on lui dife Vous, au lieu de Tu : c’eft
une fîngularité qui répond à celle de dire Nous,y
quoiqu’on ne fait qu’un , lorfque celui qui parle
elt un Souverain ou une perfonne conftituéè en
dignité, & qu’elle fait un aCte folennel deffa vo^
lonté qu de fon autorité; ufage q u i, je crois,
prit naiffanee chez les empereurs romains , lorf-
qu ils fefoient fèmblant dç prendre ç.onfeil du Sénat,
& d’exprimer dans leurs édits ime volonté
collective. Le Nous eft encore réfervé aux per-
fonnes en dignité ou en fonctions férieufes. Le
VSus eft devenu d’un ufage commun & indifpen-
lable entre les perfbnnes qui, n’étant pas familières
l ’une avec l ’autre , veulent fe traiter décemment,
» Le Tutoiement, dit Fontenelle- ( V ie de
Pierre Corneille ) , » ne choque pas les bonnes
» moeurs , il ne choque que la politeffe & I-a vraie
» galanterie ; il faut que la familiarité qu’on a
> avec ce qu’on aime toit toujours refpeCtueufe ,
» mais auth il eft quelquefois permis au TefpeCt
» d’être un peu familier. On fe tutoyoit an-
» ciennemeot dans le Tragique même ,. auffi bien
» que dans le Comique-; & cet ufage ne finit que
» dans Y Horace de Corneille, où ’ Cui-iace & Ca.
» mille le pratiquent encore. Nâtu„r d ie me nt
T u t
»- Comique, a dù pouffer cela un peu plus loin *
» cet égard, le Tutoiement n’expire que dans le » Menteur ».
Je ne fuis pas tout à fait de l’avis de Fontenelle,
Le Tutoiement ? d’égal à égal & dans une fitua.
tion tranquile ,. eft fans doute une familiarité;
mais, foit dans le Tragique foit dans le Comique
cette familiarité fera toujours décente, non feule,
ment du frcre à la• fceur , de l’ami à l’ami, mais
encore de l’amant à la maitreffe , lorfque l’innocence
, la fîmplicité , la franchife des moeurs l’au-
torifera , comme dans le langage des villageois,
des peuples agreftes,.ou fauvages, ou même peu
civilifés., & dont les moeurs font âpres & auftères,
Alzke & Zamore' fe tutoient , & il n’y a rien
d’indécent. C’eft peut-être là même raifbn, ou
plus tôt un fentime’nt exquis, de la vérité des moeurs,
qui a engagé Corneille à donner cette nuance de
familiarité au langage de Curiace & de Camille.
En général , toutes les fois que la familiarité
douce n’aura l’air que de l’innocence & de l’ingénuité,
le Tutoiement fera permis. Il l’eft dé même
dans tous les' mouvements, d’une tendreffe vive o;|
d’une palîion violente“.. ’’ *
O R O S M A N E A Z A ï R E.-
QueI caprice éconnanc.que je ne conçois pas !
Vousvrrx’ amïëz ? Erpourquoi vous forcez-vous-,Cruellë^
A déchirer le coeur d’un amant-fi fidèle ?
Je nie connoifiois mal ; oui,, dans mon défefpoir ,.
J’a-Yois cru fur moi-même avoir plus de pouvoir.
V a , mon coeur eft bien loin d’ un pouvoir fi funeftês-
Z a ïr e , que jamais la vengeance célefte1
Ne donne à ton aniant, ehchainé fous ta loi ,
La force d*oublier l*amour qu’il a pour toi !
Qui, moi ? que fur mon trôné une autre fut placée î-
N o n , je n’en eus- jamais la fatale penfee :
Pardonne à mon courroux, à mes- fens-interdi ts r
Ces dédains affe&é? & fi bien démentis. :
C e ft le feul déplaifir, que jamais dans ta vie
Le Ciel aura youlu qup.catendrefle efluye.
, Je t’aimerai toujours. . ..Mais d’oiiviencque ton coeur,,
'E n partageant mes feux , différoit mon bonheur ?
Parle ; étoit-ce un caprice ? eft-ce crainte d ’ un maître,,
D ’ un foûdan, qui poiir toi veut renoncer à l'être î'
Seroit-ceun artifice? Épargne-toi ce foin :
L’art n’eft pas fait pour toi , tu n’ en as pas befoin ;.
Qu’il ne fouille jamais- le faine noeud qui nous lie t
L ’art le plus innocent rient de la perfidie.
Je n’en connus jamais , & mes fens déchirés,
Pleins d’un amour fi v ra i. . .
Z'A ï R m
Vous me délefpérer»
Vous m’ êtes cher, fans doute , & ma tendrefle extrême
' Eft le comble des. maux pour ce coeur qui vous aime.
O r o s m a n e .
O C ie l ! e xp liq u e z-y o us, Qup.i ! toujours me çrpi»blçç
T U T
Cet exemple fait voir bien fenfiblemênt par |
quels mouvements .de l ’âme on peut paffer avec
bienféance du Vous au Tu , & du Tu au Vous ;
mais ce qui eft naturel & décent dans le cara&ère
d’Orofmane, fie le feroit pas dans celui de Zaïre ,
parce qu’il ri’eft que tepdre > & qu’il n’eft point
paffionné. Tant que la paflion d’Hermione eft contrainte,
elle dit Vous t en parlant à Pyrrhus ;
Du vieux père d’Hé&or la valeur abattue
Aux pieds de fa famille expirante à fa vu e .
