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nommer ou à qualifier les êtres ? Ceux qui fervent
â nommer les êtres font donc les Subflantifs ; or
je le demande, quelle lumière peut fortir d'une
pareille définition ? Les noms fubfiantifs font ceux
qui fervent à nommer les êtres, c’eft à dire, ce
me femble , que les noms fubfiantifs font ceux
qui font des ' noms : définition admirable î Que
peut-elle nous apfendre, fi elle ne nous conduit à
conclure que les noms adjeélifs font ceux qui ne font
pas des noms ? C’ eft en effet ce que j’entreprends de
prouver ici.
J*ai déjà apprécié ailleurs ( voye% Genre ) les
raifons alléguées par l ’abbé Fromant ( Suppl. aux
eh. i j , iij , & iv de la I I . pan. de la Gramm. gén. )
en faveur de' la vieille diftinélion des noms ‘ en
Subjiantifs & Adjeélifs ;- & je dois ajouter ici que ,
dans une lettre qu’i l écrivit à mon collègue & à
moi le iz novembre 1 7 ^ , i l eut le courage de
nous dire du bien de cette critique. » La critique,
» dit-il , que vous avez faite, au mot Genre,
» d’un endroit de mon Supplément, eft philofo-
» phique & judicieufe ». Cette louange fi flatteufe
«’eft corrigée enfuite ni par f i ni par mais ; elle
eft diétée par la candeur j & elle eft d’autant plus
digne d’éloges, qu’elle eft un exemple malheureu-
fe’ment • trop rare dans la république des Lettres, Je
reprends donc le raifonnement, que je n’ai , pour
ainfi dire, qu’indiqué au mot G enre , pour en
montrer ici le dèvelopement & les conféquences.
La néceffité de diftinguer entre les Subjiantifs
& les Adjeélifs, pour établir les règles' qui concernent
l ’ufage des genres r eft la feule raifon que
j’aye employée direélement, & même fans trop
Laprofondir : je l ’ai examinée plus particulièrement
en parlant du Mot , art. 1 ; & les ufages de toutes
les langues, à l ’égard des nombres & des cas,
n’ont fait que fortifier & étendre le même principe.
L ’analyfo la plus rigoureufe m’a conduit invariablement
à partager les mots déclinables en deux
elaffes générales; la première, pour les noms &
les pronoms, & la fécondé pour les adjeélifs &
Jes verbes : les mots de'la première ciaffe ont pour
nature commune de préfenter â l ’efprit des êtres
déterminés ; ceux de la fecOnde claffe , de ne préfenter
à l’efprit que des êtres indéterminés. Les
.adjeélifs font donc aufli éloignés que les verbes de
ne faire avec les noms qu’une feule & même
efpèce.
Ce qui'a pu induire lâ-deffus en erreur les grammairiens
, c’eft que les adjeélifs reçoivent, dans
prefque toutes les langues, les mêmes variations
que les noms, des terminaifons pour les genres ,
pour les nombres, & des cas même dans les idiomes
qui le comportent ; la déclinaifon eft la même
pour les uns & pour les autres partout où on les-
décline , en grec , en latin, en allemand, ;
ajoutez à cela la concordance de l ’adjeélif avec le
nom , & de plus l ’unité de l’objet défîgné dans la
phrafe par l ’union des deux mots : que de raifons
ji’errer pour ceux qui n’aprofondiffenc pas affez,
& pour ceux qui fe croient grammairiens , parce
qu’ils en ont apris la partie pofitive & les faits ,
quoiqu’ils n’enayent jamais pénétré les principes !
Les noms , que l ’on appelle communément Stibfi
ta jitifs, & que je »’appelle que Noms , font des
mots qui préfentent à ■ l ’efprit des êtres déterminés
par l’idée précife de leur nature : & les Adjeélifs
font des mots qui préfenfem à l ’efprit des êtres
indéterminés , défignés feulement par une idée pre-
cife qui peut s’adapter à plufieurs natures, ( Voye\ Mo t , art. 1 , & N om). C ’eft parce que l ’idée individuelle
de l ’Adjeélif peut être commune à plufieurs
natures & que le fujet en eft indéterminé , que
l ’Ad jeélif reçoit prefque partout les mêmes accidents
que les noms & d’après les mêmes règles ,■ afin,
que la concordance des accidents puiffe fervir à
conftater le fujet particulier auquel on applique
l ’Adjeélif, & à la nature duquel on a adapté l ’idée
particulière qui en conftitue la lignification propre.
