
peindre. Il faut avouer cependant que, lî les profondes
recherches du philofophe ne font pas ef-
fencielles au Poète , au moins lui feroient - elles
d’une grande utilité ; & celui que la nature a
initié dans fes myitères , aura toujours, fur des
hommes fuperficiellement inftruits , un avantage
prodigieux. La Phyfîque eft à la Poéfie ce que
l ’Anatomie eft à la Peinture : elle ne doit pas s’y
.faire trop fentir ; mais revêtue des grâces de la
fiétion, elle y joint le charme de la vérité.
La fimple nature eft donc pour la Poéfie une
mine abondante j la nature modifiée par Tinduftrie
n’a pas moins de quoi l ’enrichir.
L a théorie de l ’Agriculture , des Méchaniques ,
de la Navigation , tous les arts de décoration ,
d’agrément, & tous ceux des arts utiles dont les
détails ont quelque noble (Te. , peuvent contribuer
à la colledion des lumières du Poète. I l doit
çn être allez inftruit pour en tirer à propos des
images, des comparaifons, des defcriptions même,
s’i l y eft amené.
Huila fit ingenio quam non libaverit artem.
Vida.
C’eft par là qu’on évite la fechereffe & la
ftérilité dans les chofes, les plus communes ,
& qu’on peut être neuf en un fujet qui paroît
ufé.
Tantum de medio fumptis acçedip JionQris,
Horar,
Dans l ’étude de la nature modifiée eft comprife
gelle des produétions de l ’efprit, de fes dèvelo-
pements , & de. fes progrès en Éloquence , en
Morale , en Poéfie , &ç.
Que l ’étude des Poètes foit effencielle à un
Poète , ç’eft ce qui n?a p a r befoin de preuve :
Hinç pcâore numen
Concipiunt vates.
Mais on n’eft pas affez perfiiadé que les phi-
lofophes, les orateurs , les hiftoriens profonds ;
que Tacite, Platon , Montaigne , Démofthène ,
Maffillon , Bofluer, & ce Pafchal qui ne favoit
pas combien i l étoit Poète lorfquil méprifoit
la Poéfie, en font eux-mêmes des. fources inépui-
fables. 11 eft cependant bien aifé de reconnoître,
à la plénitude & à Fabondance des fentiments &
des idées , un Poète nourri de ces études. I l en
eft une furtout, que j’appelle la compagne du travail
& la nourrice du génie ; c’eft la leâure habituelle
de quelque auteur excellent, dont le ftyle
j& la couleur foient analogues au fujet que l ’on
traite. D ’une féance à l ’autre , l ’âme fe dérange
par le mouvement & la diflîpation : i l faut la remon-
|er au ton de la nature* & l ’auteiir que je çonfeille
de lire eft comme un inftrument fin* lequel
on prélude avant de chanter-
II: y a des moments de langueur où le génie
femble épuifé j
Credaspenitùs migrajfe Came nas:
kVida#
on fe perfuade qu’il eft prudent d’attendre
alors dans le repos que le feu de l’imagination
fe rallume ;
Adventumque dei Gr facrum expeçlare calorem :
Ibid.
on fe trompe ; cet abandon de foi - même fe
change en habitude , & l’âme infenfiblement s’accoutume
à une lâche oifiveté. Il faut avoir recours
a des études qui raniment la vigueur du génie $
& lorfque par cette nourriture il aura réparé fes
forces , le défîr de produire va bientôt l ’exciter
avec *de nouveaux aiguillons.
La Théologie des Philofophes eft encore un
champ vafte & fertile où le génie peut moiffon-
ner. On diftingue les fidtions qui ont pris naif-
fance au fein de la Philofophie ; on les diftingue
des fables vulgaires, à la jufteffe des raports, 8c
à certain air de vérité que celles-ci n’ont jamais.
