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<3u Trope & celle que Ton veut rendre fenfible.
(M . B e a u z é e .)
I l n’y a rien de plus ridicule en tout genre,
dit du Mar fais ( Part. I , art. v ij, §. 3 ) , que
1 affectation & le défaut de convenance. Molière
, dans fes Précieufes , nous fournit un grand
nombre d’exemples de ces expreflions recherchées
& déplacées. La convenance demande qu’on dife
Amplement à un laquais , Donne\ des fièges , fans
aller chercher le détour de lui dire Voiture£-
nous ici Je s commodités de laconverfation ( f c .h ) .
De^ plus , les idées accefloires ne jouent point,
A j’ôfe parler ainfï, dans le langage des Précieufes
de Molière, ou ne jouent point comme elles jouent
dans l’imaginatinn d’un homme fenfé [parce que
les idées comparées n’ont entre elles aucune liai-
fon naturelle ] : Le confeiller des grâces (Je. vj) ,
pour dire, le miroir ; contente\ Venvie q u à ce
fa uteu il de vous embraffer ( Je. ix ) , pour dire ,
ajfeye-^vous.
Toutes ces .expreflions tirées de loin & hors de
leur place , marquent une trop grande contention
d efprit, & font fèntir toute la peine qu’on a
eue à les rechercher: elles ne font pas , s’il eft
permis de parler a in ÏÏ , à l’uniflon du bon fens ;
je veux dire qu’elles font trop éloignées de la
manière de penfer de ceux qui ont l ’efprit droit
& jufte, & qui fentent les convenances. Ceux qui
cherchent trop l ’ornement dans le difeours, tombent
fouvent dans ce défaut fans s’en apercevoir ;
ils .fe favent bon gré d’une exprefïion qui leur pa-
roît brillante & qui leur a coûté , & fe perfuadent
nue les autres doivent être auffi fatisfaits qu’ils le
font eux-mêmes.
On ne doit donc fe fervir des Tropes, que lorsqu’ils
fe présentent naturellement à l’efprit, qu’ils
font tirés du Sujet, que les idées accefloires les
font naître, ou que les bienféances les infpirent :
ils plaifent alors ; mais i l ne faut point les aller
chercher dans la vue de plaire. .
I l eft difficile , dit ailleurs notre grammairien
philofophe ( P a rt. I I , art. 1 3 ) , en parlant &
en écrivant , d’aporter toujours l’attention & le
difeernement néceflaires pour-rejeter les idées ao-
cefloires qui ne. conviennent point au Sujet , aux
circonftances , & aux idées principales que l ’on
met en oeuvre : de là i l eft arrivé, dans tous les
temps, que les écrivains fe font quelquefois Servis
d’expreffions figurées qui ne doivent pas être prifes
pour modèles.
Les règles ne doivent point être faites fur l ’ouvrage
d’aucun particulier; elles doivent être pui-
fées dans le bon Sens & dans la nature : & alors,
quiconque s’en éloigne ne doit point être imité
en ce point. Si l ’on veut former le goût des jeunes
gens , on doit leur faire remarquer les défauts
auffi bien que les beautés des auteurs qu’on leijr
fait lire. Il eft plus facile d’admirer, j’en conviens ;
mais une Critique fage, éclairée, exempte de paffion
te de fanacifoae, eft bien plus utile.
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Ainfï, l ’on peut dire que chaque fîècle a pu avoir
fes Critiques & fon Dictionnaire, néologique. S]
quelques perfonnes difent aujourdhui avec raifon
ou fans fondement ( Dicï. neol.) , qu’i/ règne
dans le langage une affectation puérile ; que le
fiyle frivole & recherché paffe jufq u’aux tribw-
naux les plus graves ,* Cicéron a fait la même
plainte de fon temps ( Orat. n°. 96 , aliter xxvij ).;
F f i eni'm quoddam etiam injigne & fiorèns orà-
tionis, picium} & expolitum genus, in quà omnes
verborum , omnes fententiarum alligàmur lepo-
res. Hoc totum è fophifiarum fontibus defluxit
in fo rum , &c.
Au plus beau fîècle de Rome , félon le P. Sa*
nadon •( Poéf. d’Horace, }tom 11 , pag. ),
c’eft à diie , au fièdle de Jules-Céfar &d’AÜgufte,
un auteur a dit infantes fi a tuas'y peur dire dés
flatues nouvellement fa ite s ,\ un autre', que Jupiter
crachoit la neige fur les Alpes:, Jupiter
hibernas canâ nive confpuit. Alpes. Horace fe
moque de l ’un & de l’autre de ces auteurs ( Yi.Jat,
v. 4® ) ; mais i l n’a pas été exempt lui-même des
fautes qu’il a reprochées à fes contemporains.