Mais la manière même dont fe règle partout la
concordance, loin de faite croire que le nom &
l’Adjectif font une même forte de mots , prouve au
contraire qu’ils font néceffairement d’efpèces différentes
, puifqu’il n’y a que lès terminaifons de l ’Ad-
jeélif qui foient affujéties à la concordance , &
que celles des noms fe décident d’après les vues
différentes de l ’efprit & les befoins de l ’énonciation.
Je crois donc avoir, eu raifon de réforver la qualification
de Subjiantifs pour les feuls noms qui
défignent des êtres qui ont ou qui peuvent avoir,
unê exiftence propre & indépendante de tout fujet,
ce que les philofophes appellent des Subfiances.
Tels font les noms être y Jiibfiance y efprit 8 corps,
animal, homme, Cicéron, plante, arbre, pommier
, pomme, firmoire , &c, La branche des noms
oppofés à ceux-ci eft celle des abftraétifs. Voye\
N om.
II. Verbe fubjlantif. Le verbe eft un mot qui
préfente à l ’efprit un être indéterminé ? défigné
feulement par l ’idée précife de l ’exiftencé fous un
attribut ( Voye\ V e r b e ). Un verbe qui énonce
l ’exiftence fous un attribut quelcocqne & indéterminé
, qui doit être enfuite exprimé à part, eft
celui que les grammairiens appellent Verbe fu b f-
ta n tif ; e eû en franço'is le verbe être , quand on
l ’emploie comme dans cette phrafe, Dieu est jujle,
où il n’exprime que l ’exiftence intellectuelle , fans
aucune détermination d'attribut , puifque l ’on di-
roit de même , Dieu est fage , Dieu est tout->
puijfanty Dieu est attentif à nos befoins. Voyeç
V erbe.
La diftinélion des noms en Subjiantifs & Adjectifs
me femble avoir été la feule çaufe qui ait oc-
cafionné une diftinélion de même nom entre les
verbes & cette dénomination n'eft p^s mieux
fondée d’iin côté que de l'autre. Je crois qu’il y
auroit plus de jufteffe & de vérité à Appeler abj-
trait le verbe que l ’on nomme Subjlamif, parce
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qu’en effet il fait abftraélion de toute manière d’être
.déterminée; & alors ceux que l ’on nomme adjeélifs
devroient s’appeler concrets, parce qu’ils expriment
tout à la fois l ’exiftencé & la modification déterminée
qui conftirue l ’attribut, comme aimer , partir,
&c. ( M. B e a u z é e . ) ■
> ( N ) SUBSTANTIFIER, v. a&. Rendre fubf-
tantif. Transformer en fubftantif.
L ’abbé d’Olive te ft, je crois, le premier & peut-
être lè feul qui fe foit fervi de ce terme. » L ’ar-
» ticle , dit-il ( EJfais de Grammaire , chap. Il,
$• ij ) y » fubjlantifie & modifie des mots de toute
.» efpèce , conformément à des règles ou à des
» ufages qui ne varient point ». Et i l dit encore
un peu plus loin : » La plupart des adjeélifs vont
» être fubjlantifiés par l’addition de l ’Article : on
» dira , le vrai , le beau , le fublime, le nou-
» veau , le fâ ch eux , Vaffecté y le recherché, &c.
» Tous ce$ mots , de fimples adjeélifs qu’ils étoient,
» paffent à la qualité de fubftantifs , & ils en
» aquièrént toutes les propriétés , qui font de pou-
» voir être mis fans adjeélif, .Rien n\éjl beau que
» le vrai ; de pouvoir être accompagnés d’un ad-
» jeélif qu’ils régiffent, le vrai fe u l ; de pouvoir
» être ce que la Logique nomme le fujet de la
» propofition, le vrai feu l eft aimable ».
Il cite plus loin des infinitifs , qu’il croit fubf-
tantifiés par l ’A rticle, qüoiqu’en effet les infinitifs
foient effenciellement des noms ; & il fe plaint de
ce que la Grammaire de l ’abbé Regnier en renferme
le nombre dans' des bornes trop étroites, » Mais
» quoi, dit-il , y auroit-il grand mal à étendre
» un peu fcette liberté de créer des fubftantifs dans
» ce goùt-là , puifqu’elle peut occafionner des
» expreflions neuves & heuteufes ? Témoin la ’ré-
» ponfe de VAngeli 'y ce fou de la vieille Cour
» immortalifé par Defpréaux : un jour le roi lui
» ayant demandé pourquoi on ne le voyoit jamais
au fermon Sire , d it- il, c é jl que j e n entends
» pas le Raifonner ; & je njaimepas le Brâillcr ».