La raifbn même applaudit, dans les poèmes
de V irg ile , toutes les fables qu’i l a empruntées
d’Épicure, de Pythagore, & de Platon. L ’imagi-
nation fe repofe avec délices fur un merveilleux
plein d’idées ; elle griffe avec dédain fur un men-
îonge vide de fens.
Que l ’on compare dans Homère la Chaîne d’or
' attachée au trône de Jupiter , la ceinture de Vénus
, l ’allégorie des prières-, l ’ordre que le dieu
Mars donne à la. Terreur & à la Fuite d’atteler
fon char ; que l ’on compare , dis - je , le plaifir
pur 8ç plein que nous çàufent ces belles idées ,
ces idées philofophiques, avec l’impreflion foible
& vague que fait fur nous la parole accordée'
aux chevaux d’Açhille , le préfent qu’Eole fait à
Ulyffe des vents enfermés dans une outre , le foin
que prend Minerve de prolonger la première nuit
que ce Héros , à fon retour, paffe avec Pénélope
fa femme , &c : on fentiva combien la vérité donne
de valeur au menfonge, & coiûbien la feinte eft
puérile , infipide , lorfqu’elle n’eft pas fondée en
raifôn. Je l ’ai déjà dif , & je le répéterai fouvent,
plus un Poète , à génie é g a l, fera philofophe ,,
plus i l fera Poète. *
Le plan d’études que je viens de tracer , pro-?
pofé à un feul homme , feroit fans doute effrayant,
quoique notre fiècle ait l ’exemple d’une génie
qui l ’a rempli. Mais on a dû voir que , pour éviter
la djftribution des études , j’ai fuppofé le Poète
univerfel. Il eft évident que celui qui fe renferme
dans le genre de l ’Églogue n’a pas befoin des
études relatives à l ’Épopée. Je parle donç e»
général ; fe je laiffe à chacun le (oin de choiiîr
reipèce d’aliment qui convient à la nature de fon
génie :
Atque tais prudens genus elige viribus aptum.
Vida/
J’obferverai feulement qu’i l en eft des connoif-
fances du P,oète comme des couleurs du peintre ,
qui doivent être fur la palette avant qu’il prenne
le pinceau» C ’eft par un recueil beaucoup plus
ample que le fujet ne l’exige , qu’il fe met en
état de le maitrifer & de l ’agrandir. Le plus beau
fujet, réduit à fa fubftance , eft peu de chofe ^ il
ne s’étend , ne s’embellit que par les lumières
du Poète & dans une tête vide , il périra comme
le grain jeté fur le fable ; au. lieu que , dans une
îmagination'pleine & féconde , un. fujet qui fem-
bloit ftérile ne devient que trop abondant ; & cet
excès j dans un homme de goût ne fût-il pas tout
à fait fans, danger , il feroit encore vrai qu’à l ’égard
de l ’efprit rien n’ëft pire que l’indigence.
I lli qui tument & abundàntiâ laborant ,
■ plus habent furoris, Jed etiam torporis. Semper
autem ad fanitàtem proclïvius eft quod poieft
detraclione curari. I lli fuccürri non poteft , qui
Jimul £* inj'%nit 6* déficit. Senec. ( M . M a r -
MON TEL. ) /
Obfervations fu r ce qui conftitue véritablement
le Poète.
Ce nom ne doit pas être donné indifféremment
à tous ’ ceux qui font des vers :
„ .! . Nèque enim cencludere verfum
Dixeris ejfe fatis.
Horace, Serin. I. 4.
On n’ eft pas plus Poète pour dire des-chofes
■ communes en vers , qu’on n’eft orateur quand on
parle en converfation. I l faut ivavoir aucune teinture
des connoiffances relatives aux- objets de
goû t, pour s’imaginer que des idées triviales &
que chacun peut avoir tous les jours , aquièrent
des beautés & du prix , lorfqu’on les affujettit aux
règles de la verfification : c’eft plus tôt tout .le
contraire. Un langage aufïi extraordinaire que l ’eft
• celui des Mufes , demande néceffairement des idées
ou des fentiments extrordinaires , qui rendent raï-
fon de ce qu’on ne s’exprime pas comme de
coutume.
