
effrontée , méchante , obfcène ; l'autre élégante ,
p o lie , ingénieufe, agréable. Selon lui , on peut
encore connoître la mauvaife Plaifanterie , non
feulement à la baffeffe du fujet & des expreffiôns,
mais encore à l ’indécence & à l ’effronterie qu’elle
renferme & qu’elle produit à propos ou à contretemps
> comme quelque chofe d’effenciei. L a qualité
propre de la bonne P laifanterie eft fans
contredit ce que Cicéron en nomme le f e l , qui
n’eft autre chofe que cet/.efprit délicat qui peut
mieux fe fentir que s’exprimer., Moins les moyens
dont on fe fert pour rendre une chofe plaifante
frapent les yeux , plus ils font fubtils ; moins
les gens épais aperçoivent la P laifanterie , plus
elle a de fel. Veut-on faire paroître 1 e Plaifant
& le Rifible d’une chofe par des tournures ou des
comparaifons dont on découvre la foibleffe fans
qu’il foit néceffaire de réfléchir ? la Plaifan-
terie fera froide. Emploie - t - on pour cela des
idées , des images plates , groffièrès , & à la portée
des hommes les plus matériels ? la Plaifanterie
fera o-roflière. Confifte-t- elle dans des reffemblances
’"recherchées , & q u ib ien loin d’avoir des fondements
naturels, ne s’appuient que fur des jeux de
mots & autres chofes femblables ? elle fera forcée
& dénuée dé goût. Nous avons , hélas J une fi
grande foule de foi'-difant poètes comiques en
Ailemao-ne, qu’il feroit aifé de citer des exemples
dé toutes les efpèces de mauvaifes Pl&ifanteries ;
on pourroit même tirer un parti avantageux de
cette quantité de mauvaifes P laifante ries, fi quelqu’un
fe donnoit la peine de les préfenter aux
jeunes poètes comme des échantillons d’une manière
de plaifanter qu’ils doivent bien fe garder
d’adopter. Jufqu’à préfent nous ne pouvons pas
dire que la Plaifanterie délicate l'oit un don
bien commun parmi nos . meilleures têtes allemandes.
Les anciens, croyoient que ce que les gréés
appeloient S e l attique , & les latins Urbanité ,
n’étoit autre chofe que ce que la bonne compagnie
& les gens de bon goût regardent comme
la 1>ônne Plaifanterie ;' mais la plupart de nos
jeunes poètes qui entrent dans le monde après avoir
paffé bien du temps dans une école obfcure ou
dans une univerfité, où. fouvent encore ils auront
employé la plus grande partie de leurs jours à des
occupations frivoles, s’imaginent pofféder le talent
de la Plaifanterie , parce qu’ils font d’une humeur
enjouée. Nous ne manquons pas cependant
abfolument de ces génies qui peuvent badiner avec
goût. Il y a déjà plus de deux-cents ans que le
(avant jùrifconfulte, Jean Fichart de Strasbourg ,
faifoit honneur à l ’Allemagne par fa. manière délicate
de plaifanter. Lorfque la Littérature allemande
était encore au berceau, Logan & Wer-
nike montrèrent en même temps qu’ils avoient
l ’idée du bon goût qui doit régner dans la P la i-
. fonte rie; mais Hagedorn a dans ce point, comme
'dans plufieurs autres, & le premier faifir' & fuivre
le fentier du bon goût. Lifco r , Roft, St Rabner
font affez connus, aulfi bien que Zacharie. Combien
ce dernier n’a-t-il pas fait paroître de talent
pour la fine Plaifanterie , dans fes intéreffants
ouvrages comiques ? Vieland s’eft montré prodigue
dans les preuves qu’il nous a données de fes .talents
pour ce genre ; c’eft dommage que fa mufe
ait perdu beaucoup de fon ancienne pudeur par
le commerce des Faunes libertins; que ce grand
génie qui, par fes talents extraordinaires, égale tout
ce que jeconnois de plus rare , me pardonne , lt
j’avoue ici fincèrement que je n’ai jamais pu comprendre,
comment fon efpuit mâle & vigoureux a
pu permettre à fon imagination de s’oublier comme
elle a fait en quelques endroits de fes ouvrages comiques
j ne devoit-il pas regarder le rare talent
de plaifanter, qu’il poffédoit au fuprême degré &
dont i l s’eû lervi heureufement dans plufieurs endroits
de fes écrits, comme un don précieux que
la nature ne lui avoit pas fait pour exciter fes
leâeurs à des défordres , qui n’ont déjà que trop
d’attraits en eux - mêmes ? A coup • fûr on ne rend
pas fervice à la Jeuneffe par de telles féduélions ;
& des êtres épuifés par la volupté valent - ils la
peine qu’un homme d’efprit les aide à réchauffer
leur imagination? ( M. SuLZERs)
PLAISIR, DÉLICE , V O LU P T É . Synonym.