Tandis que’ dans fon fein votre bras enfoncé,
Cherche un refte de fang què l’âge avoxt glacé ;
Dans des. ruifteaux de fang Troie ardente plongée }
De votre propre main Polixènè égorgée,
Aux ieux de tous ces grecsïndignés,contre vous;
Que peut-on refufer aces généreux coups?
Mais dès que fon indignation, Jon amour , fa douleur
éclatent, Hermione s'oublie, le Tutoiement eft
placé.
Je ne t’ai point aimé i cruel! qu’ai-je donc fait?
J’ai dédaigné pour toi les voeux de tous nos princes;
• Je t’ai cherché moi-même au fond de tes provinces;
J’y fuis encor, malgré tes infidélités ,
Et malgré tous ces grecs, honteux de mes bonté s
Mais, Seigneur , s’il le faut, fi le Ciel en colère.
Réfetve à d’autres ieux la gloire de vous plaire, &c.
Une fîngularité remarquable dans, l ’ufage dii
Tutoiement ■> c’eft qu’il eft moins permis dans le
Comique que dans le Tragique; & la raifon en
eft, que le férieux de celui-ci écarte davantage
l’idée d’une liberté indécente. Pour que deux amants
fe tutoyent dans une fcètje comique , il faut qu’ils
foient d’une condition où les bienféances ne {oient
pas connues ou que leur innocence & leur candeur
Foit fi marquée , quelle donne fon cara&ère âleur
familiarité.
Une autre bizarrerie de l’Ufage eft de permettre
le Tutoiement 9 du moins en Poéfie , dans
T-JJ T
pextréme pppofé à la familiarité ; c eft ainfi qu en
parlant a Dieu & aux rois, on les tutoie ,. foit a
l ’imitation des Anciens, .foit parce que le refpett
qu’ils impriment eft trop au deffus du foupçon ,
& que le caractère, en eft. trop marqué pour ne pas
dilpenfer d’une vaine formule.
Grand Dieu , tes jugements font remplis d’équite •
Grand Roi t celle de vaincre, ou je celle d écrire.
Les deux caractères extrêmes du Tutoiement Ce
font fentir dans ces deux épitres de Voltaire :
Philis , qu’eft devenu le temps, &c.
T u m’appelle* à to i, vafte ôc puiffant Génie , &c.
Dans l ’une , il eft l ’excès de la familiarité ; ^ dans
l ’autre, l ’excès du relpeét & le langage de lap o-
théofe.
A propos de l ’Ufage q u i, dans notre langue,
veut qu’on mette le pluriel à la place du fingn-
lier ; j.e demande pourquoi, dans un écrit qui eft
l ’ouvrage, d’un leul homme , l ’auteur,. en parlant
de lui-même , fe croit obligé de dire Nous ï C e
n’eft certainement pas pour donner à ce qu’il avance
une forte d’autorité qui ait plus de volume & de
poids; c’eft'au contraire une formule à laquelle
on attache une idée de modeftie. Mais fur quoi
porte cette idée ? Nous croyons , nous ne penjons
pas , nous avons prouvé, &c ; eft-ce dire autre
choie que je crois, j e ne penfe p a s / ai prouvé!
I l eft Vraifemblable que cet ufage s’eft introduit
par des ouvrages •• de fociété, où le travail étoit
commun & l ’opinion collective ; & que dans la?
fuite, pour donner à leur ftyle plus de gravité ,
quelques écrivains ont fuivi cet exemple. Mais
lorfqu’un homme , en fe nommant, propofe fes
idées comme venant de lui , la formule de Nous
eft au > moins inutile; & la preuve q ue, dans
l’ufage & dans, l ’opinion , le perfonnel au fingulier
n’ eft pas un trait de vanité , c’ eft qu’en parlant ou.
en opinant, jamais orateur , -ni facré ni profane , ne
s’eft cru obligé de dite Nous. ( M. M.ARMONTEL.\
U
v T , f. m. Grammaire. C ’eft la vingtième lettre
de l’alphabet latin ; elle avoit, chez les romains,
deux différentes lignifications , & étoit quelquefois
voyelle & quelquefois confonne.
I. La lettre U étoit voyelle , & alors elle
repréfentoit le fon ou , tel que nous le ferons
entendre dans fo u , Içup , nous , vous,, qui eft un.
fon fimple, & qui, dans notre alphabet, deyroit
avoir un caraCtère propre , plus tôt que d’être re-
préfenté par la fauffe diphthongue ou.
De là vient que nous avons changé en ou la
U
voyelle u de plufieurs mots que nous avons empruntés
des latins , peignant à la françoife la prononciation
latine que nous avons confervée : Jourd,
de furdus ; court, de curtus ; couteau , de culter ;
four , defurnus ; doux , de dulcis ; bouche , de
bucca ; fou s & anciennement foub\ , de fub ; genou,
de genu; bouillir & anciennement boullirf
de bullire, &c.
II. La même lettre étoit encore confonne chez les
latins , & elle repréfentoit l ’articulation fémila-
biale foible, dont la forte eft F ; le digamma F f ff a