Après * cela , il ne faut pas placer le cara&ère
du Poète dans l ’art d’orner un difcours par dès
vers bien faits & harmonieux ; il confifte dans l ’art
de faire de vives impreflions fur l ’efprit & fur le
coeur* en prenant une route- différente de cçlle
du langage ordinaire. « Arranger dés mots & des
» fyllabes conformément à certaines lois ,S c’eft ,
». 4it Opitz , la moindre qualité du Poète- Il
» doit être ’vtya.i'ta.o-uuTCLTos , ’ c’eft à dire , abon-
» der en idées mblimes & en inventions ingé-
» nieufes j fon efprit doit être capable de prendre
» l ’effor le plus élevé , dé faifir ce que les objets
» ont d’intéreffant , & de le peindre avec force ;
» fans quoi il rampe & fe traîne dans la pouf-
» fière. ( Opitz , Sur la Poéfie allemande j » . Horace
penfoit de même , lorfqu’ii ne recoruioiffoit
pour Poète que celui-ci 5
Tngenium cui fit, cui mens dlvlnior, atque os
Magna fonaturum.
Affûrément le langage poétique s’éloigne fi
fort du langage ordinaire & donne dans un tel
enthoufiafme , qu’on a eu raifon de l ’appeler le
Langage■ des dieux : auffi faut - il qu’il prenne
fa fo.urce . dans une forte d’infpiration feçj£te , qui
n’eft autre chofe que le génie, ou le talent naturel
de la Poéfîe. On a lieu de croire que la
Danfe , la Mufique , le Chant, & la Poéfie re~
I montent à une fpurce commune..Ainfi, le meilleur
moyen d’arriver à la découverte du génie poétique,
c’eft de nous rappeler l ’origine la plus vrailem-
blable qu’on puiffe attribuer à ces différents arts.
\Voye-{ V ers ,Musique, C hant, D anse.) Nous
pourrons en inférer ■ d’où eft né le langage poétique
, & comment l ’on s’eft avifé de, méfurer fes
paroles pour changer les difcours en chants. Afin
de faifir le rien qui unit ces trois arts dès leur
naiffance , il faut confidérer qu’i l s’élève quelque-
fois dans l ’âme des idées ou des;fentiments qui,
tantôt par leur vivacité,- tantôt par une douceur
infinuante mais vi&orieufe, quelquefois par . certaine
grandeur qu’elles tirent de la Religion ou
de la Politique , s’emparent fi puiffamment de
toutes nos facultés , qu’il en réfulte un enthoufiafme
doux ou véhément, dans lequel les paroles
coulent comme un torrent 8c s’arrangent tout au*
trement que :dans le calme de la vie commune.
Celui qui eft fufceptible . de ces. impreflions , &
que la nature a en même temps organife.de manière
à fentir les fineffes dont. l ’oreille juge ,
. voilà le Poète né.
Ainfi , le fonds du génie poétique ne peut être
placé que dans une extrême fenfibilité de l ’âme,
affociée à une vivacité extraordinaire d’imagination.
Les impreflions agréables ou défagréables
font fi fortes dans le Poète , qu’i l s’y livre tout
entier , fixe fon attention fur ;ce qui fe paffe au dedans
de lu i , & donne un libre cours à l ’expref-
fîon des' fentiments qu’il éprouve : alors i l oublie
tous les objets qui l ’environnent , pour ne s’occuper
que de ceux que fon imagination lui préfente
& qui fèrablent agir fur fes fens même.
I l entre dans cet enthoufiafme qui , fuivant l ’éf-
pèce du fentiment qui le produit, montre fa vëhé-
mence ou fa douceur, tant par le ton de la voix
que par le flux des termes.
Mais à ce vif feataent-fe joint une force extraor