L ’idée de Plaifir eft d’une bien plus vafte étendue
que réelle de Délice & de V o lup té , parce que
ce mot a raport à un plus grand nombre d’objets
que les deux autres. Ce qui ,concerne l ’efprit, le
coeur , les fens, la fortune , enfin tout eft' capable
de nous procurer du Plaifir. L ’idée'' de Délice
enchérit par la force du fentiment fur celle du
P la ifir ; mais elle eft bien moins étendue par
l ’objet : elle fe borne proprement à la fenfation ,
& regarde furtout-celle de la bonne chère,. L ’idée
de Volupté eft toute fenfuelle, & femble défigner ,
dans les organes, quelque chofe de délicat qui raffine
& augmente le goût.
Les vrais philofophes cherchent le Plaifir dans
toutes leurs occupations, & il s’en font un de remplir
leur devoir. C ’eft un Délice pour certaines per-
fonnes de boire à la glace , hiême en hiver ; &
cela eft indifférent pour d’autres , même en été.
Les femmes pouffent ordinairement la fenfibilité
jufqu’à la Volupté ; mais ce moment de fenfation
ne dure guères ; tout eft chez elles auffi rapide que
raviffànt.
Tout ce que je viens de dire ne regarde ces
mots que dans le fens où ils marquent un fentiment
ou une fituation gracieufe de l’âme. Mais ils ont
encore , furtout au pluriel, un autre fens, félon
lequel ils expriment l ’objet ou la caufe de ce
fentiment; comme quand*on dit d’une perfonne
qu*Elle fe livre entièrement aux P la ifir s, qu’Elle
jouît des Délices de la campagne , qu’Ellé fe
plonge dans les Voluptés. Pris dans ce dernier
fens, ils ont également, comme, dans l ’atttre >
leurs
leurs différences & leurs délicateffes particulières*
Alors le mot de Plaifir a plus de. raport aux
pratiques perfonnelles, aux ulages , & aux.paffe-
temps; tels que la table, le jeu , les fpe&acles,
& les galanteries. Celui de Délices en a davantage
aux agréments que la nature , l’art, & l’opulence
Fourniffent ; telles que de belles habitations ,
des commodités recherchées , & des compagnies
; choifies. Celui de Voluptés défigne proprement
des excès qui tiennent de la molleffe & du libertinage
, recherchés par un goût outré, affaifonnés
par l ’oifiveté, & préparés par la dépenfe ; tels qu’on
; dit avoir été ceux où Tibère s’abandonnoit dans-
i Ëîle de Captée. Voye\ Contentement, Joie * Satisfaction , Plaisir. Synonymes. ( U abbé Gir a r d . )
* P L A N , f. m. ÈeLles - Lettrest Ce terme ,
emprunté de l ’Architedture & appliqué aux ouvrages
d’efprit, fignifie les premiers linéaments qui tracent
: l e . d-e.ffi a d’un ouvrage, fon étendue çirconfcnte ,
f fon commencement, ion milieu , fa fin , la diftribu-r
tion & l ’ordonnance de fes parties principales, leur
j raport, leur enchaînement.
Ce doit être le premier travail de l’orateur, du
t poète, du philofophe, de l’hiftorien, de tout homme
I qui fe propofe de faire un Tout qui ait de l ’enfemble
[ & de la régularité.
Un homme qui n’écrit que de caprice, & par
penfées détachées , comme Montaigne dans fes
[ E fia is, peut n’avoir qu’une intention générale;
I i l eft difpenfé de fe tracer un P lan . Mais dans
I un ouvrage où tout doit fe li e r , fe combiner
j comme dans une montre * pour produire un effet
I commun, eft-il prudent de fe livrer à fon génie,
fans avoir fon Plan fous les ieux ? c’eft cependant
ce qui arrive affez fouvent aux jeunes écrivains , &
l furtout dans le genre où ce premier travail, bien médité,
feroit le plus indifpenfable.