Je ne vois pas que rien de raifonnable puiffe
empêcher , dans le.befoin, la jonétion de l ’Article
avec tel irifinitif qu’on voudra , puifque l’infinitif
eft effenciellement nom. ( Voye£ I n f i n i t i f )!'
L ’abbé d’Olivet lui-même auroit dû le conclure
d un paffage d’Apollonius ( page 36 ) , qu’il cite
lui -même en note : lllud ingenere conjlituendum
tjl y quemlibet I n f in it u m effe nomett verbi.
L ’académicien compté encore , parmi les mots
que l’on fubjlantifie , tous nos petits mots indéclinables:
adverbes , le pourquoi , /e comment, &c ;
prépofitions , le pour , le contre, &c ; conjonctions
, les f i y les mais y les cary &c.
Je ferai fur toute cette doétrine une obfervation :
c’eft que ce n’eft point l ’Article qui change tous
ces mpts en des noms ; c’eft la vue de l ’efprit de
celui qui parle, qui les envifàge comme noms , &
qui en conféquence y joint l ’Article félon le.befoin
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qu’il en a ; on dit les f i pour les conditions , les
niais pour les refirictions, 'ôcc. Aufli ces mots-la ,
dans ,cette hypothèfe , prennent-ils différents articles,
félon l ’occurrence : obferve\ bien les f i & les
mais ; voilà un f i bien embarraffant ; ce mais
efi terrible ,• vos pourquoi & vos comment n expliquent
rien ,* & Des Touches, dans le Glorieux
. . . . . V o t r e efprit a toujours en réferve
Quelques S i , quelques M a is , q u i, malgré v o tr e a rd eu r.
Pénètrent tô t o u tard au fond de vocre coeur.
Four ce qui eft du mot Sabjlantifier, comme
il me femble qu’on peut aifément s’en paffer dans
le langage grammatical, il pourroit bien ne pas
y faire grand’ forlunei Mais, fi on l’y adopte , pourquoi
n’adopteroit-on pas aufli Adjecîifier par analogie?
» T e lle eft aufli la vertu de l ’Article , dit
encore l ’abbé d’Olivet , » que comme, en s’unif-
» Tant àTadjeéüf, il le fubjlantifie ; de même en
» fe détachant du fubftantif, i l le réduit à n’être
» qu’adjeéfif ». Que ne difoit-il, il Yadj£clifLe ï
L ’un, n’étoit; ni plus infolite, ni plus inutile, ni
moins analogique que l ’autre..( M. B e a u z é e . )
. SUBSTANTIVEMENT , adv. c’eft à.dire, à
là manière des Subfiantijs. On d it , en Grammaire
, qu’un ad jeélif eft pris fubfiantivement,
pour dire qu’il eft employé dans la phrafe à la
manière des Subftantifs^ ou plus tôt â la manière
des noms : » Cé qui ne peut arriver , dit duMarfais
{ Trop. part. I I I , art. j ) y » que parce qu’il y a
» alors quelque autre nom foufentendu qui eft dans
» l ’eTprit ;. par exemple , le, v r a i perfuade , c’eft
» à dire, ce qui efi vrai, Vetre v ra i, ou la vé-
» rité j le T o u t - FU i s s a r t vengera les f o i -
» BLES qu’ oit opprime', c’eft à dire, Dieu , qui
» èfi.toüt - puiffant , vengera les hommes f o i -
» blés ».
S i , quand un adjeélîf eft employé'feul dans une
phrafe , on le raporte à quelque nom foufentendu
qu’on a dans l ’efprit, il eft évident qù’alors il eft
employé comme tous' les autres adjeélifs, qu’il
exprime un être indétermihé accidentellement' par
l ’applicâtiori aéluelle à ce nom foufentendu , en
un mot. ,qu’il n’eft pas pris fubfiantivement , pour
parler encore le langage' ordinaire. Ainfi, quand
on dit, Dieu vengera les f o i B LES y l ’adjeélif
foihles demeure un pur véritable adjeélif; & i l
n’eft au pluriel & au ma.fçulin, que par concordance
avec le ndm'foufentendu hommes, que l ’on a dans
l ’ëfprit.
11 y a cependant des cas où les'adjeélifs devien -
nent véritablement noms : c’eft lorfque l ’on s’en
fert comme de mots propres à marquer d’une manière
déterminée la nature des êtres dont on veut
parler, & que l ’on n’envifage que relativement à
cette idée , en quoi confifte effeélivement la notion
des noms,