( D u M a r s ai s . )
Je dois remarquer qu’Horàce ne dit pas Jupiter,
mais Furius ( qui eft îe nom du poète qu’il cenfure),
hibernas canâ nive confpuit Alpes. (M. B e a u z
é e . ) .
Quintilien , après avoir repris, dans les Anciens,
quelques Métaphores défeétueqfes , dit que ceux
qui font'inftruits du bon & du mauvais ufage des
figurés , ne trouveront que trop. d’exemples a re-f
prendre : Quorum exempta nimium, fr.equenter
reprehendet, qui fciverit hoec vitia effe ( Jnfiitut\
viij. 6. )
Au refte, les fautes qui regardent l.es mots ne
font pas celles que l ’on doit regarder avec plus
de foin ; il eft bien plus utile d’obferver celles qui
pèchent contre la conduite i contre lajuftefle du
raifonnementcpntre la probité , la droiture , ,&
les bopnes moeurs. Il ferait à fouhaiter, que les
exemples de ces dernières fortes de fautes .fuflent plus
rares , ou plus tôt qu’ils fuflent inconnus.: ( Du
M a r s à IS, )
TRO UBADO UR S ou TROM BADO URS ,
fl m. qu’on trouve auffi écrit Trouveors () Trouve
ours y Trouverfes & Trouveurs, Littérature.
Nom que l ’on donnoit autrefois, &que l ’on donne
encore aujourdhui aux anciens poètes de Provence.
Voye\ Poésie.
Quelques - uns prétendent qu’on les a appelés
Trombadours, parce qu’ils fe fervoient d’iine trompé
ou d’une trompette, dont ils s’accompagnoient en
chantant leurs vers*
D ’autres préfèrent le mot de Troubadours y
qu’ils font venir du mot trouver, inventer, parce
que ces poètes avoient beaucoup d’invention ; &
c’eft le fentijnent le plus fuivi.
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Les poéfies des Troubadours confiftoient en .
fonnets, paftorales , ’ chants , fatires , pour lef-
quelles ils avoient le plus de- goût, & en ten-
Jons ou plaidoyers , qui étoient des difpntes
d’amour.
Jean de Notre Dame ou Noftradamus, qui étoit
procureur au parlement de Provence , eft entré
dans un grand détail fur ce qui concerne ces
poéfies. - ' . , .
Pafquier dit qu’il avoit entre les mains l ’extrait
d’un ancienlivxe qui appartenoit au cardinal Bembo ,
& qui avoit pour titre : Les noms d’aquels firent
tenions & Jyrvéntes. Ils étoient au nombre de 96 ,
& il y avoit parmi eux un empereur, favoir Frédéric
I , deux rois, Richard I , roi d’Angleterre ,
& un roi d’Arragon, un dauphin de Viennois, &
plufieurs comtes, 6c non pas que tous ces per-
fonnages euflent compofé des ouvrages entiers en
provençal, mais pour quelques épigrammes de
leur façon, faites dans le goût de ces poètes.
Les pièces mentionnées dans ce titre , & nommées
Syrventes , étoient des • efpèces de poèmes mélés
de louanges & de fatires , dans lefquels les
Troubadours célébroient les vi&oires qùe les princes
chrétiens .avoient remportées fur les Infidèles
dan? les guerres d’outre-mer. -
Pétrarque', au I V e chapitre du Triomphe de
VAmour, parle avec éloge de plufieurs Troubadours.
On dit que les poètes italiens ont formé M
leurs meilleures pièces fur le modèle de ces poètes .
provençaux \ & Pafquier avance pofitivement que
Le Dante & Pétrarque font les vraies fontaines
de la Poéfie italienne , mais que ces fontaines ont
leurfource dans la Poéfie provençale.
Boucher , dans fon Biftoire de Provence, raconte
que , vers le milieu dm douzième fîècle ,
les Troubadours commencèrent à fe faire eftimer
en Europe , Sc que la réputation de leur Poéfie
fut au plus haut degré vers le milieu du quatorzième
fiécle. Il ajoute, que ce fut en Provence-
q.ue Pétrarque apprit l ’art de rimer, qu’il pratiqua &
qu’il enfeigna enfuite en Italie.