Pénétrons dans le cabinet d’un poète habile &
fage, & voyons-le occupé du choix & de la difpo-
[ fition d’un fujet.
Parmi cette foule d’idées que la leélure & la
I réflexio’ti lui préfentent, il lui vient celle d’un
| ufurpateur , q u i, de deux enfants nourris en-
femble , ne fait plus lequel eft fon fils , ou le
| fils du roi légitime dont i l veut éteindre la
1 xace.
Le poète , dans cette maffe d’idées, voit d’abord
I un fujet tragique ; il la pénètre, la dèvelope ; St voici
I à peu près comment.
Ces deux enfants peuvent avoir été confondus par
E leur nourrice ; mais fi la nourrice n’eft - plus , on
K eft sûr que le fecret de l ’échange eft enfeveli avec
K elle : le noeud n’a plus de dénouement. Si cette
K femme eft vivante & fufceptible de crainte , l ’ac-
I ne peut plus être fufpendue : Fafpeft du
I fupplice fera tout avouer à ce témoin foible &
f timide. Le poète établit donc le cara&ère de la
Gramm. et Littérat* Tome 111*
nourrice comme la c le f de la voûté. Elle adore
le fang -de fes maîtres, détefte celui du tyran,
brave la mort, & s’obftine au fecret. Ce n’eft pas
tout : fi le tyran n’eft quambitieux & cruel, fa
fituation n’eft pas affez pénible. Il peut même
être barbare au point d’immoler foh fils , plus tôt
que Me rifquer que fon ennemi lui echape, 8c
trancher ainfi le noeud de l ’intrigue. Que fait le
poète ? Au puiffant motif de faire périr 1 heritier dit
trône, iioppofe l ’amour paternel, ce grand reffort
de la nature ; & voyez comme fon fujet devient
pathétique & 1 fécond. Le tyran v a , fut des lueurs
de. fentiments, fur desfoupçons & des conjectures,
balancer; entre fes deux victimes & les menacer
tour à tour. Mais fi l ’un des deux princes étoit
beaucoup plus intéreffant que l ’autre par fon caractère.,
i l n’y aüroif plus cette alternative de
crainte qui met l ’âme des fpeCtateurs à l ’étroit,& qui
- rend cet té efpèce de fituation plus vive & plus preff-
fante : le poète, qui veut qu’on frémiffe pour tous les
deux tour à tour., les fait donc vertueux l ’un &
l ’autre ; & dès lors, non feulement le tyran ne fait
plus lequel préférer pour fon fils, mais lorfqu il
veut Te déterminer * aucun des deux ne confènt à
l ’être. De cette combinaifon de caractères naiffent,
comme d’elies-mêmes, ces belles fituations qu’on admire
dans Héraclius.
Devine fi tu peux , 8c choifis fi tu Pôfes . . .
O malheureux Phocas ! ô trop heureux Maurice ï
T u retrouves deux fils pour mourir après toi i
Et je n’en puis trouve!: pour régner après moi.
Comment s*eft fait le double échange qui a
trompé deux fois le tyran ? fur quels indices chacun
des deux princes peut-il fe croire Héraclius ? pat
quel moyen Phôcas,les va-t-il réduire à la néceflité
de décider fon choix ? quel incident, au fort du
péril , tranchera le noeud de l ’mtrigile & produira
la révolution ? Tojjt cela doit .s’arranger dans la
penfée du poète comme l ’eût difpofé la nature
ellermême , fi elle eut combiné ce beau P la n . C ’eft:
ainfi que travailloit Corneille. Il ne faut donc pas
s’étonner fi l ’invention du fujet lui coutoit plus quç
l ’exécution.
Quand la fable n’a pas été conçue avec cette
1 méditation profonde , on s’èn aperçoit au défaut
d’harmonie & d’enfemble, à la marche incertaine
& laboriéùfe de l’action , à l ’embarras des dèvelo-
pements, au mauvais tiffu de l ’intrigue, & à une
certaine répugnance que nous avons à fuivre le fil
des évènements.
L a marche d’un poème, quel qu’il fo i t , doit
être celle de la natüre, c’eft à dire , telle qu’i l
nous foit facile de croire que les chofes fe font
pafiées comme nous les voyons. Or dans la nàturë
les idées, les fentiments, les mouvements de l ’âme
ont une génération qui ne peut être renverfée. Les
événements ont de même une fuite, une Uaifon
I