- En effet, entre les différentes fortes de poéfies
ue composèrent les Troubadours , même dès la
n du onzième fiècle , ils eurent la gloire d’avpir
les premiers fait fentir à l’oreille les véritables
agréments de la rime j jufqu’à eux elle étoit indifféremment
placée au commencement , au repos,
ou à la fin du vers : ils la fixèrent ou elle eft
maintenant , & il ne fut plus permis de la changer.
Les princes de çe temps-là en attirèrent plu-
ueurs à leurs Cours, & les honorèrenr de leurs
bienfaits. Au refte, ces Troubadours étoient différents
des Conteurs , Chanteurs , & Jongleurs qui
parurent dans le même temps. Les Conteurs com-
pofoient les proies hiftoriques & romanefques : car
il y avoit des romans rimés & fans rimes : les
premiers étoient l ’ouvrage des Troubadours ; &
les. autres* ceux des Conteurs. Les Chanteurs Uian- .
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(oient les productions des poètes, & les Jongleurs
les exécutoient fur différents inftruments.
» Les premiers poètes, dit l ’abbé Maffîeu , clans
fon H ifoire de la Poéjie françoife , » menoient
» une vie errante, .& reffembloient du moins par
» là aux poètes grecs. Lorfqu’ils avoient famille,
» ils menoient avec eux leurs femmes & leurs en-
» fants, qui fe méloient auffi quelquefois de faire
» des vers , car aflez fouvent toute la maifon ri-
» moit bien ou mal, à l’exemple du maître. Ils
» avoient foin encore de prendre à leur fuite des
» gens qui euflent de la voix pour chanter leurs
» compofitions, & d’autres qui fuflent jouer des
» inftruments pour accompagner. Efcortés de la
» forte, ils étoient bien venus dans les châteaux
» & dans les palais. Ils égayoient les repas, ils
» fefoient honneur aux aflemblées j mais furtout
» ils favoient donner des louangues, apât auquel
» les Grands fe font prefque toujours laiffé pren-
» dre ». H iß . de la Poéfie franç.^p. 96-
» Quelquefois , dit Fontenelle , durant le
» repas d’un prince, on vbyoit arriver un Trou—
». verfe inconnu avec fes Méneftrels ou Jongleurs,
» & i l leur fefoit’ chanter. , fur leurs harpes ou
» 'vielles., les vers qu’il avoit compofés. Ceux qui
o fefoient les fons , auffi bien que les mots ,
» étoient les plus eftimés. On les payoit en armes,
» draps,. & chevaux, & , pour ne rien déguifer ,.
» on leur donnoit aufli de l ’argent : mais pour*
» rendre les récompenfes des gens de qualité plus.
honnêtes & plus dignes d’eux, les princefles &
» les plus grandes dames y joignoient fouvent leurs
» faveurs y. elles étoient fort foibles contre le s
» beaux efprits ». H iß . du Théâtre françois 5„
pag. 5 & 6 r OEuvres de Fontenelle, tom. IH.
Les plus célèbres Troubadours font Arnaud-
Daniel, ni dans le douzième fîècle'à Tarafcon, ou
à Beaucaire, ou à Montpellier , d’une famille nob
le , mais pauvre, auteur de plufieurs tragédies &'
comédies, & entre autres d’un poème intitulé L$s-
illufions du Paganifme, des poéfies duquel Pétrarque
a bien fu profiter; Anfelme Faydit,. Hugues
Brunet, Pierre de Saint-Remi , Perdrigon , Richard
de Noues, Luco, Pàrafols,.Pierre Roger *
Giraud de Bournel, Rémond de Proux,Rutheboeufv
Hébers, Chrétien de Troies, Euftace 11 peintre r
&c.
Ces Troubadours brillèrent en Europe environ«'
i? o ans, c’eft à dire, depuis 1110 ou 1130, jufqu’à
la fin du règne de Jeanne première du nom ,
reine de Naples & de S ic ile , & comtefîe de
Provence, qui mourut en 138z. Alors défaillirent-
les Mécènes, & défaillirent auffi les poètes , dit
Noftradamus. D ’autres voulurent fùivre. les traces,
des premiers' Troubadours ,• mais n en ayant pas
la capacité , ils fe firent méprifer : de forte que?
tous ceux de cette profeflion fe réparèrent en-deux:
d iffé re n te s efpèces dateurs 3 les uns,fous Tandem